A propos de la hadra spirituelle, de la danse et des mouvements prononcés dans le dhikr

Contrairement à ce que semblent penser de nombreux salafis ainsi que d’autres courants (notamment coranistes et modernistes) pour certains d’entre eux, la hadra et les mouvements circulaires sont autorisés en Islam, puisqu’aucune interdiction n’est évoquée dans le Qur’ân comme dans la Sunnah authentique. Comme il s’agit de fiqh, tout est autorisé sauf si un principe général ou un texte clair interdisent une chose, or rien de tout cela n’existe, et donc le statut juridique est bien la permission originelle, à moins que la chose soit rendue obligatoire ou méritoire sans preuve légale, ou que ladite chose comporte un élément clairement nuisible, nocif ou blâmable, ce qui n’est pas le cas en temps normal, et alors la discussion pourrait s’arrêter là, car le débat est déjà tranché par rapport aux ussûl al-fiqh. Mais en réalité, l’avis des détracteurs se retourne contre eux, car le Qur’ân et la Sunnah autorisent cette pratique de façon générale et explicite.

Il est ainsi autorisé de se mouvoir ou de sautiller (sans chercher à exagérer ou à être inharmonieux) pour exprimer sa joie, soit envers quelqu’un que l’on aime, soit pour Allâh lors de moments d’extase spirituelle ou de joie.

L’imâm ‘Alî rapporte : « J’ai rendu visite au Prophète avec Jafar (ibn Abi Tâlib – le frère de l’imâm ‘Alî -) et Zayd (ibn Haritha). Le Prophète dit à Zayd : « Tu es mon affranchi (anta mawlay) », et Zayd se mit à sautiller sur un pied autour du Prophète (en arabe: hajala). Le Prophète dit alors à Ja’far : « Tu me ressembles dans ma constitution et dans mon caractère », et Ja’far se mit à sautiller derrière Zayd. Le Prophète me dit alors : « Tu fais partie de moi et je fais partie de toi » et je me mis à sautiller derrière Jafar ». (Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°835).

Ibn ‘Abbâs rapporte qu’un jour Zayd Ibn Hâritha et ‘Alî étaient en désaccord à propos de celui d’entre eux qui serait le plus en droit de recevoir la charge d’une femme que l’imâm ‘Alî avait retiré d’entre les mains des idolâtres de La Mecque… Le Messager d’Allâh ﷺ, qui se trouvait là, trancha donc finalement entre eux en faveur de notre maître Ja’far. Le Muhaddith Muhammad ibn ‘Umar al-Wâqidî a dit : « Et lorsquiltrancha en faveur de Jafar, ce dernier se leva et se mit à sautiller sur un pied autour du Messager d’Allâh. Il lui demanda alors : « Que fais-tu ô Jafar ? ». Il répondit : « Ô Messager dAllâh, lorsque le Najâshî comblait une personne, cette dernière se levait et sautillait sur un pied autour de lui (pour manifester sa joie) ». Le Prophète dit alors : « Marie-toi avec ». Il répondit : « Il s’agit de la fille de mon frère de lait … ». Le Messager d’Allâh la maria donc à Salma ibn Abî Salma ». (Rapporté par Al-Bayhaqî dans Dala’îl an-Nubuwwâ n°1710).

L’imâm Abû Hâmid Al-Ghazâlî relate dans son Al-Ihyâ’ les ahadiths sur le chant des 2 servantes et sur les jeux pratiqués par les Abyssins dans la Mosquée du Prophète ﷺ alors que ce dernier les encourageait par des exclamations : « Bravo, enfants de Arfadah ! ». Ces ahadiths précisent également la demande formulée par le Prophète ﷺ à l’intention de `Aisha pour savoir si elle voulait regarder le déroulement des jeux ou non. Ces mêmes ahadiths ajoutent en outre que le Prophète ﷺ demeura en compagnie de son épouse jusqu’à ce que celle-ci s’ennuyât et voulût partir. Il conclut par rapport à ces récits : « Tous ces ahadiths sont mentionnés dans les Sahihayn. Ils constituent de fait un texte explicite prouvant que le chant et les divertissements ne sont pas illicites. On peut par ailleurs en tirer un certain nombre de conclusions concernant diverses permissions :

– Le divertissement : tout le monde sait que les Abyssins ont leurs danses et leurs jeux.

– Il est permis de se divertir à l’intérieur même de la mosquée.

– Le fait que le Prophète dise aux Abyssins : « Bravo, enfants de Arfadah ! » montre qu’il leur demande de poursuivre leurs jeux et les encourage à cela. Comment peut-on alors considérer que ces jeux sont illicites ?

 – Le Prophète a empêché Abû Bakr et `Umar – qu’Allâh les agrée – de blâmer, de refuser ou d’interdire le divertissement. Il leur a expliqué que c’était un jour de fête et un moment de gaieté. Or, le divertissement est source de gaieté.

– Le Prophète est resté longtemps à regarder les jeux abyssins et à écouter leur musique, après que ‘Aîsha (qu’Allâh l’agrée) a exprimé son accord pour rester également. Cela montre qu’en termes de noblesse de caractère (husn al-khuluq), il est meilleur de faire plaisir aux femmes et aux enfants en assistant avec eux à des divertissements que de vivre dans un ascétisme austère, se priver et priver autrui des plaisirs mondains (qui sont licites).

– Le Prophète a même pris les devants pour demander à ‘Aîsha si elle désirait regarder le déroulement des jeux.

 – Le chant est permis, ainsi que le battement du tambour, comme le montre le hadith des 2 servantes ».


Le hadith sur les Abyssins est celui-ci : « Les Abyssins (Habashîs) dansaient devant le Messager d’Allâh (ﷺ) tout en disant « Muhammad est un serviteur vertueux (Muhammadun `Abdun Sâlih ; dans leur langue) ». Le Messager d’Allâh (ﷺ) a demandé : « Que disent-ils ? ». Et ils ont répondu : « Muhammadun ‘Abdun Sâlih ! » (Rapporté par Ahmad dans son Musnad 3/152 n°12564 selon Anas Ibn Mâlik).

Ibn Layun at-Tujibi a dit : « Quant à la danse dans la mosquée, c’est dans la collection du Sahih Muslim d’Aîsha qui a dit : « Une armée est venue d’Ethiopie battant des tambours le jour de la fête dans la mosquée. Le Prophète (ﷺ) m’a invité et j’ai posé mes paumes sur ses épaules et je les ai regardés jouer (et danser) ».

Ibn ‘Aynia a dit que « zafaf »’ était de danser. Si cela était interdit dans son principe, cela n’aurait pas été fait en présence du Messager d’Allâh (ﷺ).

Les mots utiliéss sont yarquSûn/raqs, qui ont un lien avec la danse et les mouvements rythmés. Dans certains récits, le mot utilisé est « yazfinûn » mais son sens est celui de danser comme l’ont indiqué plusieurs spécialistes comme le Qâdî `Iyyâd dans Sharh Sahîh Muslim (Kitâb Salâtul-`Îdayn 3/310 ;yazfinûna ma`nâhû yarquSûn waz-zifunu ar-raquS -), An-Nawawî dans Sharh Sahîh Muslim (Kitâb Salâtul-`Îdayn, 6/186 ; yazfinûna hâdhâ kâna yazfinûn fî yawmil-`îd ma`nâhû yarquSûn), Ibn Hajar al `Asqalânî dans Fath ul-Bârî 2/444 (yazfinûn ay yarquSûn).

Et lors du dhikr :

‘Abdullâh Ibn ‘Umar rapporte que le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit du haut du minbar : « Al-Jabbâr prend dans Sa main Ses cieux et Ses terres » et de sa main le Prophète fit le geste de fermer le poing puis de louvrir, après quoi il dit : « Je suis al-Jabbâr (L’Omnipotent ; Tout-Puissant) ! Je suis al-Malik (le Roi) ! où sont les jabbârûn (ceux qui se considèrent puissants et agissent avec orgueil et malveillance) ? où sont les mutakabbirûn (les orgueilleux et les tyrans arrogants) ? » et disant cela, le Messager d’Allâh se balançait de droite à gauche. Je regardais alors le minbar et le vis bouger lui aussi, au point que je me suis demandé s’il n’était pas tombé avec le Messager d’Allâh (ﷺ) » (Rapporté par Ibn Mâjah dans ses Sunân n°4275, et d’autres l’ont rapporté sans le commentaire de Ibn ‘Umar sur sa description de la scène comme Muslim dans son Sahîh n°2788 et Abû Dawûd dans ses Sunân n°4732, et dans une version encore plus abrégée par al-Bukharî dans son Sahîh n°7412).

L’imâm ‘Alî, tout en faisant l’éloge des (autres) Compagnons du Prophète (ﷺ), les décrivait ainsi dans leur dévotion religieuse et spirituelle : « Jai vu les Compagnons du Messager d’Allâh, et je ne vois aujourd’hui plus personne qui ne leur soit comparable : par Allâh lorsque le matin se levait sur eux, ils avaient le visage pâle, les cheveux ébouriffés et le corps recouvert de poussière. Entre leurs yeux se trouvait la marque de leurs prosternations, après qu’ils aient passé toute la nuit à réciter le Livre d’Allâh (Qur’ân) oscillant d’arrière en avant, et invoquant Allâh en se balançant comme se balance l’arbre dans un jour de vent fort. Par Allâh, et leurs yeux s’emplissaient de larmes jusqu’à mouiller leurs habits » (Rapporté par Ibn Kathîr dans Al-Bidâya wa an-Nihâya, par Abû Nu`aym dans son Hilyat al Awliyâ 1/76 et 10/388, par Ibn ‘Asakir dans son Târîkh Dimashq et d’autres ; certaines chaines sont faibles mais d’autres sont bonnes, et se renforcent et corroborent d’autres récits).

Le Shaykh Ibn al Qayyim dans son Madârij as-Sâlikîn a dit : « Il y a divergence au sujet du balancement (tawâjud) : est-il permis ou non ? Les savants se sont ici partagés en deux catégories. Les uns ont dit que cela ne convenait pas d’un point de vue juridique de par le fait que ce soit une manière de montrer avec peu de naturel et de feindre être ou détenir ce que l’on n’a pas. Quant aux autres, ils ont dit que cela convenait d’un point de vue juridique, mais uniquement pour la personne sincère et réellement affectée par des sens spirituels profonds. Le Prophète (ﷺ) a ainsi dit : « Pleurez, et si vous ne pleurez pas, provoquez la venue des pleurs ».

Ce qui veut donc dire que, d’une part, si celui qui se balance en feignant être ce qu’il n’est pas, dans le but d’accéder à quelque chose, ou bien par suivi de ses passions et de sa nafs, alors cela ne convient pas juridiquement. En revanche, si celui qui se balance le fait dans le but de déclencher ou provoquer en lui un Hâl, ou un maqâm en présence divine, alors ceci est juridiquement convenable… et cela se détermine selon la personne se balançant, c’est-à-dire en fonction de ce qu’on connaît de lui en matière de sincérité et d’ikhlâss (…) Si le balancement (tawâjud) était permis ou recommandé pour l’ensemble des gens de ce bas-monde guidés par leurs passions, plus personne ne goûterait à la saveur ni à l’allégresse de la réunion des coeurs avec Allâh, ni au désir profond de Sa rencontre. Et cela, ne peut le croire que la personne qui y a goûté, car ne peut l’accepter que celui qui a vu briller en lui ce qui brille en toi. Et qu’Allâh récompense celui qui a dit : « Oh mon ami, ne vois-tu pas leur feu ?», il répondit : « tu vois ce que je ne vois pas, la flamme (de l’Amour ardent) a apaisé ta soif mais pas la mienne » et tu as pu voir de ton coeur ce que je ne peux percevoir » ».

L’imâm An-Nawawî a dit dans son Sharh Sahih Muslim qu’une autre narration dit : « Ce sont ceux qui tremblent ou sont émus à la mention ou au souvenir d’Allâh (hum al-ladhina ihtazzu fi dhikrillah) » c’est-à-dire, Ils sont devenus fervemment dévoués et attachés à Son souvenir ».

Al-Mundhiri a dit dans al-Targhib wa al-tarhib : « Ceux qui sont déterminés et ceux qui sont éperdus du dhikr et en sont humiliés (en s’effaçant) : ce sont ceux qui sont incendiés par le souvenir d’Allâh ».

A propos du dhikr collectif (en groupe et à voix haute), rien ne l’interdit non plus, et plusieurs ahadîths instituent cette pratique. Il est rapporté que le Prophète Muhammad (ﷺ) a dit : « Il ny a pas un peuple qui sest assis dans une assemblée pour évoquer Allâh et qui ensuite se lève, sans qu’il leur soit dit : « Levez-vous ! Allâh vous a pardonné et Il a changé vos fautes en bonnes actions » ». (Rapporté par Abû Ya’la dans son Musnad, Al-Bazzâr dans son Musnad, At-Tabarânî dans Al-Mu’jam, Al-Bayhaqî selon Abdallah ibn Maghfal et Sahl ibn Handhala et d’autres). L’imâm As-Suyûtî a rassemblé dans sa fatwa intitulée Natījatu al-Fikri Fi al-Jahr Fi al-Dhikr (tiré de son célèbre recueil Al-Hawī Al-Fatâwâ) une vingtaine de ahadiths authentiques et bons permettant le dhikr en groupe et à voix haute.

Danser est licite de façon générale, tant que les hommes comme les femmes accomplissent leurs obligations respectives et agissent de façon responsable en temps normal. Ainsi selon An-Nawawî, cela est bien licite sauf si cela comporte des choses blâmables (pour les hommes ; imiter les efféminés par exemple) comme il le mentionne dans Minhaj al-talibin wa `umdat al-muttaqin : « Danser n’est pas illicite sauf si la danse est langoureuse, comme les mouvements des efféminés. Et il est permis de réciter et de chanter de la poésie, sauf si elle fait le satyre d’une personne, est obscène, ou fait allusion à une femme précise ».

Le Shaykh Ibn Hajar Al-Haytami a dit dans ses Fatawa Hadithiyya : « Il est permis de se tenir debout et de danser pendant les rassemblements de dhikr et de Samâ’ (audition) selon un certain nombre de grands savants, dont Shaykh ul-Islam Al-‘Izz ibn Abdus-Salâm ».

Et tout cela s’accorde avec la Parole divine comme les versets du Qur’ân le prouvent :

« Seuls sont croyants ceux dont le coeur frémit lorsqu’Allâh est mentionné. Et lorsque Ses versets leurs sont récités, leur foi augmente » (Qur’ân 8, 2).

« Ceux qui, debout, assis, couchés sur leurs côtés, invoquent (et évoquent) Allâh » (Qur’ân 3, 191).

« Ô vous qui croyez ! Evoquez Allâh d’une façon abondante et glorifiez-Le à la pointe et au déclin du jour » (Qur’ân 33, 41-42).

« Ceux qui ont cru, et dont les coeurs s’apaisent à l’évocation d’Allâh. N’est-ce pas que par l’évocation d’Allâh que s’apaisent les coeurs ? » (Qur’ân 13, 28).

« En vérité, dans la création des cieux et de la terre, et dans l’alternance de la nuit et du jour, il y a certes des signes pour les doués d’intelligence, qui, debout, assis et couchés sur leurs côtés, invoquent Allâh et méditent sur la création des cieux et de la terre (disant) : « Notre Seigneur ! Tu n’as pas créé cela en vain. Gloire à Toi ! Garde-nous du châtiment du Feu » » (Qur’ân 3, 190-191).

« Fais preuve de patience en compagnie de ceux qui invoquent leur Seigneur, matin et soir, recherchant Sa satisfaction ! Ne les quitte pas pour courir après les plaisirs de ce monde ! N’obéis pas à celui dont Nous avons rendu le coeur inattentif à Notre rappel, qui suit ses passions et se complaît dans ses excès ! » (Qur’ân 8, 28).


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