A propos des fêtes non-musulmanes

Chaque année, dans les pays non-musulmans où il existe des musulmans, les mêmes débats et polémiques se multiplient et fusent de toutes parts pour savoir quelle attitude adoptée à l’égard des fêtes non-musulmanes qui revêtent une importance dans les pays en question, et où des implications diverses y sont liées (congés et vacances, primes, ambiance festive, programmes télévisés, publicités, etc.).

Alors, avant toute chose, et avant de savoir si une chose licite dans ce domaine, il faut bien distinguer les choses :

1) Souhaiter de bonnes fêtes
2) Approuver les fêtes jugées illicites (pour le musulman)
3) Assister « de loin » aux fêtes non-musulmanes
4) Participer pleinement aux fêtes non-musulmanes.

Ensuite, il faut identifier de quel type de fête il s’agit :

1) Une fête nationale ou culturelle à connotation religieuse ou idéologique, contenant des croyances idolâtres ou des valeurs contraires à l’islam
2) Une fête nationale ou culturelle sans croyances/rites d’ordre religieux ou idéologique (contraires) à l’Islam, mais pouvant contenir ou non des aspects illicites (alcool, fornication, dépravation, etc.).

Il faut aussi garder à l’esprit qu’en Islâm, il n’existe que deux fêtes qui soient totalement obligatoires pour l’ensemble de la communauté. Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « (…) Allâh vous les a changés pour 2 jours meilleurs, le jour du sacrifice (al Adha) et le jour de la rupture (al Fitr) » (Rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân n°1134 selon Anas Ibn Mâlik, Ahmad dans son Musnad n°1200, An-Nasâ’î dans ses Sunân n°1556 et d’autres).

Les autres ne peuvent pas être une obligation religieuse, et ne seront alors, selon les cas, que recommandées, simplement permises, déconseillées, fortement déconseillées, interdites (parfois de façon plus sévère que d’autres interdictions, pourrait-on dire, d’ordre mineur).

Par conséquent, une fête, commémoration ou célébration, ne peut être licite, du point de vue islamique, que si elle respecte les conditions suivantes :
1) Ne pas en faire une obligation religieuse.
2) Si le sens qu’on lui donne, pour celui qui la fête, est dénuée de croyance idolâtre.
3) Si la fête en soi, n’implique pas nécessairement ou potentiellement la réalisation de valeurs contraires à l’islam ou d’éléments illicites (alcool, fornication, vol, maltraitance, drogue, consommation de porc, etc.).
4) Si la fête n’implique pas de délaisser une obligation religieuse.
5) Si le musulman n’a l’intention de célébrer une fête que dans le but d’imiter les non-musulmans dans l’intention de leur ressembler dans une chose qui leur est spécifique, ou dans le but de s’éloigner de l’identité islamique par honte, dégoût ou complexe d’infériorité.

Aussi, en Islam, tout acte est jugé selon son intention, et le statut de l’acte commis par un individu varie selon la doctrine adoptée par l’individu, son intention première, le contexte, les actes commis et la finalité visée.

La fête de Noël

Prenons le cas de Noël qui fait couler beaucoup d’encre chez certains.

A l’origine, il s’agit d’une fête ayant une dimension religieuse visant à commémorer la naissance du Christ et honorer la mère de Jésus, Marie, que la Paix divine soit sur eux 2 ! Si la date fait l’objet de divergences, c’est surtout l’intention et le symbole derrière la fête qui importent vraiment. La date, dans ce cas, n’est alors qu’un détail et possède un but utilitaire (pour fixer la date de la fête).
Cependant, d’un point de vue islamique, celui qui la fête que dans le but de commémorer la naissance du Christ et l’importance de Marie, sans les diviniser et sans commettre d’interdit, et ne l’envisagent que comme une fête culturelle (avec ou sans la dimension religieuse, en ce sens que l’on doit manifester de l’intérêt et de la vénération pour le Prophète Jésus comme cela est enseigné dans le Qur’ân et dans la Sunnah) visant à se rappeler d’eux (ce qui est conforme au Qur’ân), à rassembler la famille pour méditer sur leur vie et leur exemple, passer un bon moment avec les proches, et distribuer des repas licites aux nécessiteux, cela ne peut pas relever du shirk ou du kufr, car il n’y a pas d’idolâtrie ni de mécréance à l’égard d’Allâh, du Qur’ân ou du Message de Son dernier Prophète (Muhammad).
Par contre, le musulman qui voudrait célébrer cette fête, doit s’éloigner des interdits comme l’alcool, la fornication, le porc, les gens qui tiendraient des propos blasphématoires, impudiques ou autres, et ne pas participer activement aux rites non-islamiques qui seraient pratiqués par certains.

Par ailleurs, pour beaucoup de non-musulmans, dont de nombreux chrétiens non-pratiquants, Noël est de nos jours avant tout une fête culturelle sans rites particuliers, et sans croire qu’Issâ (‘alayhî salâm) est « divinement le « Fils de Dieu » ». Noël à la base, c’est avant tout la naissance d’un Prophète, ce n’est pas un symbole de kufr en soi, c’est un peu comme le Mawlid concernant le Prophète Muhammad (ﷺ) pour les Musulmans. Par ailleurs, même des chrétiens qui refusent de considérer Jésus comme étant Dieu, célèbrent aussi Noël. Donc tout dépendra du sens donné à cette parole, et à cette fête. Mais il faut bien faire comprendre aux gens que le musulman ne cautionne pas le shirk, et que même s’il faut être courtois, on ne veut pas encourager les gens à se conforter dans la mécréance, l’injustice, le blâmable et les choses qui nuisent à l’âme et au corps. De même, certains finissent par accorder plus d’importance aux fêtes non-islamiques qu’aux fêtes islamiques, ce qui est problématique puisque cela affecte négativement l’identité islamique et la foi des personnes musulmanes qui tomberaient dans ce travers.

Le fait de souhaiter de bonnes fêtes aux non-musulmans lors de leurs célébrations et/ou d’y participer

Quant au fait de souhaiter une bonne fête aux gens, le musulman doit garder un bon comportement, rester respectueux, et dire « bonnes fêtes » si la célébration ne comporte rien de blâmable, et il ne doit pas avoir l’intention de légitimer cette fête si celle-ci contient du shirk, du kufr ou du harâm.
Si la fête est licite, alors il peut le dire sans problème.
Si la fête est illicite, alors il doit éviter les expressions qui pourraient être mal interprétées chez ceux qui fêtent cela, afin de ne pas leur donner l’impression de cautionner les choses illicites qui s’y trouveraient. Si cela est le cas, alors il faut employer une expression respectueuse n’impliquant pas un sens visant à approuver leurs fêtes, mais marquant toutefois la courtoisie et le désir de les voir guider par Allâh, d’être en bonne santé, et de passer de bons moments dans les choses licites.
Et si l’expression est confuse, le minimum, pour le musulman, est d’y mettre l’intention de ne pas cautionner l’idolâtrie et les éléments illicites de la fête, de leur souhaiter (au moins intérieurement) la guidée, la bonne santé, la réforme spirituelle, le bon comportement, etc.

L’avis du Shaykh Abû Zakariyya al-Shafi’î (dans sa fatwa du 28 décembre 2016) à ce sujet est que :

« Ainsi, il faut bien distinguer entre deux principales questions juridiques que rencontrent les musulmans en France durant cette période :

1- Féliciter les non-musulmans durant leurs fêtes :

La félicitation n’est point une imitation des mécréants dans leurs fêtes ni une adoption ou propagation de leur signe de mécréance. De même, elle n’est pas une attestation et acceptation de cette croyance inacceptable en islam. La félicitation contenant les paroles de « bonnes fêtes », « je vous souhaite une bonne année » , « joyeux noël », ne contiennent aucune interdiction juridique. Elle est simplement une courtoisie sociale témoignant la miséricorde de l’islam.

2- Participer à la fête des non-musulmans :

Certains sont invités à des rencontres familiales ou à des fêtes religieuses durant cette période. Leur participation doit être dans la limite de l’intention correcte citée par l’imam Ibn Hajar (al-Haytâmî). Cette intention doit toujours être la recherche de la liaison familiale et doit être conservée loin de l’aspect religieux de la fête.

Alors pour ceux qui mettent le sapin de Noël ou les symboles de ces fêtes sans avoir l’intention d’imiter l’aspect religieux de ce symbole sont soumis à la deuxième catégorie citée par l’imam (Ibn Hajar al Haytâmî). Ils ne commettent donc pas de mécréance mais un péché ». (“Regards sur la félicitation des non-musulmans durant leurs fêtes”, 28 décembre 2016 : https://droitetcharia.wordpress.com/2016/12/28/regards-sur-la-felicitation-des-non-musulmans-durant-leurs-fetes/).

D’un autre côté, le musulman doit aussi préserver son identité islamique, se prémunir contre les croyances erronées et les actes blâmables, mais il doit aussi entretenir de bons rapports avec ses voisins, le pays d’accueil (qu’il soit musulman ou non), et faire le maximum de bien possible pour éloigner la société du shirk, du kufr, du mal, de l’injustice, de la misère, etc.

Dans la Sunnah et chez les Compagnons, les musulmans ne réalisaient aucun rite non-islamique lors des fêtes des non-musulmans. Certains d’entre eux assistaient à certains événements accomplis par des non-musulmans, soit en visitant les églises (comme ‘Umar à Jérusalem) ou les synagogues, soit en assistant aux rites funéraires des Gens du Livre par exemple. ‘Abd al-Razzâq dans son Musannaf (n°9694) a rapporté que : « Al-Sha’bi a rapporté que : « Umm al-Harith bint Abi Rabi’ah est décédée et c’était une femme chrétienne. Ses funérailles étaient accompagnées des compagnons du Prophète (). Sufyan al-Thawri a déclaré dans certaines narrations : « Il leur a été commandé de marcher devant elle » ». L’imâm Al-Nawawi a dit dans Rawḍat al-Ṭâlibîn (2/116) : « Nos érudits ont dit qu’il n’est pas déconseillé pour un musulman de suivre le cortège funèbre d’un parent qui est un incroyant… Il est plutôt recommandé (d’en profiter aussi dans ces moments-là) de penser à la mort, à ce qui vient après, à notre passage dans ce monde, etc. ».
Ce qui est prohibé, à l’unanimité, c’est de cautionner les aspects illicites d’une fête ou d’une chose, d’accomplir des rites ou des actes contraires à l’slam, de les imiter volontairement dans le but de leur ressembler tout en délaissant des valeurs ou rites islamiques, de fréquenter trop régulièrement leurs rassemblements religieux (surtout s’ils contiennent trop de choses blâmables et croyances contraires aux doctrines islamiques). Si la nécessité, la simple curiosité et la courtoisie poussent le musulman à y assister à quelques reprises, tout en se préservant des choses illicites, cela est autorisé, sinon non, en vertu de cet athâr attribué à ‘Umar ibn al-Khattâb : « Evitez de vous associer aux ennemis d’Allâh durant leurs fêtes » (rapporté par al Bukharî dans Al Tarikh, et dans une autre variante par Al-Bayhaqî dans Shu’ab al-Imân n°8940), principalement leurs fêtes basées clairement sur l’idolâtrie ou les choses illicites, mais cela vise essentiellement l’avertissement contre ceux qui participeraient à leurs rites et à la promotion des croyances idolâtres et des mauvaises valeurs à travers leurs fêtes. Pour les autres types de fêtes et d’activités, cela est différent, comme déjà mentionné. Aussi, l’expression « ennemis d’Allâh » peut viser une catégorie spécifique, celle qui fait la guerre à l’Islam et aux croyants, et le fait de ne pas s’associer à leur fête coule alors de source, car cela pourrait s’apparenter au fait de choisir un camp opposé à celui de la foi et de la Vérité, d’où la sévérité du hadith, bien que cela puisse s’étendre au fait de ne pas participer activement aux fêtes ou célébrations qui font ouvertement la promotion de l’idolâtrie, de la débauche, de l’injustice, etc., ce quoi contre quoi tous les Prophètes et les Traditions monothéistes ont mis en garde. Allâh dit en effet : « Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes oeuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché, l’agression et la transgression » (Qur’ân 5, 2). Or, parmi les actes apparentés à la transgression, il y a le kufr (mécréance), le shirk (idolâtrie), l’injustice, la tyrannie, l’oppression, l’orgueil, l’hypocrisie, et la débauche.

La fête du Nouvel An

Pour le Nouvel An grégorien ou autre, cela n’est pas en soi illicite de souhaiter un bon Nouvel An avec l’intention de réaliser de bonnes oeuvres, de louer Allâh pour avoir prolongé le temps de vie, et de souhaiter le meilleur aux gens et aux proches, et par « meilleur », il faut entendre la guidée vers l’islam, la connaissance du Tawhîd, la réalisation des bonnes oeuvres, la joie, la bonne santé, la paix, le bien-être spirituel, etc. Mais le musulman ne doit pas non plus délaisser les symboles liés à son propre calendrier (basé sur l’hégire).

Par ailleurs, dans le cas où les enfants seraient régulièrement en contact avec d’autres enfants fêtant majoritairement des fêtes culturelles étrangères à l’Islam mais qui ne font pas la promotion du shirk ou de la dépravation, les priver de tout cela pourrait les conduire à l’exclusion, à la frustration, à la schizophrénie ou même au dégoût ou à l’abandon de la religion (islamique) par déception ou frustration vécue de la part de l’enfant, qui rejetterait sur l’islam, la cause de ses ressentiments négatifs et de sa privation. Par ailleurs, les parents doivent faire en sorte que les enfants gardent un contact avec l’Islam qui s’identifie avec la bonté, la générosité, la joie et la spiritualité, en leur donnant des occasions de s’amuser de façon licite.

Concernant le cas des convertis, préserver leurs liens familiaux est important – cela fait partie des objectifs de la Loi divine sauf dans le cas où leur foi, leur vie ou leur santé physique ou mentale seraient vraiment en danger -, et s’ils doivent parfois faire des concessions (s’asseoir à table où certains consomment de l’alcool ou mangent du porc, tant qu’eux-mêmes s’en abstiennent d’en consommer), ce sera leur « Jihâd an nafs » (effort sacré pour améliorer leur comportement, endurer les désagréments avec patience et dignité, etc.), et tant qu’ils ne les consomment pas eux-mêmes ou qu’ils ne les encouragent pas à consommer ce qui est interdit en Islam, ils se préserveront alors de commettre un péché, et de plus, leur situation est motivée par la nécessité et le désir de garder un contact avec leurs proches, ce qui est une recommandation forte en Islam.
Dans le cas des fêtes culturelles sans connotation religieuse, ils peuvent y assister ou y participer activement.
Dans le cas des fêtes religieuses, ils ne doivent pas y participer (rites, croyances, actes blâmables) mais peuvent y assister – en se mettant en retrait de préférence – si cela relève de la contrainte, de la nécessité ou de la simple curiosité, surtout si cela peut faire que ses proches aient une bonne opinion des Musulmans (ils associeront alors leur bon comportement à l’Islam). Mais s’ils craignent l’accomplissement ou l’influence de choses blâmables pour eux, ils doivent essayer d’éviter d’y assister également.

Tout ce qui a été dit ici ne contredit en rien le Qur’ân et la Sunnah. Cependant, des savants ont divergé sur plusieurs points, et il sera toujours possible de citer (souvent hors-contexte) des savants qui étaient très virulents ou trop tolérants à cet égard, d’autant plus que les mentalités, le contexte et les conditions étaient souvent différents à ce que nous connaissons aujourd’hui dans de nombreuses sociétés occidentales ou « occidentalisées ».


En somme, le statut légal concernant l’acte du musulman dans ce genre d’occasions, dépend avant tout de son intention, de sa doctrine et de sa finalité. Le savant hanafite Ibn Nujaym (926 H – 970 H) disait dans son Al-Bahr al-râ’iq (8/555) : « Il a dit dans le recueil mineur : un homme a acheté le jour de Nayrûz une chose que les non-musulmans achètent, malgré qu’il ne l’achète pas souvent. S’il avait l’intention de glorifier ce jour comme le glorifie les non-musulmans, alors il est devenu kafir. S’il avait l’intention (simplement) de jouir de cette nourriture et boisson, il n’est pas kafir ».

Citons aussi la fatwa d’un grand savant shafi’ite, Ibn Hajar al Haytâmî (m. 974 H/1567) dans Fatawa al kubra al fiqhiyyah (1) « En résumé, celui qui fait cela (s’habiller comme les non-musulmans, préparer des mets distinctifs…) devient mécréant s’il vise de les imiter dans les signes distinctifs de leur mécréance. S’il fait cela en adoptant les signes de leur fête sans les signes de leur mécréance, il commet un péché sans entrer dans la mécréance. Si par contre il ne vise pas de leur ressembler du tout et cela de premier abord, rien ne lui est reproché. J’ai entendu certains parmi les savants des dernières générations tenir le même discours en disant : « parmi les pires innovations se trouve le fait que les musulmans se joignent aux chrétiens dans leurs fêtes en les imitant dans leur nourriture ce jour, en leur donnant des cadeaux et en en recevant. Ceux qui sont les plus enclins à cela sont les égyptiens, alors que le Messager d‘Allâh a dit « quiconque imite un peuple en fait partie » ».

Le Shaykh Abû Zakariyya Al-Shafi’i Al Hussayni a dit (13 novembre 2019), par rapport aux fêtes religieuses/idéologiques spécifiques aux non-musulmans : « L’imam Ibn Hajar al-Haytami a dit concernant ceux qui imitent les non-musulmans durant leurs fêtes :
« En résumé :
– s’il les a imité avec l’intention d’imiter leurs signes de mécréance, c’est certainement de la mécréance ;
– s’il les a imité avec l’intention d’imiter leurs signes de fête sans regarder leur mécréance [ou sa représentation de la mécréance], alors il n’est pas mécréant mais il commet un péché ;
– s’il les a imité sans avoir l’intention de les imiter ni au fond ni en forme, alors il n’est pas coupable ».
Il est interdit de féliciter les mécréants en leurs fêtes spécifiques donc il faut faire la distinction entre les deux cas »
.

Quand il est question des « signes de la mécréance », on parle des symboles idéologiques, superstitieux ou idolâtres qui ont été innové ou introduit par certains groupes, qu’ils s’identifient ou non à une religion du Livre, à l’Islam, ou à une nation en particulier, etc. Il s’agit des signes qui s’apparentent clairement à du kufr ou à du shirk, et non pas de simples objets ou repas qui n’ont pas de connotation spécifique au shirk ou au kufr.

Il a été rapporté que l’imâm Ahmad avait 3 avis sur cette même question : interdit, réprouvé et permis. Ibn Taymiyya a adopté sa permissivité dans une fatwa, comme l’a précisé Ibn Al-Mardawi dans ‘Al-Insaf’.

Le Shaykh Ahmad Anas Lala (2) dans un article intitulé Est-il interdit de souhaiter bonne fête à des non-musulmans en date du 4 juillet 2008 a écrit : « Tout d’abord, on peut bien entendu invoquer Dieu en faveur de quelqu’un d’une autre religion pour des choses de la vie courante :

— Ainsi, au cas où on présente ses condoléances à un non-musulman qui vient de perdre un de ses proches, on peut tout à fait lui dire : “Que ne t’atteigne que du bien !”, ou : “Que Dieu t’accorde davantage de biens et d’enfants, et qu’Il prolonge ta vie !”, etc. (Ahkâm ahl idh-dhimma, p. 205). Voir aussi Majmû al Fatawa (1/144) de Ibn Taymiyya.

— Certains ulémas shafi’ites ont dit que cela était autorisé même sans maslaha particulière vis-à-vis d’une personne précise.

— Peut-on dès lors souhaiter une bonne année à un non-musulman, et le faire en fin ou en début d’année civile ?
A un non-musulman qui considère le début de l’année au 1er janvier, cela ne semble pas poser de problème dès lors que c’est le décompte auquel, par ‘Urf [coutume, culture], lui il adhère.
Cheikh Thânwî écrit que, oui, il est autorisé de se référer au calendrier grégorien, mais cela “est néanmoins contraire à la sunnah des Salaf. Et se référer au calendrier lunaire est sans aucun doute meilleur (afdhal wa ahsan), vu que cela est fardh ‘ala-l-kifâya” (Bayân ul-qur’ân 4/111).
En vertu du premier point, souhaiter une bonne année (dans le sens d’une année emplie de santé et de réussite), à un non-musulman qui adhère à ce référentiel de mesure du temps, cela semble être entièrement autorisé.
En vertu du second point, personnellement je ne vois pas pourquoi un musulman souhaiterait à un autre musulman, le 31 décembre ou les premières semaines du mois de janvier, une “bonne année”… (A un musulman, à l’occasion de la nouvelle année musulmane, on pourra par contre souhaiter une “bonne année” si on le veut ou en réponse à son une parole de ce genre, de sa part (ces nuances parce que cela ne constitue pas quelque chose de recommandé, mustahabb, et relève des simples relations humaines et est donc mubâh)).


B) Les choses sont différentes quant au fait de présenter ses vœux à des non-musulmans l’occasion de leur fête religieuse. Ci-après deux avis différents sur le sujet…

– Après avoir cité des avis disant qu’il était autorisé à un musulman de féliciter ceux qui ne sont pas musulmans à propos des choses de la vie comme une naissance, un mariage, etc., et de leur souhaiter bonne santé, prospérité, etc., Ibn ul-Qayyim écrit : “Ce qui précède concerne le fait de les féliciter à propos de choses communes (aux humains). (Mais) quant à ce qui est de les féliciter à propos des symboles de leur religion, cela est interdit à l’unanimité. Par exemple les féliciter pour leurs fêtes ou leur jeûne, et leur dire alors : “Joyeuse fête !”, ou : “Que tu sois heureux de cette fête !”, et chose voisine. Si celui qui dit ceci ne tombe pas lui-même dans le kufr, il commet au moins) un interdit. C’est comme si on félicitait ce non-musulman pour sa prosternation devant la croix” (Ahkâmu ahl-idh-dhimma, pp. 205-206). Cet avis de Ibn ul-Qayyim se fonde sur le fait que si le musulman considère qu’il doit tolérer les autres religions que l’islam, en revanche en son âme et conscience il ne peut être d’accord avec le fait qu’un homme se prosterne devant autre que Dieu. Il doit respecter cet homme en tant qu’homme. Il doit tolérer le fait que cet homme ait choisi une autre religion que l’islam. Mais il ne peut agréer ce qu’il fait. Il ne peut donc le féliciter pour cela. Il y a ainsi une différence entre le fait de tolérer les croyances et les pratiques religieuses d’autrui et le fait d’agréer ou de féliciter autrui pour ces croyances et pratiques.

Al-Qaradhâwî, pour sa part, a un avis nuancé par rapport à celui de Ibn ul-Qayyim. Il écrit en substance : “Je sais que certains ulémas, comme Ibn Taymiyya dans son livre Iqtidhâ us-sirât al-mustaqîmi mukhâlafata as’hâb il-jahîm, ont été sévères à propos des fêtes des non-musulmans. Je suis moi aussi d’avis qu’un musulman ne doit pas célébrer une fête religieuse non-musulmane. Certains musulmans se sont mis à fêter Noël comme ils fêtent la Eid ul-fitr et la Eid ul-adh’hâ. (…) Or nous musulmans célébrons nos fêtes religieuses et eux célèbrent les leurs” (Fatâwâ mu’âssira tome 3 pp. 672-673).
Al-Qaradhâwî poursuit : “Mais je ne vois pas de mal à ce qu’un musulman souhaite une bonne fête à un non-musulman lorsque tous deux sont parents, voisins ou collègues : ce sont des cas où les relations humaines nécessitent cela”. Et il souligne : “Leur souhaiter bonne fête ne revient pas à reconnaître vrai ce qu’ils font, ni à être d’accord avec leurs croyances ou leurs pratiques religieuses. Il ne s’agit que de paroles de courtoisie, relevant de bonnes relations humaines” (Fatâwâ mu’âssira tome 3 pp. 672-673).

Selon al-Qaradhâwî, il y a donc deux dimensions…
— L’une est qu’il est interdit de célébrer des fêtes autres que les fêtes de l’islam. Ceci car le Prophète a dit des différentes religions qu’elles avaient chacune “leurs jours de fête” et que les musulmans avaient les leurs (rapporté par al-Bukhârî, n°909, Muslim, n°892, etc.). Les habitants de Yathrib (Médine) avaient, lorsqu’ils étaient encore idolâtres avant la venue de l’islam, deux jours de fête, et les voyant continuer à les célébrer après leur conversion à l’islam, le Prophète leur dit que Dieu leur avait donné en place et lieu les fêtes de la Eid ul-fitr et de la Eid ul-adh’hâ (rapporté par Abû Dâwûd, n°1134, an-Nassâï, n°1556). Les jours qui suivent la Eid ul-adh’hâ sont aussi des jours de fête (peut-être d’importance secondaire car dépendant de la Eid ul-adh’hâ), comme cela ressort du Hadîth rapporté par Muslim (n°1141) et d’autres. Un autre Hadîth montre quant à lui que aussi bien le jour qui précède la Eid ul-adh’hâ, que le jour de la Eid ul-adh’hâ et les jours qui suivent la Eid ul-adh’hâ sont des jours de fête pour les musulmans (rapporté par at-Tirmidhî, n° 773, Abû Dâoûd, n° 2419, etc.).
— La seconde dimension présente au sujet de la question, chez al-Qaradhâwî, est qu’il y a effectivement une différence entre le fait de tolérer les croyances et les pratiques religieuses d’autrui (ce qui est nécessaire en islam) et le fait de féliciter autrui pour ces croyances et pratiques (ce que le musulman doit impérativement éviter). Al-Qaradhâwî est cependant d’avis que ce principe n’est pas présent dans le cas qui nous intéresse ici. Et plutôt qu’une simple divergence de vues par rapport à l’avis de Ibn ul-Qayyim en la matière, al-Qaradhâwî opte davantage pour le fait qu’il s’agirait d’une divergence d’avis liée à un changement de contexte. En effet, al-Qaradhâwî explique son avis en disant que sur plusieurs points, la situation a changé par rapport à l’époque de Ibn Taymiyya et Ibn ul-Qayyim. Il cite notamment ce point-ci : aujourd’hui, pour une grande partie des occidentaux, Noël n’est plus vécu comme un phénomène religieux mais comme un phénomène traditionnel à l’occasion duquel ils se réunissent, se font des cadeaux et prennent ensemble un repas (fin de citation). Chacun connaît ainsi des gens qui sont agnostiques, voire même athées, et qui pourtant fêtent Noël assidûment. La célébration de Noël consiste pour eux à se réunir en famille, à prendre un repas et à se faire des cadeaux.
Bref, selon al-Qaradhâwî, d’une part, en regard pour l’origine religieuse de Noël et pour le fait que cette connotation religieuse n’a pas complètement disparu des esprits, un musulman ne doit pas célébrer ce genre de festivités religieuses. D’autre part, cependant, en regard pour le fait que tout le monde ne fête pas Noël dans ce sens, il est permis en cas de nécessité de souhaiter à ses voisins, ses collègues et ses amis non musulmans de “bonnes fêtes de fin d’année”. Cette permission, souligne al-Qaradhâwî, se révèle particulièrement utile en tant que réciproque vis-à-vis des non musulmans qui nous souhaitent une “bonne fête” lors des Eids.
Al-Qaradhâwî précise que tout ceci concerne les fêtes à connotation religieuse.
Par contre, et ce toujours selon lui, il est permis de participer aux célébrations liées à l’indépendance du pays où l’on vit, à sa libération de l’occupation, du moment que l’on reste lors de ces célébrations dans le cadre de ce qui éthiquement permis en islam (cf. Fatâwâ mu’âssira tome 3 pp. 672-673) »
. https://www.maison-islam.com/articles/?p=219.

Pour les échanges de cadeau, cela est conditionné par les mêmes intentions et règles évoquées par Ibn Hajar al Haytâmî dans sa fatwa, c’est-à-dire, sans l’intention de les imiter dans leur mécréance ou leur acte blâmable, mais simplement par convenance/obligation/tradition familiale sans que cela ait une dimension ou croyance religieuse ou idéologique contraire à l’Islam.
Et le statut légal est plus souple s’il s’agit de fêtes ayant une connotation culturelle (comme Noël ou le Nouvel an chez de nombreux non-musulmans qui n’y voient aucune dimension religieuse ou idéologique).

Recevoir des cadeaux de la part des non-musulmans durant leurs fêtes est autorisé (bien que certains savants l’aient interdit), car al-Bukharî cite plusieurs récits, dans son Sahîh, qui relatent le fait que l’on peut accepter des cadeaux reçus par des non-musulmans durant leurs fêtes. Il y a un chapitre entier à ce sujet dans le Sahîh al-Bukharî, et à titre d’exemple, l’imâmʿAlî (‘alayhî salâm) accepta des cadeaux des zoroastriens lors de leur célébration de Nawrûz.

Par contre, des savants ont formellement interdit d’offrir en compensation des cadeaux à des non-musulmans durant leurs fêtes, tandis que d’autres ont dit que cela était « makruh » (fortement déconseillé) mais pas illicite, comme Ibn Qassîm chez les malikites (cf. Mukhtasar al Wadihah, cité dans al Madkhal). L’interdiction, chez ceux qui l’interdisent, découle du fait que si la fête non-musulmane en question comporte clairement du shirk (idolâtrie), du kufr (mécréance) ou du harâm (illicite), tels que l’adoration d’idoles, le meurtre ou le sacrifice d’innocents, le sacrifice d’animaux pour autres qu’Allâh et pour une raison non-nécessaire et inutile, la consommation d’alcool ou de drogue, la torture et toute autre chose nuisible, cela est clairement illicite et peut conduire à la mécréance ou à mettre en péril clairement l’identité islamique. Et les gens de la masse manquent souvent de discernement, donc l’interdiction générale a souvent été préconisée par de nombreux savants. Mais si le non-musulman comprend que, s’il reçoit un cadeau d’un musulman durant la période de la fête religieuse en question, ne signifie pas qu’il approuve cette fête ou qu’il le soutient activement à mener à bien cette fête, le statut légal est différent. Cependant, là où le shirk est évident, le musulman doit clairement prendre ses distances, surtout s’il n’y a aucune obligation familiale qui le pousse à garder des liens familiaux avec des membres de la famille qui adoptent un mode de vie basé sur l’idolâtrie.

En résumé, beaucoup de choses dépendent de l’intention, du contexte, de la finalité et du sens généralement donné aux fêtes dans telle ou telle communauté et région du monde. Par exemple pour Noël, il y a des chrétiens qui ne divinisent pas le Christ (as) et qui ne l’envisagent un peu comme notre mawlid an-nabawi (sans shirk ni kufr), ou encore des non-chrétiens qui fêtent Nöel que par culture, sans diviniser le Christ (as) non plus, ni Maryam (as), et là le statut légal change, car le contexte et le rapport qu’ont ces personnes vis-à-vis de cette fête, changent également.

Quand les sens, rites et perceptions qu’ont les gens d’une fête change, son statut légal change. Si le musulman connait le Tawhid et ne se complait pas dans le shirk en soi ni ne le défend, il n’approuve pas le shirk. Tout au plus on peut parler de haram ou de choses à éviter. Et aussi faire en sorte que les musulmans gardent leur identité musulmane et accordent plus d’importance aux fêtes islamiques ou culturelles (liées aux terres d’Islam) que les fêtes culturelles (car Noël est surtout culturelle en Occident pour la plupart des gens) occidentales. Eviter aussi d’exagérer dans les fêtes ou d’y inclure des éléments blâmables.

Quant au fait de souhaiter de bonnes fêtes, si la personne qui le dit et la personne à qui cela est adressé, ne le comprennent pas comme étant une apologie ou une approbation du shirk ou de ses éléments blâmables qui existent, alors cela n’est pas du shirk, mais plutôt un signe de courtoisie et de “vivre-ensemble” tout simplement. La personne (musulmane) peut rajouter des précisions du genre : “Nous ne fêtons pas cela s’il y a une sorte d’idolâtrie ou de rites étranges, mais nous espérons que tout se passera bien pour vous, avec de bonnes retrouvailles entre familles et amis, et d’éviter ce qui peut nuire à votre santé”. Il faut distinguer aussi entre le fait de féliciter une personne ou une communauté pour leurs fêtes ou actes comportant des choses blâmables – car le musulman ne peut pas approuver les choses fausses, injustes ou nocives même si cela concerne les non-musulmans car nous ne devons souhaiter que leur bien et leur bonne guidée en principe -, et le simple fait de les saluer ou de leur souhaiter de bonnes fêtes dans le sens qu’Allâh les préserve du mal/shirk . En effet, nous n’aimerions pas que nos proches se noient dans le shirk, l’alcool, la drogue, la débauche ou toute autre pratique néfaste et blâmable pour eux-mêmes comme pour les autres.
Wa Allâhu a’lam.

Ustadha Mou’mina Vanessa, qui est aussi professeur de fiqh malikite (en date du 24 décembre 2022 sur sa page facebook) a écrit : “Les fêtes religieuses des non musulmans ne nous concernent pas mais le bon comportement envers eux nous concerne bien. Nous concerne aussi de ne pas causer de rupture entre les convertis et leur famille tout comme ne pas montrer une mauvaise image ni faire des histoires pour rien”.

Wa Allâhu a’lam.

Notes :

(1) Ibn Hajar al Haytâmî (909 H/1504 – 974 H/1567), surnommé Shaykh ul Islâm, disciple du Shaykh ul Islam Zakariyya al-Ansarî, lui-même disciple du Shaykh ul Islam Ibn Hajar al ‘Asqalanî. Né en Egypte, il était un sûfi, théologien asharite, juriste shafiite, exégète du Qur’ân, grammairien, spécialiste du hadîth, spécialiste de la vie du Prophète, des compagnons, des successeurs et de leurs disciples. Il étudia la langue arabe, le kalâm, les mathématiques et la logique. Il fut aussi un grand mufti en son temps.

(2) Le Shaykh Anas Ahmed Lala est un savant qui a étudié principalement auprès de savants hanafites mais sans devenir lui-même un Shaykh ayant maîtrisé l’école hanafite. Il se réfère également souvent à Ibn Taymiyya et à Ibn al Qayyim parmi les anciens, et à Al ‘Uthaymîn et à Yusuf al-Qaradawî parmi les contemporains. Il s’est spécialisé dans le fiqh comparé avant tout, ce qui donne un intérêt certain et particulier à sa démarche. Néanmoins, sur certaines questions liées à la ‘aqida (Les Noms et Attributs Divins, la question de Al-Khidr, …) et au fiqh (tabarrûk, tawassul, etc.), il délaisse l’avis de la majorité et de l’élite des salafs, pour adopter les avis erronés d’Ibn Taymiyya en la matière. Pour autant, il reste bien dans l’orthodoxie musulmane au sens large, et son refus du sectarisme et du fanatisme est tout à son honneur.

Mis à jour le 24 décembre 2022.


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