Biographie : René Guénon (de son nom musulman Shaykh Abdel Wahîd Yahyâ)

René Guénon était un intellectuel musulman d’origine française. Né le 15 novembre 1886 à Blois en France et mort le 7 janvier 1951 au Caire en Egypte.

Il est le métaphysicien, le sûfi, le logicien, l’écrivain, le penseur, le polyglotte, l’interprète par excellence de la Tradition, l’intellectuel hors-pair, le professeur, le mathématicien, le connaisseur de la philosophie et des idéologies modernes, le savant musulman (il étudia la langue arabe, le droit, la théologie, l’exégèse, la vie du Prophète, les ahadiths, l’histoire de l’islam et le tasawwûf), le théologien, l’historien des civilisations, l’épistémologue, le connaisseur des religions comparées, de l’ésotérisme, de l’occultisme, des mouvements spirites et new-âge ainsi que des courants de pensée de son temps. Selon les témoignages de ceux qui l’ont connu, il était effacé, humble, pieux, charismatique, intelligent, érudit, pudique, généreux et toujours occupé avec la Vérité n’en déplaise à ses ennemis, etc.

Si on doit le juger selon son degré de connaissance et les sujets qu’il a traité avec pertinence et maîtrise, on peut dire qu’il était bien théologien, logicien, historien, sociologue, psychologue, mathématicien, linguiste, épistémologue, spécialiste de la philosophie, des religions et de l’art, en plus d’avoir été aussi métaphysicien, écrivain et polyglotte (français, anglais, allemand, latin, grec ancien, arabe, hébreux, chinois, …) au savoir encyclopédique impressionnant (physique, astronomie, biologie, zoologie, religions et philosophies comparées, histoire, psychologie, archéologie, médecine, art, etc.). Ses développements dans tous ses sujets, ont été salués par des spécialistes divers de premier plan (Seyyed Hossein Nasr, Abdelhaqq M. Hamza, Hamza Benaissa, Inès Safi, Bruno Abdelhaqq Guiderdoni, Huston Smith, William Stoddart, Martin Lings, Titus Burckhardt, Jean-Louis Michon, …) et corroborés par les faits vérifiables (notamment sur les crises diverses qu’il a prévu, avant qu’elles se produisent de façon visible et évidente pour tous les observateurs de notre époque) et les découvertes scientifiques, archéologiques et historiques qu’il avait pressenti, notamment sur la civilisation arabo-musulmane et islamique, la Chine, le monde celte, etc., qui se sont accumulées au cours des 7 décennies qui ont suivi sa mort.

Serviteur de l’Unique (et donc de la Vérité), il ne mettait pratiquement jamais son individualité en avant afin de s’effacer pour ne laisser place qu’à la manifestation de la vérité. Il ne faisait jamais de concessions qui impliquaient « d’arrondir les angles » ou de travestir la réalité, même pour faire valider certaines de ses thèses de doctorat ou de ses articles dans des revues influentes de l’époque. La Vérité, pour Guénon, primait sur tout le reste. Ainsi, Guénon a collaboré avec des catholiques, des franc-maçons et d’autres auteurs issus de milieux très divers, mais il n’hésita jamais à critiquer les déviances ou les lacunes qu’il pouvait déceler dans ces mêmes milieux (que ce soit chez les catholiques, les franc-maçons, les laïcs, les spirites et autres occultistes par exemple), et ce, jusqu’à ce qu’il parte vivre en Egypte où il se détacha de tous ses milieux, pour ne se limiter qu’à des correspondances épistolaires afin de répondre aux questions que de nombreuses personnes lui posaient depuis l’étranger, ou pour qu’il puisse lui aussi obtenir des informations et des renseignements utiles sur divers sujets.

Dans ses études, il avait d’excellents résultats dans les branches scientifiques, les mathématiques, la philosophie et la littérature. Formé aussi dans la philosophie des sciences, les mathématiques supérieures et la philosophie, il se passionna de spiritualité et possédait un véritable savoir encyclopédique embrassant de nombreux domaines : métaphysique, philosophie (antique, médiévale, moderne, islamique, orientale, …), l’histoire, l’histoire des civilisations, les mathématiques, la biologie, la zoologie, la physique, l’astronomie, les sciences traditionnelles (alchimie, science des lettres, l’astrologie traditionnelle à ne pas confondre avec l’astrologie new-âge des charlatans, …), la sociologie, la psychologie, la psychanalyse, la médecine, la littérature anglaise, allemande, française, islamique et orientale, les religions comparées, la logique, la rhétorique, les sciences islamiques, les corpus chrétiens et juifs, l’enseignement des grands maîtres spirituels de l’Orient, l’occultisme et ses dérives, les sectes new-âge, la franc-maçonnerie (dans sa complexité), la politique, l’histoire politique, les idéologies modernes, l’archéologie, la paléontologie, la philosophie des sciences et l’épistémologie, etc.

Sa bibliothèque comptait au moment de sa mort en 1951 en Egypte plus de 3000 volumes, on y trouvait des ouvrages sur la physique, les mathématiques, la biologie, la zoologie, l’archéologie, la philosophie, l’histoire, la sociologie, etc., ainsi que :

Près de 50 sur l’Islam.

Près de 50 sur la Chine dont certaines en version originale sur papier de riz.

Près de 50 d’hébraïsme dont certains en hébreu.

Près de 200 sur la Franc-Maçonnerie.

Près de 400 ayant l’Inde, le Thibet, l’huindouisme, etc., pour sujet.

Une série d’ouvrages sur le spiritisme, le Martinisme, l’hermétisme, la théosophie, les Rose-Croix, les Cathares, l’alchimie, l’astrologie, la Philosophie des Nombres (Les Nombres en quatre tomes édité à Paris en 1644), la Magie (tel ce Dictionnaire Infernal de J. Collin de Plancy – Paris 1863).
Et cela, sans parler des ouvrages dont il fit don à ses amis, ceux qu’il a laissé en France, ceux qu’il a consulté (sans pouvoir les acheter) et enfin, sans oublier tous les cours et échanges qu’il a eu par voie orale directe avec des professeurs, des savants musulmans, des scientifiques et d’autres intellectuels.

Lors de sa formation intellectuelle durant sa jeunesse, en cours privé ou public, il étudia auprès de théologiens et abbés chrétiens, de philosophes, de philosophes de sciences, de mathématiciens, d’historiens, de sociologues, de logiciens, de scientifiques, d’écrivains et autres.

Il avait une étonnante facilité à parler plusieurs langues, comme le français, l’anglais, l’italien, l’espagnol, l’arabe, l’hébreux, le grec ancien, le latin, le sanskrit et d’autres langues encore. Selon la fille de René Guénon (Laila Guénon), qui nous l’a affirmé le 10 juillet 2019, il connaissait l’arabe, le persan, le français, l’allemand, l’ourdou, le russe, l’anglais, le latin, l’hébreux, le grec et l’espagnol. Mais elle n’est pas totalement sûre pour le chinois, le turc et quelques autres langues encore, bien qu’il en avait clairement des notions.

Il fréquenta aussi, en Algérie (en 1917) mais aussi surtout en Egypte, plusieurs maîtres spirituels sûfis et savants exotériques musulmans (juristes, théologiens, spécialistes du hadîth, exégètes du Qur’ân, linguistes, historiens, chercheurs, …).

Il entretint de nombreuses relations et correspondances avec des artistes, des philosophes, des scientifiques, des historiens, des sociologues, des maîtres spirituels, des érudits, des théologiens, etc. de tous bords, qu’ils soient musulmans, chrétiens, hindous, déistes, agnostiques ou autres. Tous furent impressionnés par son érudition, son charisme spirituel, sa simplicité, son humilité et sa discrétion.
Beaucoup étaient frappés par sa manière d’être, Gonzague Truc déclara d’ailleurs : « Il a été, dans l’espèce douée de la parole, un de ces êtres infiniment rares qui ne disent jamais « je » » (Xavier Accart : “Le renversement des clartés”, p. 83). Il semblait toujours calme, d’humeur égale, toujours bienveillant sans jamais un mot blessant avec ceux qui le contredisaient (Ibid., p. 84). Pierre Naville décrivit « un ton si paisible, proche et lointain tout ensemble, de cet homme qui vivait dans cet ailleurs » (p. 85). Pour ses lecteurs, il semblait déjà incarner cette « élite » qu’il appelait de ses vœux et décrite à la fin d’Orient et Occident : désindividualisée face à la vérité, détachée des émotions.


Voulant voir de l’intérieur les cercles occultistes et maçonniques, il prit par la suite ses distances et dénonça l’éloignement (ou l’opposition) de la perspective traditionnelle dans de nombreuses loges maçonniques. Il dénonça également les mouvements new-âge et spirites. Selon certains, il donna son accord pour la fondation d’une loge maçonnique en France (la grande triade), basée sur les principes traditionnels (conformes à l’islam), s’apparentant plutôt ici à un cercle de réflexion, basé sur des assises traditionnelles. Mais les fondateurs et continuateurs semblent s’être éloigné de la perspective guénonienne. En 1908, René Guénon s’était déjà retiré du Congrès Spiritualiste et maçonnique, dont il était le Secrétaire, parce que Papus, le « Balzac de l’occultisme » avait fait ouvertement référence à la théorie de la réincarnation (récupérée par de nombreux adeptes du new-âge). C’est un point de doctrine essentiel : René Guénon ne pouvait pas se taire car la réincarnation est une impossibilité métaphysique, et « aucune doctrine traditionnelle n’a jamais admis la réincarnation » comme il le démontrera plus tard dans son ouvrage “L’Erreur Spirite”.

Contrairement à certaines propagandes maçonniques ou anti-maçonniques primaires visant à faire croire que Guénon était un franc-maçon, les faits attestés montrent qu’il vécut intégralement en tant que musulman (aussi bien sur le plan exotérique qu’ésotérique) depuis son arrivée au Caire (Egypte), qu’il défendit l’Islam contre ses détracteurs islamophobes et orientalistes, qu’il réfuta les déviances de certains groupes musulmans, qu’il appela à l’orthodoxie islamique, au rattachement de l’exotérisme (rites religieux, valeurs morales, préceptes islamiques, …), qu’il réfuta les idéologies défendues par tous les franc-maçons modernistes comme le scientisme, le relativisme, le syncrétisme, le spiritisme, l’occultisme, la psychanalyse, le darwinisme, le matérialisme, le pseudo-rationalisme, le nihilisme, le positivisme, l’athéisme, le satanisme, le laïcisme, la démocratie utopique, les systèmes politiques modernes comme le fascisme, le nazisme, le communisme, la pseudo-démocratie, le totalitarisme, le culte de la personnalité, les dérives du capitalisme, les théories du genre, etc.
De là, il est nécessaire de distinguer les différentes catégories au sein de la franc-maçonnerie, car certains sont très religieux et n’oeuvrent pas contre la religion ou la morale, tandis que d’autres tombent clairement dans le satanisme, la corruption politique, la guerre contre les autres pays, la lutte contre les religieux et la religion, etc.
Pour cette raison d’ailleurs, René Guénon fut critiqué par les franc-maçons de type dégénéré (moderniste), car il avait pourfendu tous les mythes modernistes.

Parmi les grandes figures intellectuelles qui reconnaissaient à Guénon son « autorité intellectuelle », citons le scientifique Ananda Kentish Coomaraswamy, le grand spécialiste de l’histoire des religions Mircea Eliade, le « philosophe/penseur/métaphysicien » Julius Evola, le poète Raymond Queneau, le savant musulman (théologien, juriste, exégète et sûfi qui fut aussi recteur d’Al-Azhar en Egypte) Shaykh Abd’al Halim Mahmud, et tant d’autres.

Il influença également des poètes, artistes, peintres et écrivains comme René Daumal, Antonin Artaud, André Breton, Albert Gleizes, Louis Cattiaux, Paul Ackerman, …

Son œuvre inspira également de nombreux intellectuels comme Seyyed Hossein Nasr (aussi scientifique de formation), Frithjof Schuon, Martin Lings, Jean Borella, Marco Pallis, Hamza Benaïssa (scientifique de formation), Wolfgang Smith (scientifique de formation), Titus Burckhardt, Hamza Abdelhaqq (physicien algérien), Inès Safi (mathématicienne et physicienne d’origine tunisienne), Pierre-Yves Lenoble (historien de formation), Michel Vâlsan, Charles-André Gilis, Abd al Wahid Pallavicini (né Felice Pallavicini ; médecin, théologien musulman et sûfi appartenant à la tariqa Ahmadiyyah Idrisiyyah, fondateur aussi en France de l’Institut des hautes études islamiques (IHEI) à Lyon), Marco Pallis, Henri Stéphane (abbé, mathématicien et métaphysicien), Patrick Laude (philosophe), William Chittick, Huston Smith, Harry Oldmeadow, James Cutsinger, Jean-Louis Michon et, de nos jours, continue d’inspirer des centaines de milliers de chercheurs, d’historiens, d’artistes, de scientifiques, de philosophes, de sociologues, de théologiens, de métaphysiciens, etc.


Son œuvre est étudiée dans de nombreux pays, dont l’Egypte, le Pakistan, l’Iran, la Turquie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Russie, la Chine, les Etats-Unis, le Canada, la France, la Belgique, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, la Roumanie, la Grèce, le Luxembourg, la Suisse, la Suède, le Sénégal, le Mali, l’Arabie Saoudite, la Syrie, la Jordanie et d’autres pays.

Il collabora aussi à un recueil de vies de saints en 1926 où participèrent l’historien et philosophe Étienne Gilson (1884-1948), l’écrivain et penseur Georges Bernanos (1888-1948) et l’écrivain, diplomate et philosophe Jacques Maritain (1882-1973).

Auteur de nombreux ouvrages et articles, il participa à la rédaction d’articles pour de nombreuses revues. Il avait aussi durant un temps, enseigner la philosophie en France (à la Sorbonne, Paris).

Il faut bien comprendre que René Guénon et ses successeurs (comme Michel Vâlsan, Charles-André Gilis, Martin Lings et même ceux qui se sont éloignés de son œuvre sur plusieurs points comme Frithjof Schuon ou Seyyed Hossein Nasr par exemple) qu’ils parlent et partent tous des principes métaphysiques et ne se situent donc pas au niveau des querelles dogmatiques sur les plans théologiques ou juridiques, mais bien aux principes métaphysiques qui sont universels et qui concernent donc toutes les traditions spirituelles, et cela s’explique par le caractère particulier de notre cycle, où l’anti-tradition (le modernisme) détruit et saccage tout (cultures, philosophies, religions, écosystèmes, peuples, etc.).
Il ne faut donc pas croire qu’ils cautionnent les croyances spéculatives ou « théologiques » idolâtres, bien qu’ils expliquent quelles étaient à l’origine les véritables doctrines, et les causes qui ont pu mener à leur dégénérescence (pratiques déviantes, croyances idolâtres, …).

Eux-mêmes (Guénon, Gilis, Valsan, et même Schuon et les autres) ne s’adressent qu’aux croyants avertis qui ont des aspirations spirituelles et initiatiques et récusent formellement l’idolâtrie et le panthéisme, à de multiples reprises dans leurs ouvrages.
Ensuite il y a deux écoles principales au sein des « pérénnialistes », celle de Guénon (à laquelle souscrivent C.-A. Gilis, M. Valsân et Hamza Benaïssa par exemple) et celle de Schuon (Seyyed Hossein Nasr, H. Smith il semblerait et d’autres), et Martin Lings qui se situerait un peu entre les deux apparemment.
L’école de Guénon reconnait la supériorité de la Tradition islamique sur les autres formes traditionnelles, tout en montrant leur origine commune (Source Divine) et en montrant les similitudes par rapport aux principes métaphysiques, malgré les différences terminologiques (adaptées à chaque milieu et tradition spirituelle) et les divergences juridiques (dont certaines existent aussi à l’intérieur de chaque communauté religieuse). Guénon interdit formellement le syncrétisme des formes, et montre que l’ésotérisme doit se fonder exclusivement sur l’orthodoxie religieuse/exotérique d’une forme traditionnelle encore vivante et vivifiée. Il récuse ainsi le panthéisme, le syncrétisme, l’incarnationnisme et les théories new-âges. Il y a également la reconnaissance, au sein des autres traditions révélées et spirituelles, des sagesses et principes métaphysiques (contrairement aux altérations et dissensions théologiques et juridiques) qui ont traversé les âges, comme le confirment le Qur’ân et la Tradition prophétique.
Il se conforme donc aux positions de maîtres comme Ibn ‘Arabî, Jâlal ud-Dîn Rûmî, Al-Qashânî, Sadr ud-Dîn al-Qunawî, l’émir Abdal Qadîr al-Jazâ’irî, Shaykh Ahmad al-‘Alawî et d’autres.

S’il a abondamment écrit d’abord sur les autres formes traditionnelles, c’est que, d’une part durant sa jeunesse, il n’avait pas de contact direct avec l’Islam, mais qu’il avait déjà cette conscience tournée vers L’Unique (l’Absolu ; Dieu), et d’autre part, que pour ramener ses proches et ses contemporains parmi les occidentaux, à la Tradition, il était nécessaire de leur parler selon un langage qui leur était accessible et familier, selon des références issues de leur propre sphère civilisationnelle, tout en établissant des ponts avec les autres cultures et aires civilisationnelles, afin de lutter efficacement contre les superstitions et dangers modernistes, et les ramener tous à une certaine perspective traditionnelle. Cependant, il ne se fit guère d’illusion, et n’abordait le cas d’une « restauration chrétienne » traditionnelle que de façon théorique, et admettra lui-même que le Christianisme ne peut plus jouer ce rôle, contrairement à l’Islam, et dont il conseillait à ses proches et à ses correspondants sincères, de se rattacher à l’Islam. S’il existe toujours des intellectuels chrétiens brillants, la restauration d’un ordre traditionnel ne pourra sans doute plus jaillir du Christianisme, mais de l’Islam, qui possède une fonction eschatologique particulière et universelle.


Des professeurs et savants musulmans qui ont étudié l’œuvre de Guénon et sa vie ont témoigné de sa sainteté, de ses nobles qualités morales, de son rattachement orthodoxe et intégral à l’Islam ainsi que de l’orthodoxie générale de son œuvre par rapport à l’Islam. Parmi eux, citons son maître, le Shaykh malikite et shadhilite Abdar-Rahmân Elîsh al-Kabîr (1845-1922) lui-même fils du grand mufti malikite d’Egypte Muhammad Elish (m. 1883), son Shaykh Salâma ar-Râdî, le Shaykh Abd Al-Halîm Mahmûd (1910-1978) recteur de l’Université islamique d’Al-Azhar en Egypte, Dr. Zeinab ‘Abd Al-‘Azîz (qui a composé un essai de traduction du Qur’ân en langue française), le Shaykh Muhammad Zakî Ibrâhîm, le Shaykh et éditeur ‘Abd Al-‘Azîz Al-Islâmbûlî, le Shaykh Ussâmah As-Sayyid Al-Azharî (qui rendit ouvertement hommage à René Guénon, de son nom musulman Shaykh Abdel Wahîd Yahyâ), et le professeur pakistanais de littérature et sciences-islamiques Mohammad Hassan Askarî. Ce dernier dit d’ailleurs de lui : « Je me remémore ce que le grand maître soufi du XXe siècle, Mawlana Ashraf Alî Thanvî a dit à ses disciples un jour de 1930 environ : « Telles que je vois les choses, les défenseurs de l’Islam viendront maintenant d’Europe » » et « Je crois fermement que Guénon est le guide intellectuel dont les Musulmans ont spécialement besoin aujourd’hui pour faire face aux tentations et aux provocations de la civilisation moderne, de même que les hommes appartenant à toutes les traditions » (“Tradition et modernisme dans le monde indo-pakistanais” in Etudes Traditionnelles, mai-août 1970).
René Guénon épousa également en Egypte, la fille d’un grand savant égyptien nommé Shaykh Muhammad Ibrâhim, descendant du Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm).

Michel Vâlsan, dans son “L’Islam et la fonction de René Guénon” (Revue Etudes Traditionnelles n° 305 Janv. – Fév. 1953) nous livre des informations intéressantes aussi par rapport à la réception de l’œuvre guénonienne dans le monde musulman.
Il est ainsi dit que : « Nous sommes au courant depuis plusieurs années des progrès que fait la connaissance de l’œuvre de René Guénon dans les milieux intellectuels, et plus spécialement universitaires, du monde indo-pakistanais (1). Il est temps, pensons-nous, de prendre acte à ce sujet, dans une chronique, de quelques faits caractéristiques.

M. Mohammad Hassan Askarî, Professeur de littérature anglaise a Islamic College (Université de Karachi), qui, dans les années précédentes, a publié en anglais un article sur Guénon et sa vie, vient de rédiger en ourdou (langue officielle du Pakistan) deux brochures :

1. Un répertoire d’environ 200 erreurs que commettent les gens d’esprit moderne a l’égard des doctrines et des réalités traditionnelles ;

2. Une courte histoire du développement de la mentalité moderne.

 L’auteur a présenté l’année dernière ces travaux au Muftî Mohammad Chafi’, Recteur de la Dâru-l-‘Ulûm de Karachi qui, les trouvant fort bien venus, en a inscrit l’étude dans le programme de l’année universitaire 1968-1969. Pendant les trois mois du dernier automne, le Prof. Mohammad Taqî (le propre fils du Recteur) qui avait reçu la charge de ce développement, a pris les textes respectifs comme base d’un cours, très suivi du reste, qui se continue en 1969. On rapporte de l’enseignement dispense ainsi la phrase suivante : « L’analyse faite par Guénon montre qu’il est ferme dans la voie du Prophète et de ses compagnons » ; ceci signifie, en outre, pour nous que le climat spirituel de ces régions asiatiques est beaucoup plus ouvert aux conceptions universalistes de la tradition qu’on ne l’aurait pensé. – En outre, l’altération produite par l’esprit moderne y est d’ailleurs beaucoup moins profonde que ne le croient les Occidentaux, même de mentalité traditionnelle, qui se laissent trop facilement impressionner par les dégradations extérieures du décor et du style social (2). – M. Askarî nous informe en même temps que, dans l’Inde même, les jeunes Musulmans s’intéressent de plus en plus aux idées traditionnelles dans leur élaboration guénonienne.

 Pour mieux se rendre compte des particularités favorables que présente la région traditionnelle respective (laquelle correspond à la notion géographique de « sous-continent asiatique ») nous citerons quelques passages (rajustés seulement au point de vue verbal) de la correspondance antérieure avec M. Askarî qui, en envisageant de traduire en ourdou plusieurs de nos propres articles, nous disait ceci à propos de celui intitulé « L’Islam et la fonction de René Guenon » :

« Dans ce dernier article vous examinez la question de l’introduction des ouvrages de Guénon dans un milieu islamique. J’ai certaines choses à dire sur ce point.

« Je ne connais pas l’atmosphère intellectuelle existant dans les autres pays islamiques. Mais quant aux Musulmans du Pakistan et de l’lnde, la situation est un peu différente. Tout d’abord il est important de réaliser que nous n’avons jamais insisté sur la division entre Sharîat et Tarîqat (3), mais sur leur harmonie. Chez nous les plus grands maitres ésotériques ont toujours été en même temps des maitres de l’exotérisme ; tel est le cas, par exemple, du Cheikh Ahmed Sirhindî, du Shâh Waliyullâh ad-Dihlawî, ainsi que de ses trois fils Shâh Abdu-l-Aziz, Shâh Abdu-l-Qâdir, Shah Rafî’u d-dîn, et enfin le cas de Shâh Ashraf Alî qui est le plus grand maître ésotérique et exotérique du 20e siècle. Ainsi, il n’est nullement choquant pour nous quand Guénon considère les choses d’un point de vue ésotérique.

« Quant à la question de la présentation de l’œuvre de Guénon dans un milieu islamique, vous dites, page 16 : « Mais ces avantages d’intelligibilité ne vacant que pour une élite, sa synthèse doctrinale ne saurait être portée d’emblée dans une langue de civilisation à base religieuse, où la présence d’un enseignement dogmatique officiel et la foi aux formes particulières de la révélation sont des éléments constitutifs de la tradition ». Et à la page 17 : « Une présentation éventuelle de l’œuvre de René Guénon dans un milieu traditionnel islamique devrait par conséquent se faire avec une référence compétente aux doctrines ésotériques et métaphysiques de l’Islam, tout en tenant compte de ce qu’il y a d’inévitablement délicat pour une exposition des doctrines ésotériques de l’lslam, même devant un public qui ne saurait être considéré dans son ensemble comme capable de comprendre les choses de cet ordre ». Et plus explicitement sur la page 24 vous mentionnez les « conceptions purement intellectuelles qui caractérisent la synthèse doctrinale de René Guenon et qui auraient besoin d’une présentation et d’une justification plus particulière dans un milieu de civilisation islamique ». Je pense que l’attitude intellectuelle et métaphysique de Guénon ne sera pas gênante pour nos lecteurs. Pendant cinq ou six siècles nous avons eu des ouvrages innombrables qui se sont placés dans la même attitude et du même point de vue. Nous ne pouvons oublier le rôle qu’a joué la Dâru-l-‘Ulûm à Deobend pendant les derniers cent ans. Shâh Ashraf Alî qui avait une connexion intime avec cette « Maison des Sciences (au sens traditionnel du mot) » a expressément déclaré que de nos jours le sulûk ‘ishqî [marche initiatique basée principalement sur la vertu du désir spirituel] avait perdu une grande part de sa validité, et était devenu même dangereux : lui-même conseillait à ses disciples l’adoption du sulûk ‘ilmî [marche initiatique basée principalement sur la compréhension doctrinale]. (4).

Sur la page 28, vous envisagez la question des autorités exotériques devant les écrits de Guénon. S’il fallait trouver une justification dans cet ordre, je pense qu’elle peut venir aisément de nos maitres. Pour mon propre bénéfice, j’ai souvent relevé dans les ouvrages de ceux-ci des constatations confirmant ce que disait Guénon ; il est dommage que je n’ai pas pris de notes à cet égard.

Sur la page 29, vous parlez d’hostilités rencontrées par le Cheikh al-Akbar dans les milieux exotéristes. Ce n’est pas le cas chez nous. Certes il y a eu des objections – les plus remarquables venant d’ailleurs, non du côté exotérique, mais du grand maitre ésotérique Cheikh Ahmed Sirhindî. Et la défense du Cheikh al-Akbar est venue non seulement du côté ésotérique, mais aussi du côté « exotérique » : une des meilleures de ces défenses est en effet venue de Shah Ashraf Alî qui occupait incontestablement la fonction d’autorité exotérique [tout en étant, bien entendu, un maitre ésotérique également]. Il a consacré deux petits ouvrages à ce sujet. Ainsi, nous n’avons jamais manqué de respect et de révérence pour le Cheikh al-Akbar. Ses Futûhât Makkiyya sont souvent citées comme autorité dans les ouvrages exotériques qu’on publie de nos jours. C’est le cas spécialement des gens appartenant à la Dâru-l-‘Ulûm de Deobend qui sont connus pour leur orthodoxie exotérique et pour leur sévérité à cet égard.

Notre milieu n’est pas hostile à la conception de la Wahdatu-l-wujûd (5) La plupart des gens restent silencieux sur cette question. Mais c’est le thème central de notre poésie traditionnelle en ourdou ou en dialectes comme le punjabî, le sindhi et le pushtu. Les habitants de nos villages chantent la Wahdatu-l-wujûd toutes les nuits.

Quant à ce que vous dites sur la question de l’universalité traditionnelle, page 31, et sur l’usage par Guénon de termes et concepts hindous, permettez-moi de faire quelques précisions :

a) Au 17e siècle, le prince Dârâ Shikûh, fils de l’Empereur Shâh Djahân a déjà préparé une correspondance entre les termes ésotériques hindous et les termes islamiques. C’est un petit livre nommé Majma’u-l-Bahrayn (= La Réunion des deux Mers) (6) ; la traduction en ourdou est accessible même aujourd’hui pour un demi-franc.

b) Le Cheikh Ahmed Sirhindî lui-même a reconnu la validité des doctrines védiques. Ce dont il doute ce sont les possibilités de réalisation offertes par l’Hindouisme actuel.

c) Shah Waliyullâh ad-Dihlawî a écrit sur les doctrines védiques dans son ouvrage Lamahât que je vous ai déjà envoyé.

d) Le document le plus explicite sur cette question est une lettre par Hazrat Maz’har Djânî Djânân contemporain et ami de Shah ad-Dihlawî (18e siècle) qui appartenait à l’ordre des Mujaddidiyya Naqshabandiyya et qui était reconnu par Shah ad-Dihlawî comme un saint plus grand que lui-même, et qui était aussi le Cheikh du Qâdi Thanâu-Llâh (tous ces maîtres, étant d’une orthodoxie incontestable). Cette autorité admet la vérité des doctrines védiques, mais a des réserves quant à la validité actuelle de la tradition hindoue.

e) Un autre saint du 18e siècle, Shah Kâzim Qalandar a écrit des poésies sur le thème de la Wahdatu-l-wujûd en employant des termes et des symboles hindous. Il n’est pas le seul à l’avoir fait. Mais je mentionne son nom parce que ses poésies ont été publiées avec un commentaire détaillé. Pareille chose à dire des poésies de son fils Shah Turâb Alî Qalandar du 19e siècle. »

Nous arrêtons là cette fois-ci les citations de la riche et pittoresque fresque intellectuelle que nous a valu ces dernières années notre correspondance avec le Prof. Askarî. Mais nous y reviendrons prochainement encore à propos de René Guénon ».

« ADDENDUM DE L’EDITEUR

Dans le numéro de mai-août 1970 des Etudes Traditionnelles, Michel Vâlsan a présenté et publié une lettre du Prof. Askarî, sous le titre : “Tradition et modernisme dans le monde indo-pakistanais”. Nous renvoyons le lecteur à cet article. Remarquons que le Prof. Askarî, dans le dernier paragraphe de sa lettre, écrivait : « Je me remémore ce que le grand maître soufi du XXe siècle, Mawlana Ashraf Alî Thanvî a dit à ses disciples un jour de 1930 environ : « Telles que je vois les choses, les défenseurs de l’Islam viendront maintenant d’Europe » (1). C’était exactement l’époque à laquelle l’œuvre de Guénon prenait une forme plus complète et qu’il abordait les études sur le Tasawwuf (2). Et je crois fermement que Guénon est le guide intellectuel dont les Musulmans ont spécialement besoin aujourd’hui pour faire face aux tentations et aux provocations de la civilisation moderne, de même que les hommes appartenant à toutes les traditions ».

Notes :

* [Publié dans E.T., janv.-fév. 1969.]

(1) Notons aussi, puisque l’occasion se présente, que, pour ce qui est du milieu intellectuel égyptien, on tient également quelques faits du même ordre. Le Dr. Abdel Halîm Mahmûd. Professeur à ‘Ulûm ad-Dîn de l’Université Al-Azhar (Le Caire) a publié, il y a déjà une dizaine d’années environ, une brochure sur Guénon en arabe (portant en annexe des fragments traduits des œuvres du maître) intitulé : Al-Faylasûf al-muslim René Guénon aw ‘Abd al-Wâhid Yahyâ. L’ouvrage (qui s’appuie, pour la partie de biographie intellectuelle, sur nos articles de 1951 et 1953 concernant Guénon) est dédié au Cheikh Muhammad al-Mahdi Mahmûd, Professeur à Al-Azhar. [Ce texte a été repris dans la seconde partie du livre : « Al-Madrasa ash-Shâdhiliyya al-hadîtha wa imâmunâ Abû-l-Hasan ash-Shâdhilî » (Le Caire, 1968), et s’intitule désormais : « Al-‘Arif bi-Llâh (Le Connaissant par Allâh) ash-Shaykh ‘Abd al-Wâhid Yahyâ ».

Le Dr. Abdel Halîm, auteur de travaux en arabe sur le Soufisme, est connu en France par son travail sur Al-Mohâsibi (Geuthner, 1940). [Le Dr. est décédé en octobre 1978].

En outre, pour ce qui est du côté égyptien, nous sommes au courant d’une thèse sur René Guénon et l’Islam que devait soutenir en Sorbonne un étudiant du Caire.

(2) En Afrique du Nord même, où cependant la présence occidentale a été longue et directe, et où la déchéance traditionnelle devrait être donc la plus accentuée, nous connaissons, par notre propre expérience – et ceci pas seulement dans le monde, naturellement restreint, de l’ordre contemplatif proprement dit – toute une humanité qui continue sa vie imperturbablement millénaire de fidélité spirituelle dont, fort heureusement, on ne fait aucun cas.

(3) Nous reproduisons les termes avec leur prononciation locale.

(4) La marche initiatique basée sur la vertu du pur désir de la Réalité exige des êtres humains qualifiés qui non seulement ont été préservés intacts quant à leur substance spirituelle intime, mais aussi dont la forme mentale n’a pas été faussée par une éducation moderne, fût-elle quasiment traditionnelle. La marche initiatique basée sur la compréhension doctrinale comporte une formation théorique qui développe les certitudes principielles et la saisie intellective. [Ces deux passages entre crochets sont de Michel Vâlsan].

(5) La doctrine de l’« Unicité de l’Existence ».

(6) Le terme est dérivé du Coran 18, 60, où il désigne le lieu de la rencontre de Moïse et d’Al-Khadir. Dans le titre du livre de Dârâ Shikûh il s’applique aux deux traditions : l’Islam et l’Hindouisme.

Notes de l’ « Addendum de L’Editeur » (cf. L’Islam et le Fonction de René Guénon).

(1) Les paroles de Mawlana Ashraf Alî Thanvî ne manquent pas d’une certaine concordance avec les initiatives connues, prises précédemment par le groupe d’Abdûl-Hâdi Aguéli avec la bénédiction du Cheikh Abder-Rahmân Elîsh el-Kebîr.

(2)  Précisons à cette occasion que Guénon, qui avait été rattaché à la voie ésotérique de l’Islam depuis 1912, s’était aussitôt occupé sérieusement du projet de la Mosquée de Paris, mais « les choses n’ont malheureusement pas abouti avant la guerre » (de 1914). En outre « il devait y avoir une Université islamique… ». Après la guerre, avec l’arrivée de certains personnages, tout dévia et il se désintéressa de ces projets. — On peut remarquer, d’après ce que nous signalons dans ces deux dernières notes, que la position islamique de René Guenon apparaît tout autre qu’un fait personnel privé et sans signification quant à l’orientation intégrale de son œuvre même et de son influence.

[Ces deux notes sont de Michel Vâlsan. Le Professeur Muhammad Hassan Askarî est décédé en 1978] ».

Michel Vâlsan, dans le même écrit, dit aussi concernant la question de l’orthodoxie islamique par rapport à l’œuvre de Guénon (p. 14) : « « Dis : O Gens du Livre ! Elevez-vous jusqu’à une Parole également valable pour nous et pour vous : que nous n’adorions que Dieu, que nous ne Lui associons rien, que nous ne prenions pas certains d’entre nous comme « seigneurs » en dehors de Dieu … » (Coran, 3, 57).

La mort de René Guénon ayant attiré l’attention publique sur son cas spirituel, beaucoup ont été étonnés d’apprendre à l’occasion qu’il fut musulman. Dans ses livres, rien n’indiquait un tel rattachement traditionnel, et, même, la place qu’il fit à l’Islam dans ses études fut, en comparaison avec celle qu’y trouve l’Hindouisme ou le Taoïsme, assez restreinte, malgré les fréquentes références qu’il fait à la métaphysique et à l’ésotérisme islamiques. C’est ainsi que certains se sont demandés s’il pouvait y avoir un accord entre sa perspective doctrinale et sa position traditionnelle personnelle. D’autres sont allés jusqu’à penser que son enseignement métaphysique et intellectuel ne pourrait être considéré comme compatible avec la doctrine islamique. Il est à peine besoin de relever ce qu’il y a de superficiel ou encore de malveillant dans ce genre d’avis ou de suppositions, mais nous estimons utile de donner ici quelques précisions et de faire quelques mises au point, envisageant que certaines questions peuvent être posées à cet égard, d’une façon plus pertinente, et, comme telles, mériteraient d’être prises en considération.

Il y a ainsi une question quant à l’orthodoxie islamique de l’œuvre de René Guénon, et une autre quant au rapport que peut avoir sa position traditionnelle personnelle avec sa fonction doctrinale générale. Pour la première de ces questions, comme en fait il n’y a eu à notre connaissance aucune critique précise, nous n’avons pas à répondre à une thèse déterminée mais nous tâcherons seulement de montrer dans quelle perspective une telle question se situe. Pour la deuxième, nous porterons à la connaissance des lecteurs quelques éléments documentaires presque inconnus en Occident.

Tout d’abord, il nous faut rappeler ou préciser quelques questions de principe.

La notion d’orthodoxie peut être envisagée principalement à deux degrés : l’un est de l’ordre des idées pures, l’autre de l’ordre de leur adaptation formelle dans l’économie traditionnelle (1). Si les vérités universelles sont en elles-mêmes immuables, par leurs adaptations cycliques aux conditions humaines, elles comportent des formes qui sont solidaires ensuite de certains critères d’orthodoxie contingente. En même temps, la sagesse qui dispose les vérités et les formes doctrinales dans les différents domaines et conditions du monde traditionnel, détermine aussi les degrés de juridiction et les limites de compétence des institutions et des autorités qui doivent en connaître.

(1) Un mode spécial de cette adaptation est celui des rites et des techniques spirituelles ; nous n’avons pas à l’envisager distinctement ici, où nous traitons seulement de l’ordre doctrinal ; c’est du reste dans la doctrine que se trouve le fondement de toutes les institutions et pratiques traditionnelles ».


Nous avons discuté aussi le 18 août 2019 avec le Shaykh Abû Zakariyyâ al-Hussaynî al-Shâmî Al-Shâfi’î, le logicien, le théologien asharite, le juriste shafi’ite (tout en étudiant aussi les écoles hanafite et malikite auprès de shuyukhs et de professeurs), l’ussûlite (spécialiste des fondements de la Religion et du Droit), l’exégète du Qur’ân, le linguiste, l’historien, le muhaddith, le spécialiste de la Sîrah nabawiyya, le lectionnaire (du Qur’ân), et fut diplômé également dans les sciences politiques, sociales et économiques, et il étudia également le tasawwûf et l’éducation spirituelle auprès de plusieurs éducateurs spirituels musulmans. Au sujet de René Guénon, il reconnut que Guénon était musulman, tout en étant critique envers les auteurs pérénnialistes qui se sont écartés de l’orthodoxie islamique en même temps que de l’œuvre de Guénon lorsque ce dernier se rattacha exclusivement à la Tradition islamique.


Le Shaykh Muhammad Zakî Ibrâhîm qualifia René Guénon d’héritier Muhammadien. On peut cependant dire que sa fonction propre participe, dans un mode très particulier certes, à la transmission du « Message » (Risâlah) mohammédien universel à l’égard de l’Occident et du monde moderne en général
Il dit de lui : « Le sûfî, le héraut (dâ’iyyah) [du Tasawwuf et de l’Islam] : René [Guénon] – ‘Abd Al-Wâhid Yahyâ

Durant le mois de Rabî Al-Awwal, à une époque qui n’est pas si éloignée de nous, a eu lieu la disparition du savant (‘âlim), du philosophe, du sufî, du musulman René Guénon – qui fut ensuite connu sous le nom de Shaykh ‘Abd Al-Wâhid Yahyâ que la Miséricorde d’Allâh soit sur lui. Il était un homme savant, un philosophe et un chrétien, célèbre dans son pays (la France), un enseignant (ustadh) , un universitaire (jâmi’iy) et une autorité (kâbir) qui recherchait la Vérité jusqu’à ce qu’il vienne en Égypte, rentre en contact avec El-Azhar, que lui soit rendue aimable l’Islam et qu’il devienne musulman, approfondisse sa recherche, devienne mutasawwif, pratique l’ascèse (zuhd) et le dépouillement (taqashshuf) et s’engage lui-même dans le cheminement initiatique (sulûk) en prenant le pacte du regretté Shaykh Muhammad Elish. Il fût ébloui par la lumière du Tasawwuf et de l’Islam, s’engagea dans son étude, son service ainsi que dans l’appel à lui (al-da’wah ilayhi) jusqu’à ce qu’il fonde une « école de pensée » (madrassah fikriyyah) dont les élèves français et suisses ne cesseront de suivre ses pas, de tirer profit de sa méthode (yata’thirûn manhaji-hi), appelant d’autres à Allâh et à l’Islam comme les avait appelé leur Shaykh, servant le Tasawwuf islamique pur (naqî), par l’étude et la pratique imitant en cela leur immense enseignant (ustâdhu-hum al-‘adhîm) et plus d’un parmi eux ont un lien fraternel (silah karîmah) avec la Ashîrah [Muhammadiyyah] (…) Que de lettres n’a t-il rédigées, que d’articles n’a-t-il publiés dans les revues, françaises et autres, servant ainsi l’Islam et son Tasawwuf !

Il vécut dans le quartier modeste Al-Hussaynî et prit part à la publication de la revue al-Ma’rifah éditée par le frère, l’enseignant ‘Abd Al-‘Azîz Al-Islâmbûlî, il se maria avec la fille d’un des savants égyptiens d’Al-Azhar [le Shaykh Muhammad Ibrâhîm], il eut avec elle plusieurs enfants, garçons et filles – qu’Allâh veille sur eux et les éduque – puis il s’en retourna vers le Compagnon Suprême (Al-Rafîq Al-A’lâ) et fut enterré dans le cimetière du Caire après qu’il ait accompli sa fonction (risâlah) spirituelle (rûhiyyah) 11 et scientifique (‘ilmiyyah), par la parole, l’acte et la pensée ; en tout cela, il ne fût précédé par aucun français musulman dans l’histoire moderne.

Par la suite, les gens oublièrent le philosophe, le savant, le sûfi, le musulman français, le Shaykh ‘Abd Al-Wâhid Yahyâ qui aima l’Islam et servit le Taçawwuf, leur sacrifiant tout ce qu’il possédait. Les gens l’ont oublié malgré sa singularité, ses qualités, ses particularités et ses travaux, que ne possèdent la plupart des hommes célèbres de l’Histoire.

Or Allâh lui réservait un bienfait d’entre Ses bienfaits, à travers l’intérêt que lui porta le frère pieux et loyal, le savant ‘Abd al Halîm Mahmûd, qui écrivit son épître sans précédent afin de faire connaître cet homme immense (rajul ‘adhîm), préservant ainsi le droit qui lui revient dans l’Histoire (…) ». (Shaykh Muhammad Zakî Al-Dîn Ibrâhim, dans la Revue Al-Muslim, numéro de Rabî Al-Awwal 1391-1961).
Nous avons pu vérifier cela à travers les échanges que nous avons eu durant des années, avec la fille de René Guénon, Laïla Guénon.

 
Il ne faut pas imputer à Guénon certaines erreurs, dérives ou positions que d’autres auteurs ont pu commettre ou adopter, tels que Schuon par exemple.
Schuon est plus relativiste et tomba dans le syncrétisme à un moment de sa vie avant de revenir à une pratique plus assidue et orthodoxe de l’Islam (selon Seyyed Hossein Nasr) et Allâh sait mieux ce qu’il en est.

Guénon s’adressait avant tout à des occidentaux, et même s’il ne rendait pas toujours public son adhésion à l’Islam, il recommandait à ses proches et à ses correspondants, d’embrasser l’Islam pour quiconque désirerait s’émanciper des illusions de la modernité et de se réaliser spirituellement.
Pour ne pas heurter un public encore trop anti-religieux (par rapport au Christianisme et à l’Islam), il utilisa dans un premier temps les expressions issues de la terminologie hindoue dans sa dimension métaphysique, qui possède de nombreuses correspondances avec la dimension métaphysique de l’Islam et des autres traditions spirituelles (comme le Taoïsme par exemple), puisqu’elles décrivent les mêmes réalités dans le fond, mais selon des degrés parfois distincts, et surtout, selon des expressions différentes liées à leur propre forme traditionnelle. Les saints des différentes communautés (chacun à leur degré), expérimentant souvent les mêmes états spirituels ainsi que certaines stations initiatiques, se rattachent à un modèle prophétique, et vivent donc des expériences similaires (avec un « habillage » différent dans les formes), d’où l’accord sur les principes et la réalisation de prodiges, bien que le modèle muhammadien soit le plus élevé et celui qui synthétise l’ensemble de l’héritage des modèles prophétiques du premier jusqu’au dernier.
Un ouvrage montre les similitudes dans les différentes voies spirituelles à ce sujet, “Shankara, Ibn ‘Arabi et Maître Eckhart: La Voie de la Transcendance” de Reza-Shah Kazemi (Ed. L’Harmattan, 2010).
Le savant et scientifique musulman Al-Birûnî (973 – 1048/1052 ; médecin, astronome, mathématicien, histoire, géographe, théologien, philosophe, juriste, exégète, connaisseur du Qur’ân et du hadith, logicien, grammairien, pharmacologue, botaniste, minéralogiste, connaisseur du tasawwûf, indologue, anthropologue, spécialiste également des autres religions – telles que le Zoroastrisme, Judaïsme, Christianisme, Hindouïsme, Bouddhisme ainsi que d’autres religions ou courants de pensée -, linguiste et il parlait le persan, l’arabe, l’hébreu, le sanskrit, le grec et le syriaque, …) écrivait déjà dans son “Histoire de l’Inde” (“Kitab fi Tahqiq ma li’l-Hind”), que les vrais sages hindous étaient monothéistes contrairement à de nombreuses personnes hindoues issues des gens de la masse qui étaient idolâtres.
Cf. Bosworth, C. E. (1968). “The Political and Dynastic History of the Iranian World (A.D. 1000–1217)”. In Boyle, J.A. The Cambridge History of Iran: The Saljuq and Mongol Periods. Vol. Cambridge University Press. p. 7. The Iranian scholar al-BIruni says that the Khwarazmian era began when the region was first settled and cultivated, this date being placed in the early 13th-century BC).

Tous professent à un certain degré, la doctrine métaphysique du Tawhîd et la station de l’extinction de l’ego (fanâ’), s’élevant ainsi au-dessus des déviances doctrinales (comportant un certain degré d’idolâtrie) auxquelles certaines tendances religieuses/exotériques sont tombées au fil des générations.
Les différentes traditions spirituelles, à l’origine, contiennent donc bien les mêmes principes métaphysiques fondamentaux, en dépit de l’éclosion graduelle de différentes écoles métaphysiques, non-métaphysiques ou même anti-métaphysiques. Le Qur’ân et la Tradition prophétique disent d’ailleurs que chaque aire géographique où vivent des communautés humaines, ont été gratifiées de la venue d’un Messager, et/ou de Prophètes, et/ou de saints rattachés à l’héritage prophétique d’un Prophète. Aucun maître spirituel musulman, n’a d’ailleurs, à notre connaissance n’a contesté cela.

Les deux écoles disent que le salut post-mortem peuvent concerner aussi les adeptes sincères des religions du Livre s’ils reconnaissent Allâh, leur prophète légitime et accomplissent les rites fondamentaux de leur tradition. Ils citent d’ailleurs plusieurs versets du Qur’ân et quelques ahadiths pour justifier leurs positions. D’autres vont plus loin et disent que tous peuvent en bénéficier (ce qui est aussi un avis retenu par d’anciens savants musulmans comme Ibn Taymiyya et Ibn al Qayyim). Mais c’est là une question très complexe qui a divisé les savants musulmans sur plusieurs points (Al-Ghazâlî, Ibn Taymiyya, Ibn ‘Arabî, Rûmî, Fakhr ud-Dîn Râzî, etc.).

Quoi qu’il en soit, que l’on soit en désaccord ou non avec certaines de ses questions (cf. notre article intitulé “Le pérénnialisme selon la perspective islamique : la question de la validité des autres formes traditionnelles, de la fin ou non de l’Enfer et de l’abrogation des Lois révélées antérieures” où nous avons détaillé tous les « points polémiques »), tous reconnaissent le Tawhîd, la nature sacrée et divine du Qur’ân, l’importance et la fonction prophétique du dernier Messager, – Muhammad -, ainsi que la nécessité de se conformer à l’exotérisme, et s’opposent au modernisme et au syncrétisme, donc selon eux, tous ne se vaut pas, et ils mettent en garde contre l’idolâtrie grossière tout comme l’idolâtrie moderne sous toutes ses formes.

Ce sont des points qui ne renient pas des textes ou principes fondamentaux du Qur’ân en soi, mais ce sont des interprétations (plus ou moins déviantes ou « hérétiques ») des textes, souvent discutables, et sur des questions très complexes.
Etant des humains non-prophètes, ils sont faillibles sur certains points, toujours est-il que leurs œuvres sont des supports utiles pour comprendre les fondements des religions, leur origine commune et leur portée spirituelle, ainsi qu’une mise en garde salutaire et pertinente contre les horreurs et les superstitions du monde moderne, tout comme du fanatisme « religieux » qui va jusqu’à caricaturer la religion et sombrer dans le rejet de la dimension spirituelle intrinsèque à toute religion véritable.
Que celui qui souhaite se passer de cette riche littérature (bien que pas toujours homogène sur tous les sujets) passe son chemin, il est tout à fait possible de s’en passer pour cheminer jusqu’à Allâh, mais cette lecture s’avère utile pour ceux qui se laissent troubler par les attaques et critiques modernistes, et qui n’ont pas encore atteint le degré spirituel et les réalités correspondantes, pour arriver à la « certitude spirituelle ».



Son oeuvre a ramené des centaines de milliers de musulmans, – et même plus – (auparavant acquis aux idéologies modernes) à la traditon islamique, ainsi que des centaines de milliers de non-musulmans à embrasser l’Islam. Pour d’autres (non-musulmans), son œuvre leur a permis de se réconcilier avec l’identité religieuse dominante dans leur pays d’origine, tout en respectant l’islam et en critiquant les dérives de la modernité.

Le peintre et intellectuel Ivan Aguéli de son nom musulman Abdul-Hâdi (1869-1917) se convertira à l’Islam et s’initia au tasawwûf auprès du Shaykh Abdar-Rahman Elish El-Kebir (1845-1922) dans la tariqa shadhiliyya. C’est lui, qui probablement, initia René Guénon (de son nom musulman Shaykh Abdal Wâhid Yahyâ) à la tariqa shadhiliyya (en 1910).

La date de 1912 qui apparaît dans de nombreux ouvrages depuis Chacornac comme étant l’année du rattachement initiatique de Guénon au soufisme est erronée. L’erreur est due au fait que Guénon a donné son année de naissance en tant que musulman dans la dédicace au texte du Symbolisme de la Croix en utilisant le calendrier hégirien : 1329 H. Mais cette année ne correspond pas à l’année 1912 comme le pensait Chacornac. Les auteurs musulmans comme Michel Vâlsan et Charles-André Gilis ont rectifié l’erreur puisque l’année 1329 H « correspond en effet à une période située toute entière en 1911 » (précisément du 2 janvier au 21 décembre 1911).

En fait, cette date doit être avancée de plusieurs mois car dans une lettre adressée à Tony Grangler (le médecin personnel de Guénon) publiée par Michel Chazottes, Guénon indique qu’il a été rattaché au soufisme dès 1910 (Guénon a souligné la date). Guénon a donc été initié en 1910 au soufisme par Ivan Aguéli, donc l’année même où ils se sont rencontrés. Guénon a d’ailleurs commencé à écrire les premiers articles qui formeront la base du “Symbolisme de la Croix” peu de temps après (début 1911), cet ouvrage étant en grande partie basé sur des enseignements sûfis.

La date 1329 H indiquée dans la dédicace du “Symbolisme de la Croix” correspond donc à la première année (du calendrier musulman) complète que Guénon a passé en tant que musulman. Guénon était donc relié spirituellement au Shaykh Abder-Rahman Elish El-Kebir. C’est d’ailleurs à lui que Guénon dédia en 1931 son “Symbolisme de la Croix”, en ces termes : « À la mémoire vénérée de Esh-Sheykh Abder-Rahmân Elîsh El-Kebir, El-Alim, El-Malki, El-Maghribi à qui est due la première idée de ce livre. Meçr El-Qâhirah 1329-1349 H ».

René Guénon expliqua à Michel Vâlsan que le Shaykh Abder-Rahman Elish El-Kebir fut un représentant très important de l’islam, tant du point de vue ésotérique qu’exotérique. Il fut le Shaykh d’une branche shâdhilite, une organisation initiatique (tarîqa) fondée au XIIIe siècle (VIIe siècle de l’Hégire) par le Shaykh Abû-l-Hasan ash-Shâdhilî (descendant aussi du Prophète Muhammad), une des plus grandes figures spirituelles de l’islam, qui fut, dans l’ordre ésotérique, le « pôle » (« qutb ») de son temps, ce terme désignant une fonction initiatique d’un ordre très élevé. Dans le domaine « exotérique » (« religieux » dans le cadre musulman), il fut le chef du madhhab mâliki à l’université al-Azhar. Les termes madhhab mâliki indiquent « une des quatre écoles juridiques sur lesquelles reposent l’ordre exotérique de l’islam (sunnite) », l’université al-Azhar étant qualifiée de « la plus grande université de l’ordre islamique » par Michel Vâlsan, du point de vue exotérique, même si aujourd’hui, cela doit être relativisé vu que la dégénérescence a aussi touché cette université.
Il fut emprisonné puis gracié et exilé à Damas (Syrie actuelle), où il se lia d’amitié avec l’émir Abd El-Kader. Il pratiquera les rites funèbres sur le corps de l’émir en 1883 et il enterrera Abd El-Kader près du tombeau du « Shaykh al-Akbar » (« le plus grand maître », en arabe), Muhyi-d-Din Ibn Arabî.
Il est le fils du Shaykh Muhammad Elîsh (mort en 1883), grand mufti malékite d’Égypte. Lui comme son père, connaissaient très bien la théologie musulmane (asharite principalement), le droit musulman (malikite essentiellement), l’exégèse qurânique, la Sirah du Prophète, la science du hadîth, la langue arabe et la spiritualité musulmane (ils étaient aussi connaisseurs de l’œuvre de Ibn ‘Arabî et avaient montré que les symboles islamiques se retrouvaient aussi dans certains symboles maçonniques, qui lors des contacts médiévaux entre le monde musulman et le monde chrétien, ce dernier fut influencé par le monde musulman par bien des manières, aussi bien dans l’ésotérisme, que dans l’art, la métaphysique, l’éthique, le savoir scientifique, la poésie, la littérature, la philosophie, l’économie, etc.).


Ses enseignements métaphysiques et doctrinaux sont conformes à ceux des grands maîtres spirituels musulmans, de même que ses exposés théologiques (par rapport à la théologie islamque).
Il pratiquait les rites islamiques et était très pieux et attaché à l’exotérisme musulman, mettant aussi en garde ceux qui prétenderaient à l’ésotérisme islamique sans s’appuyer sur l’exotérisme (Shar’îah) ; ensemble des principes islamiques sur l’éthique, la théologie, le droit, les rites, la spiritualité, etc.).
Quant à ses considérations portant sur la science (biologie, physique, astrophysique, …), la philosophie, l’histoire, les mathématiques, la sociologie, la psychologie, la parapsychologie, l’archéologie, l’épistémologie, etc., dans les grandes lignes, toutes les données bien établies (dont certaines ont été confirmées expérimentalement et empiriquement plusieurs décennies après sa mort) corroborent ses « prédictions », de même que les crises écologiques, économiques, épistémologiques, politiques et culturelles, qu’il avait déjà évoqué de son vivant (entre le début et la moitié du XXe siècle), ce qui montre que ses considérations sont conformes au Réel, et possèdent une étonnante cohérence interne, en plus de bénéficier d’une précision étonnante et d’une rigueur « logico-mathématiques » à toute épreuve.

Néanmoins, comme toute figure intellectuelle importante, il fut calomnié (considéré comme un espion anglais et un homosexuel, ce que dément formellement les faits de sa vie, où il n’eut jamais de relations homosexuelles, il épousa durant sa vie deux femmes et eut plusieurs enfants, il considérait d’ailleurs la pratique de l’homosexualité comme une disqualification au rang de maître spirituel, et il n’obéissait nullement à l’agenda politique anglais, qu’il critiqua d’ailleurs) afin de le discréditer auprès des gens. Il fut aussi récupéré par des gens déviants, superficiels ou très « politisés », trahissant ainsi l’œuvre de René Guénon qui appelait à l’orthodoxie religieuse et même à l’Islam (en tant qu’Ultime Révélation Divine scellant le cycle de la prophétie également pour notre fin de cycle), à la tolérance pratique (mais pas à la relativisation de toutes les opinions), à la justice, à la spiritualité, à la pratique éthique, au refus du sectarisme et du fanatisme, à la contemplation et à l’esprit critique à l’égard des tendances politiques et des idéologies modernes.
« Guénon ne sortait presque jamais sauf pour venir nous voir. Environ deux fois par an j’envoyai une voiture pour le prendre et il venait chez nous avec sa famille. A cette époque nous habitions en dehors du Caire, tout près des pyramides. Une seule fois je sortis avec lui pour aller visiter la mosquée de Seyyidnâ Hussein près d’El-Azhar. Il émanait de lui une remarquable présence ; c’était impressionnant de voir avec quel respect il était traité. Quand il entra dans la mosquée on pouvait entendre de tous côtés des gens dire : “Allâhumma salli ‘alâ Seyyidnâ Muhammad”‘, c’est-à-dire, “Que les bénédictions de Dieu descendent sur le Prophète Mohammed”, ce qui est l’expression d’une profonde vénération à l’égard de quelqu’un. Il avait une présence lumineuse et ses très beaux yeux, l’un de ses traits les plus frappants, conservaient encore leur éclat dans cette vieillesse commençante » (Martin Lings, “René Guénon”, revue Connaissance des Religions, n°41-42).


Nous connaissons d’ailleurs plusieurs de ses enfants, dont Laila Guénon.

Concernant John Gustav Agelii (1869-1917), de son nom d’artiste Ivan Aguéli, et appelé Shaykh ‘Abd al-Hadi Aqhili lors de sa conversion à l’islam (au plus tard en 1907). Il était un musulman d’origine suédoise. Intellectuel, métaphysicien, logicien, écrivain, traducteur et peinte. Il parlait le suédois, l’arabe, l’hébreux, l’italien et le français, en plus d’avoir des connaissances dans d’autres langues comme l’anglais (il voyageait aussi beaucoup en Europe et en Orient). Il étudiera également les sciences islamiques en Egypte, au Caire, dans la célèbre université d’Al-Azhar. Il fut également un connaisseur du tasawwûf et de la doctrine d’Ibn Arabî, dont il traduisit plusieurs textes.

Parallèlement à sa vocation artistique, il commença à s’intéresser aux divers centres d’intérêt alors en plein développement, à savoir le courant spiritualiste et la mouvance anarchiste. Ainsi fut-il admis au sein de la branche française de la Société théosophique, parrainé par Émile Bernard, qui en était un membre actif. Il rencontra également des membres des milieux anarchistes, dont certains étaient proches de la jeunesse artistique (ce qui lui causera quelques ennuis par la suite, comme il sera précisé plus loin).

En 1891, de retour en Suède, il fréquenta la Société des artistes de Stockholm. Il peignit des paysages et composa des “poèmes en couleurs”, inspirée de l’œuvre de Baudelaire (1821-1867).

Fin 1892, il revint à Paris et se lia avec Marie Huot, une militante socialiste anarchisante, qui défendait également la cause des animaux. Arrêté pour avoir hébergé chez lui un anarchiste recherché par la police, il fut incarcéré plus d’une année à la Prison Mazas, célèbre établissement pénitentiaire du XIXe siècle.

C’est durant cette période qu’il entreprit l’étude de l’hébreu et de l’arabe, et commença à s’intéresser aux civilisations orientales. Libéré en septembre 1894, il se rendit en Égypte, au Caire, où il vécut durant quelques mois. Il peignit des paysages et des portraits d’indigènes. Selon Paul Chacornac, il eut au moins trois savants musulmans traditionnels comme « références et influences » :
1. Shaykh ʿAbd al-Raḥmân al-ʿIlaysh al-Kabîr : Musulman Sunnite traditionnel, jurist malikite, théologien, enseignant à Al-Azhar, sûfi shadhilite, exégète du Qur’ân et activiste politique.

2. Shaykh Aḥmad Sharîf al-Sanûsî (m. 1933 à Médine) : Musulman Sunnite traditionnel, maître de la tariqa (et mouvement politique) As-Sanûsiyya de 1902 à 1933, et grand resistant contre les forces coloniales françaises et italiennes. Il dira à Aguéli de ne pas soutenir les forces italiennes sous n’importe quelle circonstance (Aguéli’s letters mention him in 1909 and 1911).

3. Shaykh Hosafī al-Qâhirî Musulman Sunnite traditionnel, juriste, théologien et sûfi. En 1916, Aguéli mentionne ce Shaykh comme étant vaiment respecté, et qu’il possédait des écrits de lui sur les sciences ésotériques et exotériques de l’Islam.

Durant l’été 1895, il rentra à Paris. Il consacra de plus en plus de temps à l’ésotérisme et à la métaphysique, sans toutefois se détourner complètement de son œuvre artistique : lecture des ouvrages de Fabre d’Olivet, Villiers de l’Isle-Adam, Denys l’Aréopagite, Swedenborg (qui lui laissa une forte impression) etc. Parallèlement, il étudia en profondeur les langues hébraïque, arabe et hindoustani à l’École des langues orientales (Langues O). Son professeur d’arabe classique, l’orientaliste Joseph Derenbourg (1811-1895), lui fit découvrir certains aspects de l’Islam à travers un écrit de l’exégète musulman Al Baidawi Abdallah Ibn Omar, La lumière du Livre révélé et les secrets de l’exégèse.

En décembre 1896, il regagna la Suède, à la suite du décès de son père. Il revint à Paris en juillet 1897. C’est à cette époque semble-t-il, selon son biographe Axel Gauffin, qu’il se convertit à l’Islam, ce qui ne l’empêcha pas d’étudier le Bouddhisme, de se rendre en Inde et à Colombo, à Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka) en 1898 et 1899.

Il écrivit des chroniques d’art novatrices – notamment pour la découverte des cubistes – dans l’Encyclopédie contemporaine illustrée, revue créée par le mari de son amie Marie Huot, de 1896 à 1913.

Pour terminer, nous pouvons certifier que l’œuvre de Guénon, dans ses grandes lignes, est conforme à l’Islam et que les « prédictions » découlant de ses considérations, se sont réalisées durant le demi-siècle qui a suivi son décès, et que des historiens, sociologues, physiciens, mathématiciens, anthropologues, économistes et maîtres spirituels ont confirmé d’une manière ou d’une autre les considérations qu’il développait tout au long de son œuvre. Quant aux détails de son œuvre, il ne reste qu’un être humain, et a donc pu commettre des erreurs ou adopté des points de vue pouvant faire l’objet de divergences, ou relever des choses qui relèvent de l’hypothèse ou d’une position qu’il n’est pas du tout obligatoire de suivre, et nous demandons le Pardon d’Allâh pour lui dans ce qu’il a pu dire d’erronés. Il y a d’autres points secondaires qui peuvent aussi laisser perplexe et confus certains lecteurs qui n’ont pas atteint un haut niveau spirituel permettant de saisir la pertinence de certains de ses propos, ou admettant une sorte d’excuse le cas échéant, et il est inutile de trop s’attarder sur ces choses, car l’essentiel de son œuvre est ailleurs.
Plusieurs témoins affirment qu’avant de quitter ce bas-monde, ses derniers mots furent « Allâh, Allâh, Allâh ».

Qu’Allâh lui fasse donc Miséricorde et fasse que son œuvre, dans tout ce qu’elle comporte de bénéfique, continue d’être un support pour les préserver des maux modernes, de l’ignorance, du sectarisme, et d’être un guide vers Allâh, à travers l’Islam dans son approche la plus pure.


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