Le maître spirituel, l’imâm doté de solides connaissances dans les sciences islamiques, un océan de savoir doté de charismes et de dévoilements spirituels, l’illustre poète, l’amoureux du Très-Haut, le serviteur muhammadien, la fierté du monde persan, le martyr face aux mongols, le célèbre Farîd ud-Dîn Attâr a écrit dans son Manṭiq al-ṭayr (Le langage des oiseaux) ce magnifique poème en l’honneur de notre maître ‘Alî, l’imâm de la foi, le prince des croyants, le lion de l’Islam, le chevalier de la foi, l’héritier spirituel du Prophète, le maître spirituel de la communauté musulmane, le sceau des califes bien-guidés, le défenseur de la voie prophétique, le gendre du Prophète, l’époux de la sainte fille du Prophète Muhammad, Sayyida Fatima, le noble martyr :
« Seigneur du Vrai, guide véritable, pôle de foi
Montagne de patience, porte de la science (1)
Echanson du Kawthâr (2) et maître de la Voie
Le cousin du Prophète, lui, le lion du Seigneur
Murtadâ (3) l’élu, l’époux de Zahrâ, la pure
Seigneur immaculé et gendre du Prophète
Il est venu pour indiquer la voie du Vrai
En porteur des réponses du « questionnez-moi » (4)
A lui la dignité d’être celui qui guide
A lui échoit la charge grandiose du jugement (5).
Puisqu’il est confident des secrets du Seigneur
De sa haute clairvoyance, on ne saurait douter
L’âme sait que ‘Alî fut des hommes le plus juste
Et qu’il s’était éteint dans l’Essence Divine (6)
Si le souffle du Christ a su ressusciter
En un seul souffle, ‘Alî guérit une main coupée
Lui, le saint agréé, quand la Ka’aba fut prise
En brisa les idoles, sur l’épaule du Prophète
Dans son coeur, il y avait les perles du mystère
C’est pourquoi comme Mûsa, sa main était lumière (7)
Car s’il n’avait pas eu la main luminescente
Comment aurait-il pu tenir son Zulfiqâr (8) ?
Tantôt il bouillonnait de tout ce qu’il était
Et tantôt seul au puits, il livrait ses secrets (9)
Car dans les horizons il ne trouva personne
A qui se confier. Il voyagea en lui
Mais ne trouva personne digne de ses secrets (10) ».
(1) Allusion au hadîth prophétique : « Je suis la Cité de la Science et ‘Ali en est la porte (le portail) ; quiconque désire se rendre à la cité doit passer par la porte » (rapporté par Al- Hâkim dans son Al-Mustadrak, 3/126, par l’imâm Ahmad dans son Musnad et par d’autres). D’après Fakhr ud-Dîn Ar-Râzî dans son Tafsîr et Al-Muttaqî al-Hindî dans Kanz Al-’Ummâl, l’imâm ‘Alî a dit : « De la science, le Messager d’Allâh m’enseigna 1000 portes (voies). Chacune de ces portes s’est ramifiée en 1000 portes ».
(2) C’est le nom de l’une des sources qui coulent au Paradis, et dont ‘Alî fera boire les croyants, fonction accordée par Allâh.
(3) L’un des noms de ‘Alî, signifiant celui qui est agréé par Allâh.
(4) Allusion à une parole de l’imâm ‘Alî : « Questionnez-moi avant que de me perdre (mort terrestre) ! ». Rapporté avec des variantes par At-Tabarî dans son Tafsîr 26/116, par Ibn Sa’d dans ses Tabaqât 2/2/101, par Ibn Hajar dans son Fath ul-Bârî 10/221 et d’autres.
(5) Cela ne concerne pas le Jour du Jugement où c’est Allâh seul qui jugera. Cependant à certains êtres, dont les Prophètes et certains autres êtres saints, l’intercession et certains jugements passeront par eux, par la Permission et la Grâce Divine.
(6) Cela fait référence à la station du fanâ’, l’extinction de l’ego où la conscience unitive se manifeste pour dissiper la conscience séparative (des choses créées).
(7) Allusion au miracle opéré par le Prophète Mûsa relaté dans le Qur’ân (7, 128) où il sortit de son col (près de son cœur) une main luminescente. Cela renvoie donc aux prodiges spirituels de l’imâm ‘Alî qu’Allâh lui accorde.
(8) C’est le nom de l’épée à double pointe que maniait l’imâm ‘Alî, qu’il avait reçue du Prophète Muhammad. Les deux pointes symbolisent aussi bien l’exotérisme et l’ésotérisme, que le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle. « (Le Prophète) Muhammad pensa qu’il ne le prendrait pas et qu’il ne pourrait pas le manier. Cependant ‘Alî ayant pris le sabre et se jetant dans la lutte, le Prophète le vit combattre avec fougue, frapper avec Dhû’l-fikar en avant, en arrière, à droite et à gauche. Un qurayshite s’étant présenté devant lui, se couvrant de son bouclier, Alî le frappa de façon que le sabre pénétra à travers le bouclier et le casque, fendit la tête de cet homme et traversa son corps jusqu’à la poitrine. Le prophète, en voyant cet exploit, dit : Il n’y a pas de sabre comme Dhû’l-fikar, et il n’y a pas de héros comme ‘Alî » (At-Tabarî dans son Târîkh).
(9) Ses enseignements ésotériques, approfondissant les sciences exotériques, respectant aussi bien la forme que l’esprit du Qur’ân et de la Tradition prophétique purifiée.
(10) Allusion à sa parole : « Il y a là-dedans des sciences synthétiques ; si seulement je trouvais quelqu’un pour les porter » (cité par Ibn ‘Arabî, Futûhât, Chap. 30 – Des deux catégories de Pôles « cavaliers du désert ».
Un puits de sang
« Muhammad s’arrêta un jour auprès d’un puits
Et envoya un homme chercher l’eau pour ses troupes
Celui-ci s’en revint tout haletant et dit :
« Le puits est plein de sang et il n’y a point d’eau ! »
Et le Prophète dit : « Sans doute est-ce le puits
Auquel ‘Alî, souffrant, confia ses secrets
Mais le puits ne pouvait supporter cette plainte
Il s’est rempli de sang et il n’y a plus d’eau »
Celui qui dans son âme porte une telle charge
Son cœur peut-il avoir une fourmi (ou un atome) de rancune ?
Si ton être bouillonne à force de fanatisme
Sache que lui, ‘Alî, ne fut jamais ainsi !
Ne juge pas ce lion à l’aune de toi-même
Car submergé en Lui, ‘Alî savait le Vrai
Il est tout absorbé dedans la Vérité
Rejetant loin de lui tes pauvres illusions
S’il était comme toi, tout rempli de rancune
Il aurait fait la guerre à l’armée du Prophète,
Lui, plus brave que toi sans l’ombre d’un seul doute
Pourquoi ne fit-il pas la guerre pour le pouvoir ?
Si Abû Bakr avait été usurpateur
Ne crois-tu pas qu’Alî se serait fait justice ?
Ainsi lorsqu’Aîsha voulut lui faire la guerre
Mais dans une intention éloignée de la foi
‘Alî voyant le trouble issu de ces combats
Parvint à repousser ses troupes par la force
Lui qui pouvait ainsi combattre la fille (1)
Savait sans aucun doute comment traiter le père (2) !
Mais toi, pauvre petit, tu ne sais rien d’Alî
Tu n’en sais que le A et le L et le Î (3)
Toi, tu t’aimes toi-même, d’où le trouble où tu es
Tandis que lui, il aime, à en donner sa vie
Lorsqu’il voyait mourir ses amis à la guerre
L’impétueux ‘Alî s’en trouvait affligé
« Pourquoi, se plaignait-il, ne suis-je pas mort aussi ?
Puisque à présent ma vie est misère à mes yeux ! »
Mais on lui répondait : « Que dis-tu ô ‘Alî
Ta vie est un dépôt si précieux, ô ‘Alî ! » ».
(1) Allusion à ‘Aîsha bint Abû Bakr, l’épouse du Prophète, qui participa à la bataille du chameau avec une bonne intention, mais qui était une erreur, malgré son désir de punir les assassins du beau-fils et compagnon (‘Uthmân) du Prophète Muhammad.
(2) Allusion à Abû Bakr. Si Abû Bakr était un plus grand ennemi et usurpateur qu’Aîsha, ‘Alî l’aurait alors combattu encore plus vigoureusement. Or, il fit son éloge, lui prêta allégeance et invoqua la Miséricorde d’Allâh sur lui. Quant à ‘Aîsha, il ne la toucha même pas, lui tint de belles paroles, et la fit conduire en lieu sûr dans le plus grand des respects, puis ‘Aîsha lui prêta main forte dans son combat contre les khawarij, ce qu’apprécia énormément l’imâm ‘Alî.
(3) Comme le note Leili Anvar dans sa traduction Le cantique des oiseaux (éd. Diane de Selliers, 2014, p. 72, note 146) : « Au-delà des lettres que donnent la forme, doit se lire l’esprit : Attâr prévient son lecteur que la réalité prêchée par ‘Alî surgit et brille au-delà des trois caractères arabes qui servent à calligraphier son seul nom. A l’instar de toutes les formes contenues dans le monde créé, les noms et les lettres sont autant de signes investis d’une puissance sacrée. Malgré cela, il ne s’agit pas de s’arrêter à la forme : si l’on ne voit dans les lettres du nom sacré d’Alî que des lettres, c’est que l’on a pas saisi l’essence du signifié. Ce paradoxe du « signe », qui révèle et cache à la fois revient de manière récurrente tout au long du Cantique » (Manṭiq al-ṭayr).
Donner sa vie
« Il y eut ‘Alî et il y eut Abû Bakr
Submergés l’un et l’autre dans la quête du Vrai
Le jour où le Prophète s’abrita dans la grotte
‘Alî, cette nuit-là, prit place dans son lit (1)
Ce lion d’Allâh ainsi a su offrir sa vie
Pour sauver le plus grand qui fut parmi les grands
Et quant à Abû Bakr, affrontant les serpents (2)
Il fut prêt lui aussi à sacrifier sa vie
Tous deux donc, dans sa voie, ont su donner leur vie
Tous deux ont pris des risques pour le protéger
Et tous deux ce faisant, ont prouvé leur bravoure !
Et toi, en fanatique, tu soutiens l’un ou l’autre ?
Fais comme eux et décide de sacrifier ta vie (pour Sa Cause)
Ou alors fais silence et cesse ces pensées !
Tu ne connais, ami, qu’Abû Bakr et ‘Alî
Hélas, tu ne sais rien du Dieu de toute vie
Laisse donc là cela, cette histoire est scellée
Sois un homme du Vrai comme le fut Râbi’a
Qui n’était pas une femme mais plutôt 100 hommes
Et de la tête aux pieds, elle n’était que douleurs (pour Lui)
Sans cesse submergée dans la Lumière Divine
Libérée des pensées éparses, concentrée ».
(1) Lorsque le Prophète fut persécuté et dût partir vers Médine en fuyant la Mecque, il ne put compter que sur son fidèle compagnon Abû Bakr pour l’accompagner et l’assister, et durant un temps, se réfugièrent tous 2 dans la grotte de Sûr, quand au même moment, ‘Alî prit la place du Prophète dans son lit, pour déjouer le complot des qurayshites idolâtres dans le but d’éliminer le Prophète.
(2) Lorsque le Prophète Muhammad et Abû Bakr se réfugièrent dans la grotte, Abû Bakr montra sa sincérité et sa détermination à protéger le Prophète face aux serpents, en tenant ses pieds contre les trous par lesquels les serpents pouvaient entrer dans la grotte.
Le martyr d”Alî :
« Lorsque ce malheureux (1), par la force du destin
Porta le coup fatal à cet élu d’Allâh
On porta un breuvage spécial à ‘Alî
Mais lui, il demanda : « Où est mon meurtrier ?
Donnez-lui donc à boire puis prenez soin de moi Car il sera bientôt mon compagnon de route ».
Mais lorsqu’on lui porta à boire, cet homme dit :
« Par son courroux, ‘Alî veut donc m’empoisonner ! »
« Hélas, dit ce grand saint, car à la vérité
Si ce pauvre assassin avait bu à ma coupe
Moi, je n’aurais pas mis le pied au Paradis
Ni ne serais allé auprès d’Allâh sans lui ! ».
Cet homme l’avait tué, mais ‘Alî, magnanime
Voulait l’emmener au Paradis avec lui
Lui, si compatissant envers son ennemi
Tiendrait-il rancune à Abû Bakr, le sincère ?
Lui, si préoccupé du sort d’un assassin
Aurait-il donc l’idée d’être ennemi d’Umar ?
On ne trouvera pas dans ce monde sans bord
Quelqu’un qui aime As-Siddîq (Abû Bakr) autant qu’Alî l’aimait
Cesse de répéter qu’il fut une victime (2)
Qu’il a été privé, chassé du califat
‘Alî est le Lion d’Allâh (3), coiffé d’une couronne
Qui pourrait opprimer, dis, un lion tel que lui ? ».
(1) Allusion à Ibn Moljam Morâdi qui blessa mortellement l’imâm ‘Alî en l’an 661 et qui fut son ancien compagnon avant de se retourner contre lui car l’imâm ‘Alî avait refusé de livrer un combat dans le sang pour récupérer le califat. A noter que certains rapporteurs ont accepté les narrations de cette personne, qui n’était pas connue pour ses mensonges, malgré la grande injustice portée contre l’imâm ‘Alî, mais faisant de l’imâm ‘Alî un noble martyr. Les compilateurs de ahadiths qui l’ont accepté ne l’ont pas fait pour cet acte terrible, mais pour ses autres qualités, et en vertu de la bonne opinion que l’imâm ‘Alî avait toujours de lui, et qui selon ce récit, lui pardonna cet acte odieux.
(2) A force de répéter que l’imâm ‘Alî était une victime, les shiites partisans de cette thèse, ne le font passer que pour un incapable, un lâche, un hypocrite et un menteur, ce qui est la pire insulte possible portée à son honneur, lui, le véridique, le brave, le chevalier, notre maître ‘Alî ! Si l’imâmat de l’imâm ‘Alî était une obligation religieuse et communautaire, et si, comme le prétendent la plupart des shiites duodécimains, ‘Alî était doté de superpouvoirs dignes du Divin (ou proche de Lui), il aurait manifesté ses prodiges et imposé son pouvoir par la puissance aussi bien que par la sagesse, car il ne pouvait pas désobéir consciemment à un Ordre Divin et à l’injonction du Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm). Il y a donc, dans la réalité historique, acceptée aussi par les adeptes shiites de cette thèse, une réfutation de la thèse imamite à ce sujet.
(3) Surnom connu donné à l’imâm ‘Alî en raison de son courage et de sa force par lesquelles il s’est maintes fois illustré sur le champ de bataille.