Le Sir Isaac Newton (1642-1727), célèbre physicien, théologien, philosophe, astronome, mathématicien et alchimiste (qui comportait aussi la chimie expérimentale ; voir son ouvrage Of Natures Obvious Laws & Processes in Vegetation) anglais de confession chrétienne, qui exercera un impact déterminant dans l’histoire des sciences et le paradigme scientifique en Occident durant des siècles, fut également un savant religieux qui écrivit énormément sur Dieu, la théologie et la Religion. Influencé aussi sans doute par des savants musulmans comme Ibn al-Haythâm et Al-Ghazâlî, il développera également des théories déjà abordées auparavant par des scientifiques musulmans, comme la théorie gravitationnelle.
Son nom est souvent cité concernant les sciences, – sa formation scientifique se déroulera essentiellement à Cambridge à la Trinity Collège – mais les cours de l’Education nationale évoquent très rarement ses écrits sur Dieu et la religion. Une étude de tout ce qu’il a pu écrire nous informe que sur les 3 600 000 mots qui composent son oeuvre, seuls 1 000 000 concernent la science et 1 400 000 la théologie (1). Ses recherches et travaux dans les questions religieuses incluaient aussi des écrits sur le Judaïsme et des savants juifs (comme Maïmonide, lui-même très influencé par le savant musulman Al-Ghazâlî), la Bible et les Pères de l’Église, dont An Historical Account of Two Notable Corruptions of Scripture, une critique textuelle des Saintes Écritures qui a été remarquée à son époque. À Cambridge, le philosophe, théologien, médecin et épistémologue John Locke (1632-1704), à qui il a parlé de ses écrits théologiques, l’engage à poursuivre dans ses études et recherches religieuses. Si Newton n’était pas trinitaire, il était toutefois un chrétien convaincu, très attaché à l’Unicité Divine et au désaveu des idoles (2). Isaac Newton appartenait semblerait-il à la franc-maçonnerie, à l’époque encore globalement traditionnelle et religieuse malgré déjà quelques déviances. Il était un ami de Jean Théophile Désaguliers et de James Anderson, qui ont fondé la Grande Loge de Londres en 1717, marquant le passage de la maçonnerie opérative (encore globalement traditionnelle) à la maçonnerie spéculative moderne, qui au fil du temps, a versé plus dans le satanisme et l’occultisme, – tout en imposant le sécularisme dans les institutions publiques et les médias pour mieux affaiblir les instances et influences religieuses (au sens traditionnel du terme selon la terminologie guénonienne) – comme on peut le constater dans de nombreuses loges modernes.
Bien que Newton fût un fervent religieux, son paradigme scientifique fut amputé de sa dimension métaphysique, et servit parfois de caution à certains savants matérialistes, qui réduisirent la science et l’existence qu’à une vision mécaniciste puis scientiste des choses. Ce paradigme (scientiste et mécaniciste) a volé en éclat depuis l’existence et le développement de la physique quantique (avec notamment le principe de non-séparabilité et d’univers non-local), le principe du chat de Schrödinger, le théorème d’incomplétude de Gödel dans les mathématiques, et les travaux issus de la parapsychologie mettant en avant l’existence de phénomènes psi (dépassant le cadre des phénomènes purement physiques).
Concernant ses conclusions théologiques et métaphysiques à partir des observations scientifiques et des réflexions philosophiques qui furent les siennes, il a dit ainsi dans son ouvrage Opticks (publié en 1704 ; Le Traité d’optique, Livre III) : « L’ordre qui règne dans les choses matérielles indique assez qu’elles ont été créées par une volonté pleine d’intelligence. Il convenait à celui qui avait créé de mettre en ordre, et dès lors il est contraire à toute bonne philosophie de chercher une autre origine du monde que celle indiquée ici ; de prétendre qu’il pouvait être tiré du chaos par les simples lois de la nature, et une fois formé continuer d’exister durant des siècles par la seule vertu de ces mêmes lois. Car tandis que les comètes se meuvent dans des orbes très excentriques et dans toute sorte de positions, comment concevoir qu’un destin aveugle pût obliger les planètes à se mouvoir toujours, sauf d’insignifiantes irrégularités, dans un seul et même chemin en orbes concentriques ? Une si étonnante uniformité dans le système planétaire doit être nécessairement considérée, comme l’effet du choix et de la volonté. Dans les corps d’animaux, la même uniformité se manifeste. Ils ont généralement un côté droit et un côté gauche pareillement conformés, deux bras et deux pieds, ou deux ailes placés toujours aux mêmes endroits ; entre les épaules, le cou se trouve toujours avec une tête au-dessus, et dans la tête deux yeux, deux oreilles, une bouche, un nez constamment situés de même ; entrons-nous dans les détails indéfinis de l’organisation de ces corps, détails réglés continuellement par des lois uniformes, voulons-nous examiner les organes des sens et des mouvements, et faire attention seulement à l’instinct qui dirige les brutes et les insectes, alors nous nous convaincrons irrésistiblement que ces choses ne sauraient provenir que de l’habileté et de la sagesse d’un agent tout-puissant et éternel, qui étant à la fois dans tous lieux, soulève et dirige l’univers dans toutes ses parties, avec plus de facilité que nous ne pouvons nous-mêmes exécuter un mouvement de notre propre corps.
Et néanmoins nous ne devons pas considérer le monde comme le corps de Dieu, ou les différentes parties de ce monde comme autant de parties d’un même Dieu. Dieu est un être unique [ndt : litt. uniforme], dépourvu d’organes, de membres ou de parties ; celles-ci au contraire sont des créatures subordonnées et obéissantes à Sa volonté. Il n’est pas plus leur âme, que l’âme d’un homme n’appartient aux choses transmises par ses organes au lieu où s’effectue la sensation, ils sont destinés seulement à les y conduire. Dieu qui est présent partout et en toutes choses à la fois, n’a pas besoin de pareils organes. Il créé à volonté les corps, change les lois de la nature, et organise des mondes de diverses sortes dans les différentes parties de l’univers : du moins ne vois-je rien de contradictoire dans tout ceci. Plus nous arrivons à mieux connaître, par la philosophie naturelle, quelle est la cause première, tout le pouvoir qu’a sur nous cette cause et les bienfaits que nous en recevons, plus aussi notre devoir envers Dieu et envers chacun de nos semblables nous apparaît dans un jour plus éclatant et plus vrai. N’en doutons pas, si l’adoration des fausses divinités n’avait pas aveuglé les païens, leur morale philosophique serait allée plus loin que les quatre vertus cardinales. Au lieu d’enseigner les transmigrations des âmes, d’adorer le soleil, la lune et les héros morts, ils auraient pu nous apprendre à adorer le véritable auteur et bienfaiteur de toutes choses [ndt : Dieu], ainsi que leurs ancêtres l’avaient fait sous le gouvernement de Noé et de ses fils, avant qu’ils se fussent corrompus ».
Dans une lettre intitulée Que le système du monde prouve la nécessité d’une volonté intelligente (sur un total de 4, envoyées à Bentley), visant à répondre à une objection de Jean-Jacques Rousseau, Newton écrivit : « Relativement à votre première question, il me semble que si la matière dont se composent le soleil et les planètes, ainsi que toute celle qui existe dans l’univers se trouvait au hasard dispersée à travers l’espace, que chaque portion de cette matière possédât un mouvement inné de gravitation vers tout le reste, et que l’espace au travers duquel elle serait ainsi répandue fût limite, la matière en dehors de l’espace devrait tendre, par son mouvement de gravitation, vers la matière renfermée au dedans, et conséquemment de prétendre par son mouvement de gravitation, vers la matière renfermée au-dedans, et conséquemment venir tomber au milieu de l’espace où elle composerait une grande masse sphérique. Mais si au contraire cette matière était semée au hasard dans un espace infini, jamais elle ne pourrait se convertir en une masse unique ; quelques-unes de ses parties formeraient une masse, d’autres parties s’arrangeraient de même en masses séparées, de manière à produire un grand nombre de masses jetées à des distances considérables les unes des autres, à travers l’espace illimité (3). On comprendrait de la sorte la formation du soleil et des étoiles fixes, en admettant que de sa nature, la matière fût lumineuse. Mais comment, cette matière aurait-elle été divisée en deux sortes si distinctes, l’une brillante et se réunissant en un corp lumineux tel que le soleil, l’autre, obscure, opaque, se formant, non pas comme la matière lumineuse, en un corps unique, mais en plusieurs corps séparés ? Si l’on veut supposer que dans le principe le soleil a été un corps opaque comme les planètes, ou que les planètes ont été des corps lumineux comme le soleil, de quelle manière s’expliquer que le soleil soit devenu un corps lumineux, tandis que les planètes demeuraient opaques, ou bien que les planètes soient devenues opaques, alors que le soleil ne cessait pas d’être lumineux ? Ce n’est point par des causes naturelles qu’on peut se rendre raison de cela, il faut y voir l’habileté et le dessein d’une intelligence entièrement maîtresse de sa volonté (4).
Cette intelligence, ce pouvoir, naturel ou surnaturel, qui plaça le soleil au centre des 6 planètes principales, qui mit Saturne au centre des orbes de ses 5 planètes secondaires, Jupiter dans le centre de ses 4 planètes secondaires, et la terre au centre de l’orbe de la lune, ce pouvoir, s’il eût été aveugle et sans prévoyance, s’il n’eût pas agi en vue d’un but déterminé, aurait-il fait du soleil un corps différent de Saturne, de Jupiter et de la terre, c’est-à-dire possédant cette chaleur et cette lumière dont sont privés les autres corps ? Pourquoi existe-t-il dans le système du monde un corps destiné à donner de la chaleur et de la lumière à tout le reste ? Je n’en vois d’autre raison que la volonté du Créateur de ce système, qui a jugé convenable qu’il en fût ainsi. Pourquoi n’y a-t-il qu’un seul corps possédant cette nature ? Sans doute, parce que le Créateur a pensé qu’un seul suffisait pour réchauffer et éclairer tous les autres. (…) il est bien évident qu’aucune cause naturelle ne pourrait obliger les planètes, tant principales que secondaires, à se mouvoir constamment dans la même direction et sur le même plan, sauf quelque différence peu considérable. Cette régularité doit être l’effet d’un calcul intelligent (5). Il n’y a pas non plus de cause naturelle qui fût capable de communiquer aux planètes le degré précis de vélocité que les comètes, proportionnellement à leur distance du soleil (et cette vélocité, elles l’auraient eue si leur mouvement n’eût été causé que par la faculté de gravitation qui, dès le principe, eût fait tomber la matière des régions les plus élevées vers le soleil), alors elles exécuteraient leurs mouvements, non plus dans des orbes concentriques, mais dans des orbes aussi excentriques que ceux que les comètes elles-mêmes parcourent (…). Pour ordonner ce système avec son ensemble admirable de mouvements, il fallait une cause qui jugeât et comparât les quantités diverses de matière qui devaient entrer dans la formation du soleil et des planètes, qui appréciât la puissance de gravitation résultant de ces différences, réglât les distances à établir entre le soleil et les planètes principales (…), et qui assignât aux planètes le degré juste de vélocité qu’elles devaient avoir pour accomplir leur révolution autour des corps placés au centre. Afin de mettre en rapport et d’ajuster toutes ces choses dans un ensemble de corps si variés, il a fallu bien certainement, non pas une cause fortuite ou aveugle, mais l’intelligence du géomètre le plus habile, et du mécanicien le plus consommé. (…) L’inclinaison de l’axe de la terre considéré comme preuve de ‘existence d’une divinité, n’offre donc rien de frappant, à moins que l’on n’y voie un moyen de diversifier les saisons, de rendre la terre habitable vers les pôles, et qu’on ne fasse attention que les rotations diurnes du Soleil et des planètes, ne pouvant guère, vu leur régularité, provenir de causes purement mécaniques, semblent par leur accord avec les mouvements annuels et mensuels, compléter cette harmonie dans le système du monde, qui a été, comme je l’exposais plus haut, non l’effet du hasard, mais bien celui du choix et de la volonté. Il existe encore un autre argument capable de démontrer l’existence d’une divinité, et je le considère comme étant d’une très grande force, mais jusqu’à ce que les principes sur lesquels il se fonde soient plus généralement reçus, je pense qu’il convient mieux de s’abstenir d’en faire usage » (6).
Les 3 autres lettres développent davantage certains points, notamment sur des problématiques en rapport avec les mathématiques, la philosophie et la physique.
Bien que depuis l’époque de Newton, nos connaissances en astrophysique se sont avérées plus précises, et que certains éléments évoqués par Newton ne sont plus forcément d’actualité dans sa perception des choses, son argumentation ne perd rien de sa pertinence dans sa substance.
Notes :
(1) The Correspondence of Isaac Newton, édité par H.W.Turnbull, F.R.S., Cambridge 1961, tome 1, p.. 17.
(2) Stephen D. Snobelen, British Journal for the History of Science, vol. 32, 1999, pp. 381–419.
(3) En toute rigueur, nous devrions plutôt parler d’espace « indélimité », c’est-à-dire possédant une limite, mais difficilement connaissable ou mesurable à l’échelle humaine, puisque ce qui est créé, et qui possède une limite, au moins temporelle, ne peut pas être « illimité ». De nombreux physiciens parlent de « singularité initiale » à l’origine de notre univers physique, où la succession temporelle et les limites spatiales, et la temporalité des phénomènes physiques du cosmos, impliquent la nature créée et limitée des éléments de notre univers physique.
(4) Il est vrai que, si l’on prend le temps de bien méditer sur les phénomènes dans le cosmos, et surtout par rapport aux travaux récents en astrophysique, on ne peut qu’admettre la complexité, la beauté, l’intelligence et le « fonctionnalisme » des phénomènes cosmiques, et de la diversité incroyable et de leur harmonie qui forment un tout cohérent. Beaucoup d’astrophysiciens démentent ainsi un certain hasard ontologique, sachant que, si le hasard régissait les lois de la physique dès l’origine, l’univers aurait été stérile et profondément instable, ne pouvant donner « naissance » à aucun élément stable ou viable, et ce, même si l’on postulerait un temps « indéfini » ou « infini » puisque sans les forces et l’intelligence à l’œuvre, le « temps » ne peut strictement rien « produire ». Et sachant que l’information et les lois existent dans l’univers, le hasard – qui est l’absence de lois et d’informations -, la croyance du hasard ne peut pas être vraie. Pour que la vie soit possible et viable sur terre, sur la durée, l’existence du soleil et de la lune est nécessaire, – notamment pour la lumière, la chaleur et leur alternance dans de bonnes proportions -, mais aussi leur distance et leurs rayons appropriés pour notre planète. Le hasard ne peut pas expliquer cette diversité, cette minutie et l’existence de tous ses nombreux éléments, – avec leurs paramètres et variables divers -, qui concordent à réaliser des finalités et des fonctions communes, formant un « tout » dans lequel tout s’imbrique et s’harmonise.
(5) C’est ce que de nombreux astrophysiciens nomment le « principe anthropique ». En effet, si cela était dû au « hasard », aucune régularité n’aurait pu exister, et donc aucun calcul n’aurait été rendu possible, utile ou identifiable. Le « principe anthropique » est un principe épistémologique selon lequel les observations des phénomènes physiques doivent être compatibles avec la présence d’un observateur doué de conscience. Ce principe, proposé semblerait-il par l’astrophysicien Brandon Carter en 1974, existe en deux versions principales, le premier est le « principe anthropique faible » qui dit que ce que nous pouvons nous attendre à observer doit être compatible avec les conditions nécessaires à notre présence en tant qu’observateurs, sinon nous ne serions pas là pour l’observer, et le second est le « principe anthropique fort » qui énonce que les paramètres fondamentaux dont l’Univers dépend sont réglés de telle sorte que celui-ci permette la naissance et le développement de la vie et d’observateurs conscients en son sein à un certain stade de son développement. Dans les deux cas, ce sont des observations qui forcent les astrophysiciens objectifs d’accepter ce principe, d’autant que des modèles informatiques ont permis de simuler les conséquences engendrées par des changements, même minimes, dans les valeurs des constantes physiques.
(6) Cambridge, 10 octobre 1692.