Il est notoire, que, chez les savants ou prédicateurs « sérieux » suivant le Shaykh Ibn Taymiyya dans pratiquement tous ses jugements et avis – même ceux qui sont erronés ou qui se contredisent selon l’ouvrage prit en référence parmi les différents textes écrits par Ibn Taymiyya -, que leur jugement de l’imâm Al-Ghazâlî est problématique. En effet, l’ayant jamais lu totalement de façon objective pour la plupart d’entre eux, ils se contentent de sélectionner les nombreux avis des Savants au sujet de l’imâm Al-Ghazâlî et de son œuvre. Voyant que des sommités du patrimoine islamique ont considéré l’imâm Al-Ghazâlî comme l’un des plus grands savants de l’Islam – voire même le plus grand après la génération des Salafs -, ils se sentent obliger de reconnaitre sa valeur, mais tout en le rabaissant ou lui inventant des erreurs, alors que, objectivement, les erreurs qu’ils lui reprochent sont soit inventées, soit des vérités conformes au Qur’ân, à la Sunnah, à l’intellect, à l’expérience ou à la position de certains Compagnons ou disciples de Compagnons. Ils citent d’ailleurs souvent la parole – qu’ils ont sorti de leur contexte et déformé – du juge malikite et exégète Ibn ul-‘Arabî, au sujet de la philosophie (étudiée par Al-Ghazâlî) et l’imâm lui-même. Or, Ibn ul-‘Arabî lui-même reconnaissait la supériorité de l’imâm Al-Ghazâlî sur ses contemporains, même parmi les théologiens et juristes les plus orthodoxes, et ne reprocha pas à l’imâm, des positions philosophiques ou théologiques qu’il estima problématiques ou erronées, d’autant plus qu’Al-Ghazâlî, dans ses ouvrages de référence en la matière, justifiait toujours ses positions par le Qur’ân, la Sunnah et l’avis de plusieurs éminents Salafs.
Contrairement, donc, à ce que pensent certains taymiyyiens – y compris contemporains comme Anas Ahmed Lala dont le parti pris est flagrant, lui faisant commettre pas mal d’erreurs comme dans ses 2 articles récents publiés en septembre 2023 -, l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî avait de solides connaissances dans le Hadith, et ce, même avant qu’il ne poursuive son étude à la fin de sa vie, en même temps que le Tasawwuf (les dernières années de sa vie il les passait essentiellement à vivre en tant que Sûfi et s’imprégnant de la Science du Hadîth et de la méditation du Qur’ân, sans s’occuper des débats philosophiques, juridiques, théologiques, scientifiques, etc.).
Sa maitrise du Hadith se trouve par ailleurs déjà dans ses ouvrages concernant les Ussûl al-Fiqh et le Fiqh. Cependant, il ne devint pas une référence incontestée car il était déjà absorbé par d’autres priorités de son temps : la logique, la philosophie, la métaphysique, la science, le Qur’ân, le fiqh, le Tasawwuf et la théologie, afin de répondre aux besoins des Musulmans de son époque face aux hérésies et aux tendances philosophiques déviantes éloignant les Musulmans de la Voie droite et de la Religion.
Quant à ce que contient le Ihyâ en termes de ahadiths faibles ou apocryphes, cela est inférieur à 2%, et les 2% sont utilisés surtout dans l’éthique et la morale, ce qui a été considéré comme permis par les Salafs eux-mêmes (dont l’imâm Ahmad). L’imâm al-Ghazâlî a même fait moins d’erreurs dans le Hadith que le Shaykh Ibn Taymiyya, comme l’ont montré des savants du Hadith comme Ibn Hajar al-‘Asqalânî, Ibn Hajar al-Haytami, Taqî ud-Dîn As-Subkî et son fils Tâj ud-Dîn, As-Suyûtî et d’autres.
Lorsque le Taymliyyen dit, en reprenant les propos erronés du Shaykh Ibn Taymiyya dans ses Majmû’ al-Fatâwa (4/63-64) sur lesquels il est peut-être revenu : « Il (a) trouvé, dans les propos des Maîtres Soufis, ce qui est plus proche de la vérité et méritant plus de le réaliser, que dans les propos des Falâssifa et des Mutakallimûn. Et l’affaire est comme il l’a trouvée (…). Cependant, il ne lui est pas parvenu, de l’héritage prophétique qui se trouve auprès des Particuliers (Khâssa) de cette Ummah, la connaissance et les états spirituels (qui sont les leurs), ni les dévoilements en termes de connaissance, ni la relation (avec Allâh) liée au Culte, qui sont parvenus au Sâbiqûn Awwalûn, au point que ceux-ci ont atteint ce que ceux-là [= les sûfis que al-Ghazâlî a connus] n’ont pas atteint ».
Or, cela est faux, puisque l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî connaissait très bien l’héritage prophétique, directement par l’expérience spirituelle du cheminement, mais aussi parce qu’il citait toujours le Qur’ân, la Sunnah (bien établie), les propos authentifiés des Sahaba et du reste du Salaf, pour aborder les problématiques et justifier ses positions. Et les grands imâms et savants du Hadith et de l’histoire de son époque, le considéraient comme un imâm exceptionnel, digne de confiance, et qui était le revivificateur de la Religion de son époque. En outre, comment Ibn Taymiyya, qui n’avait pas atteint les plus hauts degrés de Sainteté au moment où il écrivait ses lignes, pouvait-il juger objectivement le rang spirituel de celui qui atteignit le rang de Sainteté, et qui fut parmi les plus éminents de la Ummah, et reconnu comme tels par les plus grands maîtres spirituels (qualifiés aussi dans les sciences exotériques) comme les imâms Al-Jilânî, Ibn ‘Arabî, Abû al-Hassân as-Shadhilî, Zakariyya al-Ansârî, Al-`Izz Ibn `Abd As-Salâm, Shah Waliyullâh et tant d’autres ?
Quant à l’étude et à l’influence de la philosophie sur Al-Ghazâlî, cela ne le détourna pas du Qur’ân, de la Sunnah, de l’intellect et des preuves de la lumière Muhammadienne obtenue dans le cheminement, contrairement à Ibn Taymiyya qui fut profondément influencé par la philosophie grecque dans ses positions théologiques, au point que certains grands savants l’avaient accusé de tomber dans plusieurs hérésies le faisant sortir de l’Islam tant ses propos étaient parfois très ambiguës, comme le rapporteront aussi plusieurs de ses élèves (dont Ad-Dhahabî et Ibn ‘Abd al-Hâdi).
Enfin, Al-Ghazâlî, de son temps, connut les Savants du Hadith (des différentes écoles juridiques et théologiques), connaissait la vie et la voie des Salafs ainsi que leurs divergences concernant le fiqh et la ‘aqida – le contenu du Ihyâ’ le prouve ainsi que dans d’autres de ses livres -, les savants sunnites des différentes écoles juridiques et théologiques, ainsi que les batinites (ismaéliens), les mu’tazilites, les shiites imâmites, les philosophes (parmi les Musulmans comme parmi les négateurs), etc.
Il voyagea à travers le monde musulman et beaucoup de savants devinrent ses disciples, dont le célèbre spécialiste du Hadith et du Qur’ân, le juge malikite Abû Bakr Ibn al-‘Arabi l’andalou, qui prit l’imâm comme Maître, et qui fut, selon ses dires, l’un des seuls qui était capable de répondre profondément à ses interrogations les plus complexes et poussées.
Ad-Dhahabî relate aussi dans son Siyâr la parole d’un maître du Hadîth au sujet d’Al-Ghazâlî : « ‘Abd ul-Ghâfir al-Fârissî (m.529 H) qui l’a connu, a dit, parlant de lui à la fin de sa vie : « La clôture de son affaire fut de se tourner vers la recherche du Hadîth, de s’asseoir en compagnie des Gens du Hadîth, et d’étudier (plus en profondeur encore le) Sahîh ul-Bukhârî et le Sahîh Muslim. S’il avait vécu (encore), en peu de temps il aurait surpassé tout le monde dans cette discipline » », ce qui implique déjà qu’il avait atteint une très bonne maitrise du Hadith, au point que, si Allâh lui avait encore prêté vie un peu plus longtemps, il aurait surpassé ou égalé les plus grands savants du Hadith, qui étaient aussi des Sûfis ou des gens rattachés au Tasawwuf comme Al-Khatib al-Baghdadî, Al-Qushayrî, As-Sulâmî, Al-Junayd,, Ibn ‘Asâkir, Ad-Dhahabî, As-Suyûtî, Ibn Hajar al ‘Asqalânî et son maître Zakariyya al-Ansarî, Ibn Rajab al-Hanbali, An-Nawawî, ainsi que, parmi les compilateurs célèbres dans le Hadith, comme Al-Hakim at-Tirmidhî et Abû ‘Issâ at-Tirmidhî l’auteur des Sunân, Abû Dâwud, Ibn Hibbân, Al-Bayhaqî, Al-Hakim an-Naysabûrî, Al-Daraqutnî, l’imâm Ahmad, Abû Nu’aym, etc.
Le juriste, historien et spécialiste du Hadith, Salâh ud-Dîn As-Safadî, élève de l’imâm Ad-Dhahabi et de Taqî ud-Dîn As-Subki, dans son Kitâb al-Wafi bi’l-Wafayat, réfuta les critiques qui visaient l’imâm Al-Ghazâlî, notamment dans concernant la science du Hadith et sa somme des sciences religieuses, le Ihyâ’. Il dit aussi de l’imâm : « Muhammad Ibn Muhammad Ibn Muhammad Ibn Ahmad, la Preuve de l’Islam, l’Ornement de la Foi, Abû Hâmid al-Tusi (al-Ghazali), le juriste Shafi’i, était dans ses dernières années, sans égal ».
En résumé, la position d’Ibn Taymiyya – telle qu’elle est consignée dans le Majmû’ al-Fatâwa et peut-être est-il revenu là-dessus par la suite -, est un avis isolé au sein de l’élite des Savants de la Ummah, sachant que des savants sunnites plus calés dans le fiqh, l’histoire et le Hadith qu’Ibn Taymiyya, l’ont contredit (directement ou non- là-dessus, comme les 2 Ibn Hajar, Ad-Dhahabî, Ibn Kathîr, An-Nawawî, le père et le fils As-Subkî, Al-Sakhawi, Ibn ‘Arabî (le grand maître sûfi et mujtahid), Ibn al-‘Arabî (le juge malikite), Al-‘Iraqî, Az-Zubaydî, As-Suyûtî, etc.
Malgré les erreurs et jugements biaisés d’Ibn Taymiyya au sujet d’Al-Ghazâlî et de son Ihyâ’, il reconnaissait malgré tout – dans Majmû’ al-Fatâwa (10/551-552) – que les bienfaits et les vérités prédominaient dans le Ihyâ’ sur ce qu’il considérait être des erreurs.
Dans un ouvrage antérieur encore, intitulé Bughyat ul Murtad, Ibn Taymiyya avait une opinion encore plus négative sur Al-Ghazâlî, affirmant à tort que son ouvrage Mishkat al-Anwar contredisait le Qur’ân, la Sunnah et le consensus, alors que – et nous l’avons lu entièrement -, son ouvrage était conforme justement au Qur’ân, à la Sunnah et à l’intellect – l’imâm lui-même citait à l’appui de ses démonstrations intellectuelles ; le Qur’ân, la Sunnah, la parole des Salafs et l’expérience spirituelle -, ouvrage particulièrement apprécié par de nombreux savants de haut niveau au sein de la Ummah. Il est notoire par ailleurs que le Shaykh Ibn Taymiyya, « à ses débuts », avait tendance à déformer la réalité en invoquant le Qur’ân, la Sunnah et le consensus pour justifier ses avis erronés ou minoritaires, alors que les savants de la Sunnah – depuis l’époque des Salafs – adoptaient souvent l’avis opposé ou un avis divergent, et que le consensus qu’il réclamait n’allait pas dans son sens, ou n’existait tout simplement pas, puisque les grandes références dans le Tafsîr (comme At-Tabârî, Al-Qushayrî, Al-Baghawî, Al-Qurtûbî, Ibn ul’-Arabî et d’autres), dans le Hadith (al-Khatîn al-Baghdadî, Al-Bayhaqî, Ibn Hibbân, Ibn Mâjah, Abû Dawûd, Al-Bukharî, Ahmad, Muslim, At-Tirmidhî, An-Nawawî, Ibn ‘Asâkir et d’autres), dans le Fiqh (les 4 imâms du Fiqh ainsi que les autres comme l’imâm Ja’far, Sufyân At-Thawrî, Sufyân Ibn ‘Uyayna, Al-Ghazâlî, An-Nawawî, Al-Jilânî, As-Shatibî, etc.) ou dans le Tasawwuf (comme Al-Junayd, Al-Qushayrî, As-Sulâmî, Al-Hujwirî, Al-Kalabadhî, Al-Ghazâlî, Al-Jilânî, Ibn ‘Arabî, Zakariyya Al-Ansârî, etc.), etc. n’adoptaient pas du tout ses avis par lesquels il s’était isolé ou singularisé, du moins lors de sa période « polémiste ». Aussi, Ibn Taymiyya dans ses positions pertinentes et érudites, fut influencé par les travaux d’Al-Ghazâlî tout comme d’autres Sûfis comme Ibn ‘Arabî, Al-Jilânî, Al-Qushayrî, As-Sulâmî, Al-Junayd, etc., à qui il leur doit de profondes méditations et réflexions, ainsi qu’une documentation intellectuelle assez riche et importante dans différentes sciences, et de même pour certains philosophes musulmans ou non-musulmans qu’il a pu lire.
Il se pourrait donc fort bien que, même après ce qui est dit dans Majmû’ al-Fatâwa (où son opinion devint plus positive et nuancée envers l’imâm Al-Ghazâlî), qu’il adopta encore une meilleure opinion de lui par la suite, lorsqu’il se rendit compte de ses erreurs. En tout cas, plusieurs de ses disciples comme Ad-Dhahâbî et Ibn Kathîr, puis des compagnons et disciples de l’imâm Ad-Dhahâbî comme Tâqi ud-Dîn As-Subkî et son fils Tâj ud-Dîn, tenaient l’imâm al-Ghazâlî en très haute estime et partageaient plutôt les positions de l’imâm Al-Ghazâlî que celles d’Ibn Taymiyya, dans les questions sur lesquelles ils divergeaient (du moins durant la période la plus active et célèbre d’Ibn Taymiyya durant laquelle les nombreuses polémiques ont jailli, avant qu’il révise certaines de ses positions, comme le dira Al Hafiz ad-Dhahabî dans son Siyâr sur la fin de la vie d’Ibn Taymiyya, où il renonça au sectarisme et à certaines positions très dures qu’il avait pu adopter auparavant). L’imâm Ad-Dhahâbî sur la dernière position du Shaykh Ibn Taymiyya (à sa connaissance) vis-à-vis des adeptes des autres courants islamiques, dans son Siyar A‘lâm an-Nubalâ’ (15/85-89) : « Le grand Savant, l’imâm des théologiens, Abû al-Hassan ‘Alî ibn Ismâ‘îl ibn Abî Bishr Ishâq ibn Salim ibn Ismâ‘îl ibn ‘Abd Allah ibn Mûssa fils de l’émir de Bassora Bilal ibn Abî Burda fils du compagnon du Prophète (ﷺ) Abî Mûssa ‘Abd Allah ibn Qays ibn Hadhar al-Ash‘arî al-Yamânî al-Basrî. (…) J’ai vu chez Al Ash‘arî une parole qui m’a étonné, et elle est confirmée, al Bayhaqî [m.458 H] l’a rapporté en disant : J’ai entendu Abû Hâzim al ‘Abdawî [m.417 H] dire : J’ai entendu Zâhir ibn Ahmad as Sarakhsî [m.389 H] dire : Lorsque les derniers instants de Abû al Hassan al Ash’arî ont approché dans ma maison à Baghdâd, il m’a appelé, je suis venu, puis il a dit : « Atteste de ma part que je ne rends personne mécréant parmi les gens de la Qiblah, car tous appellent à une Divinité Unique, et nos divergences ne sont que dans les expressions ».
Je dis [Ad-Dhahabî] : Sur cela je pratique ma religion. Notre Shaykh Ibn Taymiyya [m.728 H] était ainsi lors de ses derniers jours, il disait : « Je ne déclare personne de la communauté mécréant, et le Prophète (ﷺ) a dit : « Personne ne garde son ablution sauf un croyant, quiconque prie avec son ablution est musulman » ».
Wa Allâhu a’lam.