Depuis des années, il ne se passe plus un mois où en Occident, les islamophobes utilisent la carte des « Frères musulmans » (al-Ikhwân al-muslimîn en arabe) pour justifier leur haine, accentuer les amalgames, cautionner leurs injustices et menacer la liberté d’expression et de culte.
Historiquement, les Frères Musulmans constituent un mouvement apparu en Egypte, à la suite de la chute du Califat ottoman, fondé en 1928 par Hassan el-Banna (érudit musulman, instituteur et formé aussi en tant qu’horloger). L’objectif officiel de la « confrérie » est la renaissance islamique et la lutte non-violente dans les pays musulmans et la défense des droits de la communauté musulmane dans les pays non-musulmans, ainsi que la lutte intellectuelle et sociale contre la propagande occidentale et sa domination idéologico-politique en terres d’Islam. En soi, tout cela est donc noble. Et la plupart des pays corrompus, autoritaires et iniques, qui ont beaucoup de sang sur les mains, l’ont classé parmi les « organisations terroristes », comme en Russie, en Arabie Saoudite, en Syrie, en Egypte et aux émirats arabes unis. Il y a là de quoi s’interroger.
Néanmoins, comme souvent, un mouvement évolue au fil du temps et se diversifie, – pour le meilleur et pour le pire – selon les régions et les pays où il se décline. Aujourd’hui, le mouvement compte des millions d’adeptes un peu partout dans le monde, en Occident comme en Orient, mais ses adeptes, même au sein de la branche la plus radicale, ne sont pas coupables des attentats qui ont touché l’Occident ou le monde musulman. Les médias leurs imputent donc des crimes qu’ils n’ont pas commis et amplifient considérablement les quelques problèmes existants. Ils ont ainsi beaucoup moins de sang sur les mains que des nations et groupes comme la Russie, les Etats-Unis, la France, le régime israélien, le régime syrien, l’Egypte de Sissi, l’Arabie Saoudite de MBS, la Chine, les Emirats arabes unis, les organisations terroristes d’inspiration marxiste comme le PKK/YPG/PYD/FDS, etc.
Par ailleurs, comme tout mouvement, celui-ci peut être critiqué et celui-ci est loin d’être une organisation homogène. Ainsi, les frères musulmans en Turquie sont d’inspiration soufie et veulent que le pouvoir retourne entre les mains des musulmans, ils sont pour la fraternité entre musulmans, la justice envers les non musulmans, un retour des musulmans aux valeurs islamiques (telles que la bienfaisance, la générosité, l’éducation, la piété, la pudeur, la justice sociale et politique, la compassion, …), avec l’essentiel du fiqh et de la ‘aqida pour beaucoup d’entre eux. Ils sont aussi favorables à la spiritualité comme à la science et accordent beaucoup d’importance à l’éducation. Sur le plan du fiqh, sans être sectaires, ils suivent plutôt l’école hanafite et dans la ‘aqida, l’école maturidite/asharite. Ils tiennent aussi en haute estime leurs figures spirituelles comme Yunus Emre, Rûmî, Al-Ghazâlî et Ibn ‘Arabî.
En Égypte il y a la tendance soufisante, la tendance salafisante (avec des idées ou des méthodes fort critiquables) et la tendance réformiste. Entre ces 3 tendances il y a évidemment des degrés et des sensibilités différentes. En Syrie c’est plus ou moins la même chose qu’en Égypte.
Au Qatar, elle est d’inspiration salafiste mais n’est pas fondamentalement opposée à l’asharisme ni avec le tasawwuf puisque beaucoup de leurs savants et représentants sont contre le salafisme et sont favorables à l’asharisme et au tasawwuf. Ils accordent aussi beaucoup d’importance à l’éducation et à la science. Ils ne sont pas forcément des suiveurs d’école juridique mais plus dans le fiqh comparé entre les différentes écoles juridiques déjà existantes.
Leurs relations avec le monde shiite est complexe aussi, car beaucoup de « fréristes » avaient des liens avec les shiites irakiens, libanais et iraniens, et l’Iran a souvent abrité des dirigeants fréristes, et ce depuis que Khomeyni était au pouvoir. Aujourd’hui les choses sont un peu différentes depuis que l’Iran s’est officiellement rangé du côté du régime sanguinaire de Damas pour des raisons géostratégiques, alors que ce régime est l’un des pires ennemis des Frères musulmans depuis l’époque de Hafez al Assad principalement.
Plusieurs de leurs références et leaders appellent en public et en privé à respecter les musulmans aussi bien que les non-musulmans, même si, en raison des tensions politiques, il peut toujours y avoir des débordements et des propos contestables et critiquables – comme les excès qui existent dans la plupart des mouvements contemporains dès qu’il est question d’idéologie ou de politique -. Chez les « fréristes », beaucoup ont fait des études supérieures et universitaires, et contribuent à améliorer la société de façon générale. D’autres suivent une tendance réformiste de type moderniste, et où leurs concessions et compromissions les poussent même à négliger leur pratique religieuse ou carrément même leurs convictions religieuses, ce qui est problématique.
Il convient donc de se garder de lancer de fausses accusations et d’alimenter les amalgames les plus grossiers quand on parle d’un mouvement important qui est loin d’être homogène.