L’instruction publique et la Révolution française



Claude Fouquet (1) écrivait : « Au début de la Révolution, le marquis de Condorcet, éditeur des œuvres de Voltaire, et considéré comme le chef du parti philosophique, propose à l’Assemblée un projet d’organisation de l’instruction publique. Mais la majorité des députés préfère les idées de Rousseau, qui se méfiait de ce qu’il appelait « la corruption des collèges ». Lui-même autodidacte, Jean-Jacques ne croit pas à l’école. Il n’est pas question d’école dans son Emile ou de l’Education. Pour lui, le meilleur enseignant, c’est la Nature. « Le pauvre n’a pas besoin d’éducation », écrit-il péremptoirement (Emile, I). Voltaire est du même avis, et souhaite maintenir « la canaille » dans l’ignorance. « Nous n’avons jamais prétendu éclairer les savetiers et les domestiques, écrit-il à d’Alembert, c’est le travail des apôtres ». Il se moque des efforts des Frères des Ecoles chrétiennes pour répandre l’instruction dans les campagnes. Le projet de Condorcet est donc repoussé par l’assemblée, et il n’y a pas un mot sur l’instruction publique dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. La nationalisation des biens de l’Eglise ruine les hôpitaux et les écoles. Le grand historien Pierre Chaunu a montré l’étendue du désastre éducatif et humain, la soudaine montée de la misère et de l’illetrisme, après 1789.
Sous l’Empire, l’enseignement est domestiqué au service de Napoléon, et c’est ce modèle qui perdure aujourd’hui. Le principe de la liberté de l’enseignement est ben affirmé par la Seconde République, dans la loi Falloux de 1850, mais du principe, on n’est jamais passé à la pratique, ni sous le Second Empire, ennemi des libertés, ni sous la Troisième République, obsédée d’anticléricalisme. La liberté d’enseigner n’a guère existé que de 1875 à 1879. Cette année là, la république rétablit le monopole napoléonien, avec le droit exclusif réservé à l’Etat de conférer les grades universitaires. L’année suivante, commence la persécution des religieux qui enseignent et qui soignent. Par décrets des 29 et 30 mars 1880, Jules Ferry contraint les Jésuites à cesser leur enseignement et à se disperser dans les trois mois. En 1901, toutes les associations religieuses doivent être autorisées par le Parlement, sinon, l’Etat peut s’emparer de leurs écoles, cliniques et hôpitaux. Ecarter l’Eglise du secteur éducatif est le motif essentiel des lois scolaires votées en 1881 et 1882, à l’initiative de Jules Ferry.
Rendre l’enseignement primaire gratuit (2) n’était une nouveauté que par rapport au système napoléonien, car sous l’Ancien Régime, l’instruction dispensée par les Petites Ecoles était gratuite pour ceux qui ne pouvaient pas payer, grâce à quoi la promotion sociale au cours du dernier siècle de l’Ancien Régime a été plus rapide qu’après la Révolution, et pendant tout le 19
e siècle et même le 20e. La gratuité étendue à tous a l’inconvénient de faire oublier que l’enseignement a un coût, qui doit être payé par quelqu’un. La gratuité pour les familles pouvant financer les études de leurs enfants oblige le contribuable à un énorme effort. En réalité, par la gratuité, Jules Ferry voulait ruiner les écoles catholiques ; car comment pouvaient-elles survivre face à des écoles entièrement financées sur fonds publics ? Le coup de grâce est donné par l’interdiction d’enseigner. En 1905, cinquante mille prêtres, religieux et religieuses sont chassés de France, tandis que leurs écoles sont confisquées. Loin de condamner ces violences et ces spoliations, les défenseurs des droits de l’homme se réjouissent de cette lutte victorieuse contre l’obscurantisme (3) d’une église qui suscite, alors, des personnalités aussi dangereuses que le père Foucauld ou Thérèse de Lisieux.
Dès l’origine, le monopole de l’enseignement est conçu comme un système d’endoctrinement, destiné à diffuser une vision orientée de l’histoire. Après le scandale de Panama, la III
e République est sur la défensive, menacée par l’opposition des monarchistes et de l’Eglise. Contre les premiers, elle exalte la Révolution. Contre l’Eglise, elle noircit le Moyen Âge, apogée du catholicisme (…).
La passion partisane les conduit à refuser obstinément de tenir compte des nouvelles recherches menées à l’étranger, surtout en Angleterre et aux Etats-Unis, mais aussi en France, grâce notamment à François Furet, auquel s’opposent énergiquement Soboul et Vovelle. Ces progrès, dus en partie à l’archéologie, remettent en cause, non seulement la manière dont est enseignée l’histoire, mais aussi beaucoup de préjugés que nous avons sur l’évolution de l’homme et du monde »
.
(Claude Fouquet, “Histoire critique de la modernité”, Ed. L’Harmattan, 2007, pp. 144-146).


Il dit également concernant le système scolaire français :
« Les Français sont majoritairement insatisfaits de leur système scolaire. Selon une récente enquête, 67% d’entre eux estiment que c’est une urgente priorité de l’améliorer (1). Une étude de l’OCDE montre que les écoliers français ne sont qu’au 13e rang des pays développés pour l’étude des sciences, au 14e pour la littérature, et au 17e pour les mathématiques. Ce n’est pourtant pas une question de moyens, puisque nous sommes au quatrième rang mondial pour les dépenses d’éducation : un effort considérable sur fonds publics de 117 milliards d’euros par an, soit 7,1% de notre PIB. Chaque élève coûte plus de 7100 euros par an aux contribuables. Pourtant, selon les années, entre 20 et 40% des écoliers arrivent au collège sans savoir lire ni écrire. On sait que, dans tous les domaines d’activité, le monopole augmente les coûts et diminue les performances. Dans le domaine éducatif aussi, il faut introduire la liberté et la concurrence. C’est ce que font les autres pays.
Le monopole de l’enseignement a été mis en place en France, non pas pour assurer l’égalité et la gratuité, comme beaucoup le croient, mais pour des raisons idéologiques et politiques. Sous l’Ancien Régime, notre système scolaire et universitaire, très divers et concurrentiel, était le meilleur d’Europe (…) La nationalisation des biens de l’Eglise ruine les hôpitaux et les écoles. Le grand historien Pierre Chaunu a montré l’étendue du désastre éducatif et humain, la soudaine montée de la misère et de l’illetrisme, après 1789 (…).
(1) Challenges, 12 janvier 2006 ».
(Claude Fouquet, “Histoire critique de la modernité”, Ed. L’Harmattan, 2007, pp. 144-145).

Un peu plus de 10 ans plus tard, en 2018 (4), la France continue de reculer et se classait 26e pour les sciences, 26e pour les mathématiques et 22e pour la littérature. Ceci étant dit, précisons que la France se classe cette fois-ci 13e en ce qui concerne les dépenses pour l’éducation en 2015 (5), bien que le coût soit resté relativement le même (environ 7813 $ pour les écoliers et 16 145 $ pour les étudiants du supérieur). Le pays qui investie le plus dans l’éducation, parmi les pays de l’OCDE, est le Luxembourg (20 495$ pour les écoliers et 48 907 $ pour les étudiants du supérieur).
Comme quoi, les thèses modernistes (matérialisme, théories du genre, positivisme, etc.) qui se propagent et s’accentuent au sein des sociétés occidentales, n’ont pas de corrélation ou de causalité avec l’intelligence. La psychologie évolutionniste se trompe aussi, car il n’y a pas de « progression linéaire et unilatérale » vers une « augmentation » de l’intelligence, de l’érudition, des vertus, de la beauté (de l’art en tous genres), etc. Bien au contraire, avec la société de consommation et la superficialité du matérialisme, on assiste à un abrutissement de masse, où excepté l’apprentissage d’un savoir un peu technique, la masse sombre dans une certaine médiocrité intellectuelle, morale, artistique, sociale et politique, à l’image des « élites officielles » qui rabaissent également le niveau des réalisations et productions intellectuelles, artistiques et autres.


Notes :

(1) Claude Fouquet est spécialiste d’économie et d’histoire. Son ouvrage demeure intéressant malgré son islamophobie (alliant ignorance et mauvaise foi), son parti-pris pro-américain (quitte à occulter tous leurs massacres), et une certaine diabolisation excessive du monde gréco-romain (même s’il n’était effectivement pas du tout l’apogée civilisationnelle vantée par certains anti-religieux notoires).

(2) Peut-on réellement parler de « gratuité », quand même les écoles publiques imposent de payer un montant pour l’inscription, puis exigent d’acheter du matériel scolaire de marque (coûtant assez cher), ainsi que des manuels scolaires (parfois frisant l’obscurantisme et la propagande grossière, quand il s’agit d’histoire, d’économie, de philosophie, etc.) ? Ni de près (l’enseignement n’est pas totalement gratuit), ni de loin (l’Etat accorde un budget à l’éducation, qui provient des impôts et taxes que paient les contribuables), la « gratuité de l’enseignement » n’existe.

(3) L’auteur est ironique, car à cette époque-là, les écoles catholiques enseignaient la médecine, les mathématiques, l’histoire, la morale, la théologie, la géographie, la musique, l’astronomie, etc., donc rien de choquant ou d’obscurantiste (et les questions aux théories du genre ne firent débat publiquement que quelques décennies plus tard), et il y avait moins de dérives morales qu’à notre époque (aussi bien dans les églises « modernes » de notre époque, que parmi les laïcs).
Rappelons qu’à cette époque, la plupart des Républicains n’étaient pas du tout des modèles de moralité, de vertu, de justice, d’honnêteté et d’intelligence. Même parmi les républicains et les laïcs, l’homophobie (le rejet de l’homosexualité) était répandue, et ce rejet était parfois accompagné de violences physiques et verbales. Même Freud, l’anti-religieux, considérait l’homosexualité comme une déviance sexuelle et mentale. Claude Fouquet montre aussi, ensuite, que de nombreux défenseurs de la Révolution française au 20e siècle, étaient de fervents soutiens des dictatures marxistes ou fascistes, puis virent volte-face dès que le vent tournait dans l’autre sens.

(4) Statistiques de l’OCDE sur l’éducation, 2018 : https://data.oecd.org/fr/pisa/competences-en-sciences-pisa.html

(5) Panorama de l’éducation : Indicateurs relatifs au financement de l’éducation (2015) : https://data.oecd.org/fr/eduresource/depenses-d-education.htm


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