Louis Cattiaux et René Guénon : « Gardiens » de la Tradition

Si l’on ne présente plus René Guénon (1886-1951) – pourfendeur des illusions et dérives de la modernité avant que cela ne devienne une « évidence » aux yeux des spécialistes contemporains -, formé aux mathématiques, à la philosophie, à la logique, à l’histoire et à d’autres disciplines – tout en étant un métaphysicien de renom -, Louis Cattiaux (1904-1953) bien que célèbre dans certains cercles, demeure encore « inconnu » du grand public (même si l’Occident moderne cherche aussi à occulter ou minimiser l’œuvre de René Guénon, ce qui se comprend, puisqu’il démystifie les illusions et propagandes sur lesquelles reposent toutes les manipulations et escroqueries des idéologues et institutions de la modernité).

Louis Cattiaux a ainsi été formé de son côté à la philosophie, à la physique, à l’alchimie (en passant donc par la chimie) à la théologie et à la métaphysique en dehors des « cursus universitaires » – ce qui n’est pas toujours plus mal -, tout en devenant connu en tant que poète, artiste et écrivain. Échangeant régulièrement avec René Guénon, qui l’influencera considérablement, la Providence lui a permis d’achever ce qui deviendra son chef d’œuvre, à savoir Le Message retrouvé. Cet ouvrage à la fois poétique, philosophique et métaphysique, regorge d’aphorismes et de méditations, de conseils spirituels et de réflexions philosophiques, qui parleront à tout « chercheur de Vérité » aspirant à la Transcendance, et ce peu importe la confession ou le parcours social du lecteur.

C’est en 1947 qu’il entama une relation épistolaire avec Jean Rousselot et avec René Guénon, soit environ 4 ans avant la mort de ce dernier. Grâce à un compte-rendu de René Guénon sur Le Message retrouvé, publié en 1948, dans la célèbre revue Études traditionnelles, Louis Cattiaux entre en contact en 1949 avec Emmanuel d’Hooghvorst, auteur de Le Fil de Pénélope (aux éditions Beya, 2009).  Ce fait marquera le début d’une intense relation entre eux ainsi qu’avec Charles d’Hooghvorst, frère cadet d’Emmanuel, qu’il rencontrera en mai 1949.

En 1951, en apprenant le décès de René Guénon, Louis Cattiaux publiera un hommage nécrologique en son hommage dans la revue poétique Le Goéland de Théophile Briant. Il y dit notamment : « Il a véritablement préparé les voies du Seigneur en rappelant la transcendance universelle de la Révélation divine, et en dénonçant sans jamais faiblir les deux perversions de la Science de Dieu, c’est-à-dire l’occultisme ténébreux, et d’autre part la science profane, qui submergent le monde actuel (…). René Guénon n’est pas mort et son œuvre vient seulement au monde, malgré l’extraordinaire pudeur qu’il a toujours manifestée pour tout ce qui concernait la divulgation de sa personnalité. Je ne pense pas à présent trahir sa pensée en la laissant s’exprimer à travers quelques extraits de ses lettres dans ce journal ami. Ayant constamment éclairé la source de la vie révélée, il est juste et convenable que la vie l’éclaire à présent de sa douce et véridique lumière » (Louis Cattiaux, « Hommage à René Guénon », Le Miroir d’Isis,‎ octobre 2011, p. 126).

Quelques extraits :

« Le premier sage qui reconnut Dieu n’avait pas de livres. La nature l’enseignait, et il aidait la Nature » (Livre 4, 31’). Allâh dit : « Nous leur montrerons Nos Signes dans les horizons et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’ils voient clairement que c’est la Vérité ? » (Qur’ân 41, 53). En effet, la Vérité ne dépend pas des hommes, des papiers « académiques » ou des livres, qui ne peuvent en être que des réceptacles ou des « interprètes ». Elle transcende nos subjectivités et nos interprétations, et demeure telle qu’elle est, aussi bien avant notre naissance physique qu’après notre mort terrestre. L’atrophie du moderne, est de rester piéger dans de mauvais livres, et de prendre pour finalités des choses (livres, hommes, …) qui ne sont que des supports ou des moyens. Par la connaissance des principes – qui sont des évidences intellectuelles reconnues comme telles par la logique et l’intellect (et notamment « l’intellection ») -, et par l’observation du monde (la nature, le cosmos, l’humain et les êtres vivants de façon générale), on peut « s’identifier » à la vérité, reconnaitre le vrai et vivre intelligemment, tout en se passant des livres au sens de la culture livresque. Combien de sages, ou même de paysans illettrés, nous apprennent finalement bien mieux et bien plus à réfléchir et à vivre – en harmonie avec le Divin, avec soi-même, avec les autres et avec la nature -, que de « savants » bardés de diplômes mais très éloignés de la vertu, de la clairvoyance et de la sagesse.

« Les enfants de l’Unique imitent l’œuvre du Père et vivent déjà en paix dans le monde présent » (Livre 11, 48′). Le Qur’ân dit en effet : « Allâh appelle à la demeure de la paix et guide qui Il veut vers un droit chemin » (Qur’ân 10, 25).

« L’amour de Dieu est comme le souvenir intense de notre liberté et de notre unité première dans la pureté du ciel » (Livre 11, 51′). Le Qur’ân dit : « Dis : Si vous aimez vraiment Allâh, suivez-moi, Allâh vous aimera alors et vous pardonnera vos péchés. Allâh est Pardonneur et Miséricordieux » (Qur’ân 3, 31). Et être plongé dans l’Amour divin libère des péchés, de la haine, de la souffrance (liée à ce bas-monde) et de tout ce qui peut avilir l’âme ou détourné notre conscience des nobles aspirations et valeurs.

« Tous les maîtres ont été traités d’orgueilleux par ceux qui ne pouvaient les suivre, mais ils sourient sans répondre, car ils savent qu’ils se sont oubliés en Dieu pour toujours » (Livre 11, 65′). En effet, les gens orgueilleux ne supportent pas la contradiction, et quand ils sont rappelés à l’ordre, et à retourner au bon sens et que la réalité les rattrape, ils imputent aux autres les tares qui se trouvent en réalité en eux-mêmes, refusant la Vérité et ne souhaitant pas rectifier leurs erreurs ou abandonner leurs péchés.

« C’est la grâce qui délivre, c’est l’amour qui rassemble, c’est la connaissance qui perfectionne et c’est l’union qui fait reposer » (Livre 11, 66′). Ce sont là les enseignements des grands maîtres spirituels de la Tradition islamique, basés sur le Qur’ân et la Tradition prophétique, à savoir la Grâce divine, l’amour en Lui et l’amour bienveillant envers Ses créatures, la connaissance et la science utile, et « l’union » (pas dans le sens de l’incarnationnisme), c’est-à-dire s’unir à Lui par la prière, par le renoncement aux choses blâmables ou illusoires, et en purifiant son ego pour ne se conformer qu’à Lui au point de pouvoir Le contempler en toute chose et d’être libéré des oppositions duelles de l’existence relative.

« Le sage et le saint rassemblent toute leur attention pour la quête de Dieu et sont comme absents aux occupations ordinaires des hommes » (Livre 15, 17′). Dans le Tasawwuf, nous dirions que les Saints et les Sages sont intérieurement absents à autre que Lui, mais extérieurement présents pour autre que Lui, c’est-à-dire que, voyant « Dieu » en toute chose – puisqu’Il en est l’Agent créateur et Celui qui leur insuffla la vie et donc Son Souffle -, ils sont à Son Service lorsqu’ils manifestent tous les dons et les vertus qu’Allâh leur a octroyé pour le bien-être et la justice envers Ses créatures, car qui respecte les droits humains respecte le Droit divin, les 2 allant ensemble, puisque les droits humains (à ne pas confondre avec l’idéologie délétère et illusoire des « Droits de l’Homme ») découlent du Droit divin. Et quiconque bafoue ou ignore le Droit divin, violera ou étouffera les droits humains, puisque c’est Lui qui donne la Vie, la protection de nos droits et les Bienfaits dont nous disposons, ainsi que la dignité à chaque être vivant, selon les limites fixées pour éviter les abus, les illusions ou la corruption (par la guerre, l’illusion, les déviances sexuelles ou sociétales, etc.) lorsque l’Humanité oublie le Divin, Sa Loi et les vertus qui y sont rattachées.

« Nous étouffons sous les vaines explications des intelligents du monde, et leurs ouvrages augmentent la confusion des esprits et l’impiété des cœurs » (Livre 22, 1’). S’attardant sur des détails indéfinis déconnectés des principes supérieurs et métaphysiques, tout cela devient, pour les « profanes », des choses dépourvues de significations profondes, durcissant le cœur de la plupart, les détournant du Sacré, et les rendant facilement dociles et impressionnables par les « charlatans », aussi bien du « new âge » que des charlatans en blouse blanche de la « Science officielle », quand bien même celle-ci serait illusoire, fausse et fondée en grande partie sur des hypothèses erronées ou invérifiables.

« Leurs livres et leurs noms retourneront à la poussière, mais l’œuvre du Seigneur demeurera à jamais, et sa parole traversera les siècles et affrontera victorieusement les assauts des cuistres diplômés de toutes les nations » (Livre 22, 2’). Par ailleurs, tous les « ennemis » du Sacré qui pensaient pouvoir égaler ou surpasser les merveilles de la Création divine comme des Formes traditionnelles, n’ont laissé finalement qu’un héritage superficiel et vain, s’écroulant peu de temps après leur mort, ou étant oubliés ou réfutés par d’autres scientifiques, savants ou intellectuels, comme c’est le cas pour les « scientifiques » athées ou les « philosophes » hostiles au Sacré. Ainsi, plus d’un demi-siècle après avoir écrit ce propos, Dieu lui donne raison, puisque tous les idéologues de la modernité ont vu leurs théories se faire réfuter, que ce soit le néodarwinisme, le freudisme, l’athéisme, l’hédonisme, le matérialisme, le scientisme, le positivisme, le laïcisme, le communisme, etc., qui ont été à l’origine des plus terribles maux que l’Humanité et même la planète tout entière aient eu à subir.

« Celui qui loue le Seigneur dans son cœur, fût-ce pour une petite fleur, n’est ni médiocre ni impie. Et celui qui le cherche, fût-ce à travers une pierre morte, n’est ni fainéant ni incapable » (Livre 22, 3’). Cela nous rappelle le Qur’ân ainsi que le Hadith qudsî sur le fait que tout effort – aussi minime soit-il – réalisé dans le Souvenir divin pour rechercher Sa Face, sera élevé et valorisé auprès de Lui, tandis que l’orgueil est ce qui nous détourne de Lui.

« Tirons et poussons dans le sens de Dieu et jamais dans notre sens personnel, et tout ira exactement comme nous le voudrons sans entrave et même avec une aisance stupéfiante, car la main toute-puissante agit pour nous et nous n’avons qu’à la suivre humblement au lieu de nous y opposer vaniteusement » (Livre 22, 68′). La souffrance « intérieure » n’advient que lorsque notre ego prend le dessus sur notre amour et notre confiance en Lui. En se conformant à Sa Volonté – en sachant que ce qu’Il veut pour nous est bien meilleur que ce que nous voulons en suivant les caprices ou viles tendances de notre ego -, Son Décret devient « visible », et dès lors, même ce qui pourrait nous apparaitre comme « pénible », « horrible » ou « désagréable » prend tout son sens, et ne saurait troubler notre sérénité intérieure ni nos aspirations, puisqu’au final, tout vient de Lui ; le Bien en principe, et même le mal – en tant qu’accident dans les choses contingentes (mal causé par nos propres fautes et manquements) font partie du Plan divin, et toute chose retournera à Lui, bon gré, mal gré.

« Il y a une solution à tout pour celui qui a le courage d’attendre, car tout ce qui se défait d’un côté se refait aussi de l’autre côté par la patience des actes de la foi » (Livre 37, 4’). Ce qui fait penser au verset du Qur’ân suivant : « A côté de la difficulté est, certes, une facilité ! Quand tu te libères, donc, lève-toi, et à ton Seigneur aspire » (Qur’ân 94, 6-8)

« Nous ne sommes pas à la mode, et les intelligents et les savants du monde nous ignorent volontairement, ou bien ils nous considèrent en ricanant ou avec pitié. Un jour nous les ignorerons aussi, malgré leurs hurlements de bêtes traquées » (Livre 40, 18′). Par « intelligents », peut-être faut-il comprendre ceux qui se pensent « intelligents » dans leur médiocrité et leur « révolte profane » contre le Divin et le Sacré.

« Vous vous mordrez les doigts et la langue, et vous vous déchirerez mutuellement dans la confusion et dans la rage de vos ténèbres aveugles et sourdes, en apprenant votre propre condamnation imbécilement choisie » (Livre 40, 19’). Par orgueil et stupidité, beaucoup d’idéologues « conscients » de la modernité, se livrent corps et âme aux pièges du Diable – et en lisant cela, beaucoup d’entre eux ricaneront pourtant bêtement – et actent d’eux-mêmes leur propre condamnation, puisque refusant de mener une vie bienveillante, intelligente, digne et illuminée par Sa Présence, se précipitent d’eux-mêmes dans le feu de l’ego – qui se « cristallisera » dans l’Au-delà par le Feu de la Géhenne -.


3 thoughts on “Louis Cattiaux et René Guénon : « Gardiens » de la Tradition

  1. Bonjour,
    Je partage avec plaisir votre publication sur notre page facebook des Éditions Beya .
    Cordialement
    Maria Creus

    1. :

      Bonjour, avec plaisir et merci pour votre message.

  2. :

    Un auteur sans doute intéressant par certains aspects. Cependant, dans ses correspondances avec Guénon, il affirmait que son livre Le message retrouvé avait été rédigé par « inspiration divine », ce qui ne manqua pas d’étonner René Guénon puisque Louis Cattiaux, au moment même de sa correspondance avec Guénon, procédait à des remaniements, des corrections et des ajouts au livre en question, ce qui semble incompatible avec quelque inspiration divine.

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