Dissipation des préjugés autour du Wahhabisme et des problématiques qu’il pose

Il est courant d’entendre des allégations et informations erronées de part et d’autre, dès qu’il est question du wahhabisme (et de la tendance salafiste en général, qui se décline en plusieurs groupes). Sans rentrer dans les détails, nous listerons une réfutation des différents points souvent soulevés dans les débats où le sujet est évoqué, et nous tenterons également de répondre aux problématiques socio-psychologiques posées par le wahhabisme au-delà du point de vue purement islamique.

Pour résumer les choses, voici ce qu’il en est vraiment, lorsqu’une personne étudie le plus objectivement possible, le wahhabisme :

– Le Wahhabisme n’est pas l’Islam, mais qu’une approche de l’Islam parmi d’autres.

– Le Wahhabisme n’est pas l’approche orthodoxe de l’Islam mais un courant déviant sur plusieurs points du point de vue islamique.

– Le Wahhabisme n’est pas un pur produit de l’école hanbalite, mais un courant qui bricole et puise ici et là, sans méthodologie rigoureuse, des avis anciens et nouveaux sur un certain nombre de questions. De nombreux wahhabites contredisent d’ailleurs plusieurs avis et la méthodologie de l’imâm Ahmad.

– Le Wahhabisme a été réfuté par de nombreux savants hanbalites du Najd. Ses premiers opposants furent des hanbalites, y compris des hanbalites taymiyyiens.

– Même si Mohammed Ibn Abdel Wahhâb reconnait l’orthodoxie et la nécessité du tasawwûf en Islam, il n’en a pas suivi l’éthique, les convenances et les doctrines dans la pratique.

– Le Wahhabisme contredit l’Islam sur plusieurs points théologiques, juridiques, éthiques, rituels et spirituels.

– Le Wahhabisme comporte des innovations blâmables sur le plan doctrinal ainsi que dans le fiqh.

– Mohammed Ibn Abdel Wahhâb a contredit également Ibn Taymiyya et Ibn Al Qayyim sur plusieurs points importants et d’autres moins importants.


Une fois que la réfutation a été faite sur le plan intellectuel, il serait intéressant de traiter des aspects sociologiques et psychologiques du mouvement :

1) Pourquoi l’apparition du wahhabisme ?
2) Pourquoi le wahhabisme séduit autant les jeunes ?
3) Pourquoi un mouvement réputé dur et hérétique réussit a s’adapter aux époques et perdurer sur plusieurs générations ?
4) Quelles sont les questions et les débats que le wahhabisme a ouvert au sein de la Ummah ?

Ce sont des questions et des problématiques qui sont très intéressantes à traiter.
Mais le wahhabisme reste une mouvance récente, et ces questions peuvent s’appliquer pour quasiment tous les mouvements qui ont perduré sur plusieurs générations (des décennies à plusieurs siècles ou même plus).


1) Pourquoi l’apparition du wahhabisme ?

Dans le Najd saoudien et ailleurs, des superstitions et un relâchement des moeurs étaient répandus, pas partout ni chez tout le monde, mais dans certains milieux. C’est là une vérité que rappellent les wahhabites à juste titre. Cependant ce relâchement des moeurs et l’existence de superstitions n’étaient pas des choses nouvelles, et ont existé dès l’époque des salafs selon les régions et les milieux sociaux. Là où les wahhabites se trompent, c’est qu’il existait encore au temps de Mohammed Ibn Abdel Wahhâb, et dans sa région notamment, des savants maitrisant le Tawhîd, qui suivaient la Sunnah et se préservaient des innovations blâmables, à commencer par son propre père et son propre frère Sulaymân, qui étaient des savants hanbalites érudits, vertueux et respectés. La vision wahhabite sur l’histoire est donc caricaturale, biaisée et manichéenne, en témoigne l’abondance des écrits visant à réfuter le wahhabisme de son vivant et juste après, et rien qu’en milieu sunnite, on en compte plus d’une centaine, de la part de savants sunnites issus des 4 écoles juridiques majoritaires sunnites. Certains écrits étant très pointilleux et pertinents, d’autres qui le sont moins, et d’autres encore qui ne se sont basés que sur des rumeurs ou des sources peu crédibles de seconde main. Ensuite, l’extrémisme, l’étroitesse d’esprit et les déviances doctrinales de ce mouvement, qui interdisait des pratiques licites en Islam, et qui innovaient dans les conditions et la compréhension du Tawhîd et du takfir, ont fait que ce mouvement s’est très vite endurci, fanatisé et politisé. Au départ, il y avait sans doute une certaine sincérité et détermination dans leur vision et leurs objectifs. Mais le manque de science et de clairvoyance et de pondération de Mohammed Ibn Abdel Wahhâb, et surtout de ses suiveurs et successeurs, – parfois encore plus fanatiques et violents que lui -, ont amené une situation chaotique (pillage des lieux saints de La Mecque et de Médine, destruction du patrimoine islamique, absence de spiritualité et d’éthique, faire le jeu des puissances colonisatrices, massacre des musulmans, aussi bien les civils, que les mujahidin, les pieux, les savants, les moins pieux, etc.), et surtout, n’ont pas réussi à éradiquer ce qu’ils s’étaient proposés de faire : le shirk de certains milieux ignorants des gens de la masse, une société pieuse, retrouver l’éclat civilisationnel de la civilisation islamique, la justice sociale, etc. Au contraire, tout cela semble avoir empiré, malgré quelques aspects positifs. Un mouvement n’apparait presque jamais sans raison apparente. Souvent, un mouvement apparait pour faire face à certains problèmes ou excès, – ou perçus comme tels en tout cas par certaines personnes ou catégories de personne -, mais à son tour, le nouveau mouvement peut comporter d’autres types d’excès et de problèmes, – ou perçus comme tels -. On peut dire qu’à l’origine, le wahhabisme était principalement un symptôme (relâchement des moeurs et ignorance religieuse dans certains milieux) mais devenant rapidement un problème en soi sur plusieurs plans par la suite. Et de nos jours, le wahhabisme est à la fois un problème et un symptôme liés aux crises diverses que traversent le monde entier. Quand des gens peu informés, entendent parler d’une personne qui appelle les gens à la Vérité, et dans le cas de l’Islam, au Qur’ân et à la Sunnah selon la voie des pieux prédécesseurs, dans une société où l’on voit des choses étranges et choquantes, il est normal que la première réaction soit positive car c’est un discours qui nous parle. Mais il faut s’assurer ensuite que ce slogan corresponde à la réalité. Des intellectuels divers de haut niveau furent ainsi induit en erreur, défendant initialement le wahhabisme (car pensant qu’il s’agissait d’un retour pur et intégral au Qur’ân et à la Sunnah, sans les dérives qui sont apparues au fil des siècles), tels que Malek Bennabi, Muhammad Asad, Roger Dupasquier, Haydar Bammate et même le Shaykh As-Shawkanî, mais en étudiant profondément le Wahhabisme, ils ont vu les problèmes, les dérives et les innovations blâmables de ce mouvement, et s’en sont donc naturellement éloignés. En effet, le Wahhabisme ne possède pas de méthodologies (ussûl) ni de chaînes de transmissions (sanad) dans la science, remontant jusqu’aux compagnons du Prophète, – même si Mohammed Ibn Abdel Wahhâb avait eu des professeurs et savants traditionnels comme enseignants, il dira lui-même qu’il rejettera beaucoup de leurs enseignements doctrinaux et juridiques, et il n’avait jamais été considéré comme un élève brillant -. Nous n’avons pas attendu le Wahhabisme pour connaitre l’Islam, et depuis plus de 1200 ans, le monde musulman avait accès déjà aux meilleures sources pour connaitre l’orthodoxie islamique, sans devoir adhérer aux innovations blâmables apportées par le Wahhabisme (en dehors des aspects conformes à l’Islam que le Wahhabisme enseignait aussi). Dans les ouvrages classiques, les musulmans peuvent déjà avoir une bonne approche de l’Islam, où la majorité des points ne pose aucun problème, et où quelques points peuvent être contestés (environ 90% de bonnes choses, 5% de choses douteuses, et 5% de choses erronées ou vraiment problématiques), tandis qu’avec les livres publiés par les Wahhabites, c’est plutôt la tendance inverse qui s’observe, ce qui cause de nombreux problèmes et doutes chez les nouvelles générations. De même, il faut distinguer le « Wahhabisme » du sous-continent indien (avec des figures comme Ahmad Sirhindî, Shah Waliyullah ad Dahlawî, Shaykh At-Thanwî, Abû al Hassan An Nadwî) qui étaient des sûfis et des adeptes des écoles juridiques sunnites, avec une grande ouverture intellectuelle et une érudition remarquable (aussi bien dans les sciences islamiques que dans l’histoire, les sciences et la littérature) qui était vu comme une revivification du sunnisme par rapport à la situation de la masse de l’époque, et le Wahhabisme Najdite qui n’était pas spirituel, ni érudit, ni en lien avec les écoles classiques du sunnisme, et avec une vision manichéenne des choses, en plus d’avoir fait preuve d’une rare violence pour leurs ambitions politiques. Les « Wahhabites » du sous-continent indien n’ont donc aucun rapport avec les « Wahhabites najdites ».


2) Pourquoi le wahhabisme séduit autant les jeunes ?

Parce que les jeunes sont las des pressions, contradictions et discriminations issues des milieux et des autorités laïcards, tout comme de l’ignorance de certains imams ou prédicateurs musulmans, qui occultent certains sujets importants, qui ne maitrisent pas d’autres sujets, ou qui mentent carrément sur la religion pour faire plaisir aux gouvernements. Les jeunes, manquant de clairvoyance et de recul, tombent alors vite dans l’excès inverse, et se jettent dans les bras des premiers venus qui prétendent enseigner la vérité qu’on nous cache. Les slogans trompeurs du wahhabisme aident beaucoup aussi dans la séduction des jeunes “le Qur’ân et la Sunnah” alors que le wahhabisme contredit le Qur’ân et la Sunnah sur plein de points ; “selon la compréhension des pieux prédécesseurs” alors qu’ils contredisent de nombreux pieux prédécesseurs, – au-delà des divergences qui opposaient même les salafs entre eux -, sur le tabarrûk, le tawhîd, le takfir, le Jihâd, le tawassûl, le comportement, les questions juridiques, etc.


3) Pourquoi un mouvement réputé dur et hérétique réussit a s’adapter aux époques et perdurer sur plusieurs générations ?

Car les problèmes politiques, l’absence d’une éducation spirituelle et religieuse de qualité, les persécutions, les conflits contemporains imposés au monde musulman, le fanatisme (de part et d’autre), les mensonges, les calomnies et autres diffamations, persistent et demeurent toujours.


4) Quelles sont les questions et les débats que le wahhabisme a ouvert au sein de la Ummah ?

La façon de comprendre et d’interpréter le Qur’ân et la Sunnah, le rapport aux écoles juridiques et à leur méthodologie, l’orthodoxie des écoles théologiques classiques en milieu sunnite (asharisme, maturidisme, atharisme), les rapports avec le shiisme, le sûfisme (qui fait partie du sunnisme classique), les autres courants islamiques et la question des minorités religieuses en terres d’Islam. La conception du Jihâd, l’attitude avec les non-musulmans, la question de la modernité (aussi bien sur le plan conceptuel que technique), etc.


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