Dans cet article, nous évoquerons les noms de quelques figures emblématiques de l’approche « hypercritique » dans le domaine de l’islamologie, en présentant rapidement leurs thèses et les lacunes qu’elles comportent.
1) Theodor Nöldeke (1836 – 1930), dans Geschichte des Qorans. Son ouvrage aussi traduit en français, Un essai, Histoire du Coran, qui lui vaut d’ailleurs en 1859 le prix de l’Académie des inscriptions et belles-lettres en France, en compétition avec Aloys Sprenger et Michele Amari poursuit comme objectif de : « …rechercher la division primitive et le caractère des différents morceaux qui le composent; déterminer autant qu’il est possible, avec l’aide des historiens arabes et des commentateurs et d’après l’examen des morceaux eux-mêmes, les moments de la vie de Mahomet auxquels ils se rapportent; exposer les vicissitudes que traversa le texte du Coran, depuis les récitations de Mahomet jusqu’à la recension définitive qui lui donna la forme où nous le voyons; déterminer d’après l’examen des plus anciens manuscrits la nature des variantes qui ont survécu aux recensions ».
2) L’historien américain John Wansbrough (1928-2002), dans Quranic Studies : Sources and Methods of Scriptural Interpretation (Oxford, 1977) expose plusieurs hypothèses mais il y a beaucoup trop de spéculations dans ses travaux qui sont contredites par la recherche historique et les preuves matérielles : il situait l’achèvement du Qur’ân vers l’an 800 et une rupture entre le Qur’ân et l’existence du Prophète, et donc un Qur’ân inconnu des premiers musulmans. Mais on a retrouvé des inscriptions et graffiti de versets du Qur’ân et des ahadiths datant des premières décennies de l’hégire, de même qu’on a trouvé d’anciens manuscrits qurâniques identiques à celui qui est reconnu unanimement aujourd’hui, et qui dataient aussi du 1er siècle de l’Hégire. De même, si les musulmans n’étaient qu’une secte judéo-chrétienne, on ne s’expliquerait pas les différences fondamentales et la naissance d’une nouvelle civilisation profondément différente et spécifique, et le fait que les judéo-chrétiens ne se soient pas directement rattachés à l’islam s’il ne s’agissait que d’une entreprise politique issue d’un courant judéo-chrétien.
3) Édouard-Marie Gallez (né en 1957), – docteur en théologie et histoire des religions de l’université de Strasbourg -, dans son étude intitulée Le Messie et son Prophète (éd. de Paris, 2005), il y présente sa thèse selon laquelle les judéo-nazaréens pourraient être à l’origine de l’histoire proto-islamique et, notamment, à l’origine des textes intégrés par la suite dans le Qur’ân, mais son travail souffre aussi de sérieuses lacunes historiques et linguistiques, et n’intègre pas tout un tas de données historiques, linguistiques et matérielles, qui ne cadrent pas avec sa thèse.
4) Christoph Luxenberg (pseudonyme d’un prétendu philologue allemand), est l’auteur de l’ouvrage controversé Die Syro-Aramäische Lesart des Koran: : Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache (Lecture syro-araméenne du Qur’ân : une contribution pour décoder la langue du Qur’ân), publié en 2000 en allemand. Il s’agit d’une étude philologique dans laquelle un certain nombre d’hypothèses sont étudiées, dont l’auteur conclut que les sources du Qur’ân proviendraient de l’adoption de lectionnaires syriaques destinés à évangéliser l’Arabie.
À l’aide de sa méthode, qui consiste à vérifier si les termes arabes n’ont pas un équivalent syriaque, Luxenberg affirme que certains passages qurâniques seraient mal interprétés : ainsi, le mot hûri (houri) signifierait-il raisins blancs selon lui, et non pas vierges aux grands yeux, et l’expression sceau des prophètes signifierait « témoin », voulant dire que Muhammad est censé n’être qu’un simple témoin des prophètes venus avant lui. Des thèses similaires sur les bases araméennes du Qur’ân ont été développées par Alphonse Mingana déjà en 1927 dans « Syriac Influence on the Style of the Kur’an », 11e Bulletin of the John Rylands Library, 1927. Dès 1860, Theodor Nöldeke dans son Histoire du Qur’ân étudiait la création de l’Islam sous l’angle linguistique. En 1874, Adolph von Harnack estimait qu’il s’agissait d’une dérivation judéo-chrétienne.
Le problème dans sa thèse, est que d’une part, des études suggèrent que l’arabe précède la langue syriaque, et que l’arabe était déjà parlé dans cette région depuis au moins plusieurs siècles avant l’apparition de l’Islam, – il n’y a donc rien qui suggère qu’un Prophète arabe aurait préféré le syriaque qui n’était pas vraiment parlé par les tribus arabes de l’époque -, et que d’autre part, les traductions/interprétations syriaquisées de Luxenberg donnent un sens difficilement conciliable avec le contexte. Et si l’on applique cette grille de lecture pour tout le Qur’ân, sa thèse s’écroule puisqu’il n’y a plus aucune cohérence.
Ce manque de rigueur a été souligné non seulement par des chercheurs musulmans, mais aussi par des chercheurs non-musulmans. François de Blois, dans Journal of Qur’anic Studies, relève des fautes grammaticales dans le livre de Luxenberg et dit : « Sa maîtrise du syriaque est limitée à la connaissance des dictionnaires, et dans son arabe, il fait des erreurs typiques des Arabes du Moyen-Orient » et décrit sa thèse comme n’étant « pas un travail d’érudition, mais de dilettantisme » (Journal of Qur’anic Studies, 2003, Volume V, Issue 1, pp. 92-97, mis à jour le 5 avril 2011 : Islamic Awareness : https://www.islamic-awareness.org/quran/text/luxreview2).
Patricia Crone, qui était auparavant favorable à sa thèse (en 2002), changera d’avis à la suite d’un approfondissement des recherches en islamologie, et finira par dire en 2008 que : les définit (ainsi que ceux de Günter Lüling) comme « susceptibles de soulever de nombreuses objections scientifiques » et remarque un « amateurisme évident dans le cas de Luxenberg »18. Elle conclut que l’on ne saurait prétendre que ces travaux aient apporté grand-chose : « This idea has been explored in two German works, by Günter Lüling and Christoph Luxenberg, and there is much to be said for it. At the same time, however, both books are open to so many scholarly objections (notably amateurism in Luxenberg’s case) that they cannot be said to have done the field much good » (“What do we actually know about Mohammed?”, Open Democracy, 10 juin 2008 : https://www.opendemocracy.net/en/mohammed_3866jsp/).
En 2004, le Wissenschaftskolleg zu Berlin (Institut de recherches avancées de Berlin) a organisé une conférence autour de la thèse de Luxenberg, et de nombreuses critiques envers Luxenberg y ont été émises.
Mais malgré les évidences pointant vers les lacunes de cette thèse, Claude Gilliot (né en 1940), – un orientaliste très partisan -, continue de soutenir cette thèse pour des raisons idéologiques plus qu’académiques.
5) Claude Gilliot (né en 1940) est un islamologue français et un religieux dominicain. Dans sa thèse intitulée Aux origines du Coran – Comment est né le texte sacré de l’islam, il reprend plusieurs thèses avancées déjà par les autres chercheurs susmentionnées, avec les mêmes carences et erreurs (notamment sur le fait que nous disposons aujourd’hui de nombreux fragments qurâniques datant du 1er siècle de l’Hégire, que la langue arabe était déjà parlée dans la péninsule arabique depuis longtemps, qu’une lecture syriaque du Qur’ân pose de sérieux problèmes linguistiques et sémantiques, etc.). Dans son article Le Coran avant le Coran – Quelques réflexions sur le syncrétisme religieux en Arabie centrale (publié aussi dans l’ouvrage collectif Le Coran – Nouvelles approches aux éditions CNRS, 2013), il aborde les liens entre l’islam (et surtout le Qur’ân) et les différents groupes religieux de l’époque (essentiellement chrétiens, mais la question du manichéisme est aussi traitée), à l’aide d’une abondante littérature bibliographique. Cependant les thèses propres de l’auteur sont contestables et manquent, elles aussi, cruellement de preuves pour étayer certains rapprochements qu’il essaye de faire, en se basant notamment sur de nombreuses extrapolations ou des récits jugés apocryphes. D’ailleurs, la thèse des « emprunts » relève souvent d’une extrapolation, – une ressemblance pouvant s’expliquer par différents moyens -, et est dans de nombreux cas, difficilement démontrable, d’autant plus quand il n’existe aucune preuve « horizontale » (rencontres physiques, transmissions orales ou écrites des informations ou doctrines) pour relier deux groupes (ou plus), deux personnes ou deux ouvrages. Son principal problème, est qu’il n’est pas neutre, donc il procède souvent à des extrapolations pour rabaisser le Prophète ou d’autres figures, alors que les femmes l’ont suivi majoritairement et qu’il a pris leur défense, et que, même s’il a épousé plusieurs femmes, il a respecté leurs droits sans jamais négliger l’éthique ni même la voie spirituelle, dont il était le maître pour l’ensemble des compagnons initiés à l’ascétisme et à la spiritualité, ainsi que de l’ensemble des maitres spirituels du monde musulman.
6) Alfred-Louis de Prémare (1930 – 2006) est un historien français, s’étant intéressé à la langue et à de culture arabe ainsi qu’à l’histoire de l’islam. Ses thèses sont exposées dans Les Fondations de l’islam. Entre écriture et histoire (éd. Le Seuil, 2002) et dans Aux origines du Coran, questions d’hier, approches d’aujourd’hui (éd. Téraèdre, « L’Islam en débats », 2004). Il partage globalement les thèses de l’école hypercritique, et il attribue au calife ‘Abd al-Malik (685-705) l’apparition d’une première élaboration dogmatique autour de la légitimité politique et religieuse, ainsi que l’autonomie de la religion par rapport au pouvoir politique. Il impute aussi au califat omeyyade le contrôle des transmissions de hadith, – ce qui n’est pas faux en soi -, mais où au même moment, nous avons des témoignages que de grandes figures religieuses se sont levées pour décrier la corruption politique tout en refusant de mentir sur la religion et de cautionner la tyrannie politique des despotes.
7) Patricia Crone (1945 – 2015), historienne de formation, s’est spécialisée dans l’histoire de l’Islam des origines. Partisane de l’approche hypercritique concernant la Tradition musulmane, elle révisera cependant plusieurs de ses positions hypercritiques à la lumière des travaux plus récents dans le domaine de l’islamologie. Dans son ouvrage Meccan Trade And The Rise Of Islam (éd. Princeton University Press, 1987) elle analyse la pertinence des hypothèses avancées par les historiens traditionnels concernant l’« environnement » dans lequel est apparue l’Islam. Elle conteste aussi les conceptions traditionnelles qui soutiennent que la Mecque était un centre marchand associé à une route commerciale importante. Le dernier chapitre du livre est consacré à réexaminer et réévaluer les preuves et les sources disponibles pour étudier la naissance de l’islam. Néanmoins, plusieurs recherches ont montré que la perspective traditionnelle concernant la Mecque était fondée historiquement, et certaines données et critiques ont été exposées dans l’ouvrage Meccan Trade and the Rise of Islam: Misconceptions and Flawed Polemics (Journal of the American Oriental Society Vol. 110, No. 3 / Jul. – Sep., 1990, pp. 472–486 Published by: American Oriental Society) du chercheur et historien Robert Bertram Serjeant (1915-1993). Depuis, d’autres travaux sur le sujet corroborent aussi en grande partie les données de la Tradition musulmane concernant la Mecque. Plusieurs articles et ouvrages du chercheur et islamologue français Christian Julien Robin apportent également des informations pertinentes dans ce domaine.
8) Dan Gibson (né en 1956), soutient la thèse que les origines de l’Islam et de la Qibla se situent plutôt à Pétra (en actuelle Jordanie) et non pas à la Mecque (en Arabie Saoudite). Ses arguments sont très faibles, et aucun manuscrit d’époque ne laisse suggérer que la qibla et le pèlerinage se faisaient en direction de, – ou à – Pétra. Sa thèse est présentée dans Qur’ānic Geography: A survey and evaluation of the geographical references in the Qur’ān with suggested solutions for various problems and issues’ (Vancouver: Independent Scholar’s Press, 2011) et dans Early Islamic Qiblas: A survey of mosques built between 1AH/622 C.E. and 263 AH/876 C.E (Vancouver: Independent Scholar’s Press, 2017). Des chercheurs musulmans et non-musulmans ont répondu à sa thèse. L’examen critique de la thèse de Gibson a été effectué notamment par Michael Lecker dans le Journal of Semitic Studies de 2014, où il conclut en disant : « L’écriture imaginative de ce livre peut avoir ses adeptes, peut-être même dans les milieux universitaires. Mais l’étude de l’histoire islamique primitive est mieux servie par de petits pas, un à la fois » (Michael Lecker, Review of: Dan Gibson, The Qur’anic Geography, in : Journal of Semitic Studies, Autumn 2014, Vol. 59 Issue 2; pp. 465–467 : http://jss.oxfordjournals.org/content/59/2/465.extract).
En 2017, Salim Al-Hassani, fondateur de l’Academic history of technology portal Muslim Heritage, a publié une analyse très critique des premières Qiblas islamiques de Gibson par un expert en astronomie musulmane médiévale, David A. King, auteur de World-Maps for Finding the Direction and Distance to Mecca: Innovation and Tradition in Islamic Science, a écrit de nombreux articles sur la qibla dans l’Encyclopedia of Islam. King a soutenu que les premiers Arabes musulmans n’étaient pas en mesure d’établir précisément les Qiblas lors de la construction de nouvelles mosquées jusqu’à ce que les développements mathématiques ultérieurs rendent la précision possible. De plus, de nombreuses variations d’orientation sont mieux expliquées par les pratiques régionales et locales, la géographie imparfaite et l’astronomie populaire. King a soulevé la compréhension inadéquate de Gibson des mathématiques, citant les « polygones sphériques » de Gibson (p. 170) comme inexplicables. King a résumé son analyse du travail de Gibson comme étant un « document amateur non-scientifique qui est à la fois offensant pour les musulmans et aussi une insulte à l’érudition musulmane et occidentale ».
Ces données sont exposées dans l’article de David A King intitulé From Petra back to Makka – From “Pibla” back to Qibla (22 août 2017 : https://muslimheritage.com/pibla-back-to-qibla/).
Quant à l’orientation de certains mihrab, le droit musulman accepte un certain décalage dans l’orientation, tant qu’il ne s’oppose pas à la direction de la Mecque, dans un angle compris (champ de vision) de 90° (45° de part et d’autre), raison pour laquelle on trouve parfois d’anciennes mosquées avec un certain décalage, et même des mosquées et d’anciennes bâtisses fréquentées par des religieux musulmans n’adoptant pas exactement le même angle, alors qu’on parle de la même période de construction, comme par exemple l’ancienne mosquée à Ibn Tulûn (en Egypte) et la madrassa du même quartier datant du 8e siècle.
9) Mohammad Ali Amir-Moezzi (né en 1956) est un islamologue se définissant comme agnostique, et exerçant comme enseignant dans le monde francophone.
Il soutient la thèse d’un complot à l’origine du Qur’ân actuel et de l’histoire politique de l’Islam. Sa thèse se fonde essentiellement sur une imagination débordante et des raccourcis fallacieux, en mettant de côté les preuves historiques ainsi que les décisions politiques et les doctrines théologiques de l’imâm ‘Alî et des imâms de la famille prophétique. Ses compétences dans l’étude des manuscrits et de la langue arabe ne sont pas remises en question, contrairement à sa rigueur intellectuelle et méthodologique. Il développe ses hypothèses dans Le Coran silencieux et le Coran parlant. Sources scripturaires de l’islam entre histoire et ferveur (CNRS Éditions, 2011) et aussi dans l’ouvrage collectif qu’il a dirigé en 2019 intitulé Le Coran des historiens (Éditions du Cerf, 2019), travail réunissant plusieurs spécialistes du sujet, issus aussi bien de l’école hypercritique (dont les travaux sont fortement contestés et réfutés par les plus grands chercheurs contemporains) que les chercheurs soutenant la pertinence (sur des bases historiques, archéologiques et linguistiques) de données véhiculées par la Tradition musulmane. Cet ouvrage collectif réunit donc des chercheurs sérieux et d’autres qui ne le sont pas, à l’agenda politico-idéologique à peine voilée.
Il se base sur quelques sources shiites de seconde main, et parfois, on a l’impression que Moezzi prend pour argent-comptant tout ce qui s’y trouve, et se met donc à formuler des affirmations et des conclusions douteuses qui sont formellement contredites par les évidences historico-logiques et même par de nombreux ahl ul bayt. En effet, ‘Alî ne fut pas écarté du pouvoir politique puisqu’il était toujours proche et conseiller politique d’Abû Bakr, de ‘Umar et de ‘Uthmân, et avait même avec eux des liens de parenté via le mariage de leurs enfants. De même, ni Abû Bakr, ni ‘Umar ni ‘Uthmân ne cherchèrent à le tuer. Aussi, ‘Alî ne possédait pas un Qur’ân 3 fois plus volumineux que le Qur’ân « officiel » (dit uthmanien) mais son mushaf du Qur’ân suivait simplement l’ordre chronologique, mais avec les mêmes sûrates et les mêmes versets, et il ne remit jamais en cause le Qur’ân officiel, ni publiquement, ni en privé, y compris lorsqu’il devint le calife, approuvé et suivi par les mêmes qui avaient soutenu les trois premiers califes bien-guidés. Que ce soit par rapport au Prophète, à ‘Alî ou à ses enfants, tous entretinrent globalement de bonnes relations avec les trois premiers califes et les autres grands compagnons, malgré des divergences qui existaient entre eux tous selon les sujets en question. Il écarte ainsi les récits les plus établis et les plus probables, en faveur des récits tardifs, ultra-sectaires (partisans) et isolés. Ainsi, que ce soit sur le plan historique, logique ou religieux, sa thèse manque cruellement de logique et de preuves historiques, en plus du fait qu’il se base sur d’autres thèses orientalistes aujourd’hui dépassées, nuancées ou réfutées par la recherche. Par ailleurs, il généralise de façon abusive certains conflits, faits ou même des falsifications concernant des ahadiths, au Qur’ân, sans aucune démonstration logico-historique. L’intérêt chez cet auteur réside surtout la documentation dans la sphère shiite (et ismaélienne notamment) qui devient accessible au plus grand nombre.
Dans certaines vidéos où on le voit s’exprimer, de même que dans certains de ses articles et ouvrages (1), on ne peut pas s’empêcher de constater à quel point ses opinions, érigées en dogmes, ne s’appuient sur strictement aucune preuve historique, mais que sur des suppositions très peu crédibles. La question que l’on est donc en droit de se poser, quand il parle « des plusieurs versions (hypothétiques évidemment) du Qur’ân qui ont précédé la religion islamique impériale », c’est de savoir où sont-elles passées alors, et lui-même admet fort bien pourtant que parmi les shiites partisans d’un Qur’ân falsifié, ont dû vite abandonner cette idée car aucun manuscrit historique ni aucune tradition bien authentifiée chez les Ahl ul bayt n’appuyait une telle thèse, et ce qui devint d’ailleurs aussi l’avis majoritaire en milieu shiite, qui conteste donc cette thèse d’un Qur’ân falsifié dans le Texte-même. Selon lui encore, le Prophète aurait écrit la dernière partie du Qur’ân, mais pourquoi pas non plus le reste du Qur’ân, sachant que le rythme, le style, la cohérence et les thématiques qurâniques présentent un ensemble cohérent, ce qui ne va pas dans le sens d’un bricolage composé par différents auteurs (et dont beaucoup ne se connaissaient même pas à en croire les hypothèses grotesques de chercheurs très peu crédibles) ? Là aussi, Moezzi n’a aucun argument pertinent et ne propose aucune démonstration. Par ailleurs si le Qur’ân était un bricolage en faveur de la religion impériale des omeyyades, ceux-ci n’auraient pas hésité à vanter les mérites omeyyades dans leur version du Qur’ân, tout comme ils y auraient incorporé des versets légitimant la tyrannie et l’injustice pour servir leurs intérêts. Or, dans le Qur’ân, nous trouvons justement des injonctions explicites sur un ton intense, qui interdisent et blâment la tyrannie et la violence gratuite. Les seuls versets que l’on trouve en rapport avec la guerre, sont ceux qui appellent à la légitime défense et à récupérer la Mecque d’où les musulmans ont été chassés, pour la placer directement sous la Loi Divine et rendre le culte pur à Allâh seul. Et s’il existait de nombreuses versions du Qur’ân à l’époque des omeyyades, leurs ennemis déclarés parmi les ahl ul bayt et leurs partisans sunnites, ou parmi les shiites et les mu’tazilites, ils n’auraient pas hésité une seule seconde à mettre en avant leurs versions du Qur’ân, et les enseigner à leurs disciples jusqu’à nos jours. Or non seulement il n’y a aucune trace écrite ou orale de tout cela, mais les ennemis des omeyyades ont utilisé le Qur’ân uthmanien et des ahadiths pour dénoncer leur politique.
Ensuite, si le Qur’ân parle de politique, cela ne présuppose pas une volonté malhonnête et une invention idéologique (par des dirigeants despotiques) dans un but purement politique et égocentrique. Allâh étant le Créateur de toute chose, et s’adressant aux humains en leur donnant des principes louables et utiles pour régir les différents aspects de l’existence, il est tout à fait normal que le Qur’ân aborde des questions sociales, économiques, juridiques, politiques et scientifiques, en plus des dimensions métaphysiques, théologiques, cultuelles, éthiques et spirituelles. Si l’on leur retournait leur propre raisonnement, il faudrait imputer à chaque système politique actuel, cette intention malveillante et cette exploitation malicieuse pour légitimer tous les états démocratiques ou autres de notre époque. On sait que le Prophète Muhammad lui-même avait établi un Etat politique à Médine, sur des bases qurâniques notamment, sans que cela ne soit contesté par personne, et où les bases de cet Etat étaient fondées sur la justice et même la liberté de culte avec les composantes non-musulmanes de la Nation.
(1) A titre d’exemple, voir ce qu’il dit dans l’article “Mohammad Ali Amir-Moezzi : « Plusieurs versions du Coran ont précédé la religion islamique impériale »”, propos recueillis par Paul Ducay sur Philitt le 11 février 2020 : https://philitt.fr/2020/02/11/mohammad-ali-amir-moezzi-plusieurs-versions-du-coran-ont-precede-la-religion-islamique-imperiale/ ; et où Moezzi se permet d’énoncer toute une série d’assertions infondées, hypothétiques ou fausses sans jamais employer le conditionnel , – sauf rares exceptions -. Il se permet même de qualifier son travail « d’approche scientifique » quand la méthodologie et la rigueur scientifiques sont absentes de ses thèses, et dont les soubassements sont essentiellement idéologiques puisque ne reposant que sur des spéculations (parfois même sans queue ni tête). Que lui et d’autres aient leurs propres opinions est une chose qui les regarde, mais que les chercheurs malhonnêtes cessent de se targuer d’une objectivité ou d’un savoir qu’ils n’ont pas et qu’ils ne maitrisent nullement, alors même qu’en appliquant une approche scientifique à leurs thèses, celles-ci s’effondreraient d’elles-mêmes vu l’absence totale de preuves historiques et de sources de première main qui permettraient d’étayer leurs opinions personnelles, – qui relèvent ici clairement de la croyance et non pas de la « science ».
10) Nous ne mentionnerons pas ici les noms de nouveaux « chercheurs » auto-proclamés qui sont plus actifs dans les médias et sur youtube que dans la recherche, se faisant passer pour de « brillants chercheurs » et de bons « philologues » alors qu’ils ne maitrisent même pas la langue arabe, méconnaissent fortement l’histoire du monde musulman, et occultent ou négligent les récentes données historiques et archéologiques. Ils tentent de faire passer l’Islam pour une « religion » tribale, en déformant et détournant le sens linguistique des versets du Qur’ân, en omettant des occurrences déterminantes, de nombreux ahadiths mutawatir, des témoignages et graffitis d’époque, etc. D’autres renient les preuves matérielles et continuent de postuler que le Qur’ân ne serait apparu qu’à la fin du 8e siècle et qu’il aurait été composé au fil du temps par plusieurs auteurs (allant de 10 à plus de 100), sans aucun élément fiable et allant contre les évidences matérielles et intellectuelles.
Il convient ainsi de ne pas alimenter leur ego et de ne pas leur accorder une importance démesurée alors que leurs quelques travaux sont généralement médiocres et profondément lacunaires.