Le penseur et homme politique Alija Izetbegovic disait : « L’homme des bois qui, il y a quinze mille ans, se complaisait à regarder des fleurs ou des profils d’animaux, et les peignait ensuite sur les parois de ses grottes, était en ce sens plus proche de l’homme authentique (plus loin de l’animal) que de l’épicurien contemporain, qui vit pour satisfaire ses besoins physiques et qui rêve tous les jours de nouveautés, ou de l’habitant moyen d’une grande ville d’aujourd’hui qui vit isolé dans ses monstres de béton, privé de sensations et de sentiments esthétiques ». (Alija Izetbegovic, L’islam entre l’Est et l’Ouest, éd. François-Xavier de Guibert, 2003, p. 46).
Un peu plus loin, il écrivait : « Pourquoi l’homme primitif partout et toujours a-t-il réagi à sa rencontre avec le monde par la religion ? Pourquoi est-ce partout à travers elle qu’il a exprimé sa peur, sa mesquinerie, son désenchantement ? Pourquoi a-t-il recherché un salut et un salut de quoi ? Ce côté humain dont nous parlons, cette tension entre le bien et le mal, le sentiment d’exil, l’éternel dilemme entre l’intérêt et la conscience, le bien et le mal, le sens et l’absurdité de l’existence, l’impératif moral par lequel l’homme est incurablement infecté, restent sans explication rationnelle. Il est évident que l’homme de Darwin n’a pas réagi en darwinien au monde dont il est une partie ». (Alija Izetbegovic, L’islam entre l’Est et l’Ouest, éd. François-Xavier de Guibert, 2003, p. 47).
A l’origine, les termes « primitifs » et « naïfs » étaient positifs, mais ne sont devenus péjoratifs qu’avec l’avènement du monde moderne, pour distinguer « l’homme moderne » (sous-entendu, « évolué » et « civilisé ») de « l’homme primitif » (sous-entendu « ancien », « barbare » ou « inférieur »). Or, le monde moderne inverse la réalité et les priorités, donne plus d’importance à la quantité qu’à la qualité, et suivait une perspective linéaire du savoir, de l’intelligence et du « bonheur », ce que le monde moderne lui-même a démenti de la plus cruelle et brutale des manières (destruction de la nature, des peuples, des sociétés civilisées et de nombreuses espèces animales et végétales). Le registre fossile montre l’existence d’espèces complexes antérieurs à des espèces plus « simples » mais tout aussi adaptés à leur environnement. Le Q.I. baisse au sein de la population européenne, le niveau éducatif et les débats proposés dans de nombreux médias sont souvent d’une médiocrité consternante, et les comportements irrationnels ou destructeurs de nombreux « modernes » sont légions et manifestes.
Or, ceux qui sont plus proches de la nature, et donc de la spiritualité et de la réalité (dans et par lesquelles nous sommes apparues selon les modalités décrétées par la Source de toute chose) évitent la corruption de l’âme et la manifestation de ses vices, là où les sociétés consuméristes et industrielles engendrent des maux terribles, au point de fonder les interactions humaines sur des calculs politiques, opportunistes et pécuniaires, interdisant souvent « l’authenticité » et compromettant en permanence, l’intégrité intellectuelle et morale des individus, alors obligés de se « dissimuler » dans des illusions qu’ils doivent constamment entretenir … Une vie bien misérable et factice en somme.
Même le rapport à la pauvreté diffère radicalement. Ainsi, une pauvreté dans un monde baigné par la spiritualité est vécue dans la foi, la sérénité, l’endurance, la gentillesse, l’humilité, et l’acception de la situation présente, en appréciant les bienfaits de la vie et se contentant de ce qui se trouve à leur portée ; la joie dans les choses simples de la vie. A contrario, une pauvreté dans une société matérialiste constitue un terreau fertile à la criminalité et à la délinquance, comme on peut le voir malheureusement dans les pays fortement industrialisés et consuméristes (notamment aux Etats-Unis par exemple).
De la même manière, certaines personnes de condition modeste, dans les zones encore traditionnelles (dont la foi est vécue dans une ambiance spirituelle), qui ne conceptualisent pas la foi à travers un paradigme, mais qui se contentent de vivre la foi (basée sur les piliers de l’Islam et de la foi) par le cœur et les actes de la futuwwa (générosité, piété, équité, altruisme, humilité, …) sont restées dans la voie de l’Islam et de la fitra, et parlent peu, mais leur présence et leur façon d’être, – authentique et sans calcul opportuniste -, et devancent ainsi, dans la voie de la piété et de la spiritualité, de nombreux prétendants à la science, au réformisme et à l’orthodoxie. Et pourtant, ces gens modestes sont parmi ceux dont la seule présence suffit à nous rappeler à Allâh, à faire fondre les cœurs le plus durs, à nous enseigner l’humilité, et à vivifier la foi, et à nous sentir honteux de notre arrogance et de notre mode de vie des plus superficiels et toxiques.
Ils sont l’illustration de ces deux sublimes versets : « Adorez Allâh et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté envers (vos) père et mère, les proches, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur, et les domestiques sous votre responsabilité, car Allâh n’aime pas, en vérité, le présomptueux, l’arrogant » (Qur’ân 4, 36) et « La bonté pieuse ne consiste pas à tourner vos visages vers le Levant ou le Couchant. Mais la bonté pieuse est de croire en Allâh, au Jour dernier, aux Anges, au Livre et aux prophètes, de donner de son bien, quelqu’amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l’aide et pour délier les jougs, d’accomplir la Salât (prière rituelle) et d’acquitter la Zakât (aumône obligatoire). Et ceux qui remplissent leurs engagements lorsqu’ils se sont engagés, ceux qui sont endurants dans la misère, la maladie et quand les combats font rage, les voilà les véridiques et les voilà les vrais pieux » (Qur’ân 2, 177),
Loin des prétentions des modernes et de certains savants, ils ne prétendent (à) rien, mais vivent la foi d’une façon digne, pure, profonde et quotidienne. Leur endurance, leur patience et leur bonté d’âme sont motivées par la foi, et leurs malheurs sont transcendés et atténués par la foi. Leur compagnie n’est que joie, réconfort et apaisement. Leur sourire est une source inépuisable de lumière et de spiritualité. Bénéficier de leur compagnie est un moyen d’acquérir la sagesse, d’éduquer son âme, et de tirer des enseignements de leur expérience de vie, et cela est souvent plus efficace et opératif que la lecture de nombreux livres ou que la participation à de nombreux débats.
Le Prophète Muhammad ﷺ a dit : « Parmi les meilleurs d’entre vous, ceux qui, quand vous les voyez, vous rappellent Allâh » (Hadîth rapporté par At-Tirmidhî).
Chez eux, trouver de l’orgueil est peine perdue en ce qui concerne les œuvres pieuses et l’amour d’Allâh et de Ses prescriptions, car ils font partie de ceux qui disent : « La seule parole des croyants, quand on les appelle vers Allâh et Son messager, pour que celui-ci juge parmi eux, est : « Nous avons entendu et nous avons obéi ». Et voilà ceux qui réussissent » (Qur’ân 24, 51). De même qu’ils seront parmi les bons Compagnons : « Quiconque obéit à Allâh et au Messager… ceux-là seront avec ceux qu’Allâh a comblés de Ses bienfaits : les prophètes, les véridiques, les martyrs, et les vertueux. Et quels bons compagnons que ceux-là ! » (Qur’ân 4, 69).
Ils nous apprennent ainsi comment vivre sereinement et intelligence notre vie et l’existence, avec gratitude, « authenticité » et « dignité », là où la « modernité » nous conduit à l’obscurité et à une vie sans saveur ni piété.