Les différents profils/archétypes parmi les savants musulmans anciens : Al-Ghazâlî, Fakhr ud-Dîn Râzî, Al-Birûnî, Ibn Rushd, Ibn Sina, Ibn Tufayl, Ibn Arabî et Ibn Taymiyya

Loin d’être un bloc monolithique, le monde musulman a toujours été pluriel et complexe dans sa façon d’appréhender le Qur’ân, leur rapport avec la tradition prophétique, et leur manière de pratiquer l’Islam selon leur milieu respectif.
Dans cette perspective, nous mentionnerons quelques savants notables qui présentent un intérêt certain dans ce domaine.

1) Al-Ghazâlî (450 H/1058 – 505 H/1111) :

Grand juriste shafiite, il fut un savant complet, intégrant dans son savoir encyclopédique des matières comme le Qur’ân et ses sciences, la Sîrah et les sciences du hadîth, la théologie, la logique, les mathématiques, la médecine, l’astronomie, la physique, la jurisprudence ainsi que ses fondements (usûl) et ses finalités (maqâsîd), la rhétorique, la poésie, l’inter-religieux (une connaissance des différentes religions, sectes, tendances intra-religieuses et écoles philosophiques), la langue arabe et la langue persane, le tasawwûf, l’histoire et la métaphysique. Il consacra cependant l’essentiel de son œuvre aux questions théologiques, juridiques et spirituelles, tout en abordant les questions métaphysiques, philosophiques et scientifiques dans quelques ouvrages spécifiques. Son approche était à la fois textualiste (par rapport à la Révélation et à la Tradition prophétique) et intellectuelle (spirituelle, rationnelle et logique) en partant toujours du Texte Révélé pour appuyer et éclairer les expériences spirituelles, les données psychologiques et les observations scientifiques. Dans sa critique des philosophes, il établissait une distinction dans les disciplines qu’englobaient à l’époque la philosophie, à savoir la spéculation philosophique, la logique, la rhétorique, la politique, la physique et les mathématiques. Sa critique ne concernera donc essentiellement que certaines tendances philosophiques, les sophismes et les méthodologies peu rigoureuses ou trop partiales et partielles qui caractérisent certaines tendances philosophiques. Même si tous ses ouvrages ne nous sont pas parvenus, on constate qu’il était assez stable, cohérent et ouvert d’esprit sans pour autant délaisser ses convictions profondes et les principes de l’Islam. Sur certaines questions, il évoluera ou se montrera plus nuancé et distant, comme le kalâm dans lequel il ne verra plus qu’un outil réservé qu’à certains spécialistes avisés dans des situations bien précises (réfutation des déviances sur le plan de la rationalité). Tout en connaissant bien les autres doctrines et religions (il lit les auteurs dans les sources de première main), et les réfutant sur des points précis, il mettra en garde contre le sectarisme, y compris ceux de sa propre école théologique (asharite) et de son école juridique (l’école shafiite). Bien qu’il n’avait jamais combattu le tasawwûf auparavant, ce ne sera que vers la fin de sa vie où il s’y orientera totalement, tout en augmentant son savoir dans la science du hadîth (il étudiera encore plus en détails, auprès de spécialistes du hadîth, les différents recueils de ahadiths, tels que le Sahîh Bukharî, le Sahîh Muslim et les Sunan d’Abû Dawûd). Il confirmera dès lors son intuition concernant la spéculation philosophique ou la théologie scolastique, où même si tout n’est pas à rejeter, seule la voie spirituelle, par l’élévation de l’esprit et la purification de l’âme, la certitude spirituelle et ultime est accordée au cheminant sincère, là où les spéculations philosophiques comportent toujours des éléments de doute et d’incertitudes qu’il n’est guère possible de trancher. Les principes qu’il énonça en matière de takfir empêchent les musulmans de sombrer dans le fanatisme en ce domaine, bien que lui-même affirmera qu’Ibn Sina avait commis deux hérésies relevant de la mécréance selon lui (ceci dit, tomber dans une croyance pouvant s’apparenter à de la mécréance ne fait pas automatiquement de cette personne une mécréante), surtout que dans le cas d’Ibn Sina, il s’agissait d’interprétations (certes erronées et même déviantes) d’un point doctrinal, mais non pas d’une négation d’un texte qurânique ni d’un fondement de la religion. Or, Ibn Sina se réclamait bien de l’Islam et n’avait jamais renoncé à l’Islam ni remis en cause le Qur’ân en tant que tel.
Bref, Al-Ghazâlî fut un grand intellectuel, un savant extraordinaire comptant parmi ses disciples, de centaines de grands savants (comme le célèbre juge et exégète andalou Abû Bakr Ibn al Arabî, qui considéra Abû Hâmid al-Ghazâlî comme l’un des plus grands maîtres qu’il ait pu rencontrer, sur un total dépassant les 2000 savants qu’il a rencontré tout au long de son périple). Il fut également un maître spirituel accomplit, alliant intelligence, spiritualité et profonde piété religieuse, tout comme son frère Ahmad al-Ghazâlî (lui aussi théologien et juriste, mais aussi poète et sûfi).

A cause d’un écrit qui lui fut attribué, “Sirru Al ‘âlamîn”, abordant la question de la numérologie et des carrés magiques, mais qui ne relève pas de la sorcellerie en soi, et qui ne remet nullement en cause le tawhîd ou la foi islamique de l’auteur, certains l’ont traité d’égaré ou de mécréant. Or, Al-Ghazâlî professa toujours le tawhîd et mourut là-dessus, il dit dans son “Kitâb al ‘ilm” :
« Affirmer le tawhîd (l’Unicité d’Allâh), c’est voir la cause de toute chose comme provenant d’Allâh (qu’Il soit exalté), en une vision qui empêche de donner de la considération excessive à des causes intermédiaires. Ainsi on ne verra pas le bien ou le mal sauf comme une provenance de Lui. Le fruit de cela est la confiance en Allâh, l’abstention de se plaindre des gens en évitant la colère envers eux, le contentement et la résignation face au Jugement d’Allâh (qu’Il soit exalté). L’affirmation de l’Unicité d’Allâh peut être vue comme un joyau précieux ayant deux couches de protection, l’une qui est plus proche de l’essence que l’autre ; les gens se dévouent au nom de la couche et néglige l’essence.

La première couche consiste à dire Lâ Ilâha Illa Llâh (Point de divinité sinon Allâh) avec la langue. On nomme cela « l’affirmation de l’Unicité d’Allâh », car elle s’oppose à la doctrine proclamée par les chrétiens. Cependant, cette affirmation pourrait émaner d’un hypocrite dont l’intérieur est en contradiction avec l’extérieur.

La seconde couche est que l’on ait dans le cœur aucune opposition ou rejet du contenu de cette formule. Au contraire, le sens littéral de la formule embrasse à la fois l’adhérence à celle-ci en tant que doctrine et conviction profonde. Voilà l’attestation de l’Unicité d’Allâh à laquelle adhèrent la plupart des gens. Les théologiens sont les gardes-fous qui protègent cette couche de la confusion des innovateurs.

La troisième couche, qui est en fait l’essence, c’est voir la cause de toute chose comme provenant d’Allâh (qu’Il soit exalté) en une vision qui empêche de donner de la considération excessive à des causes intermédiaires ; et de L’adorer avec une vénération qui L’isole de tout autre : ainsi on n’adore personne d’autre que Lui ».

Il précise également : « La poursuite de sa passion est une déviation de l’affirmation de l’Unicité d’Allâh, dans le sens que quiconque poursuit sa passion l’a prise pour son dieu. Allâh (qu’Il soit exalté) a dit : « Ne vois-tu pas celui qui a fait de sa passion sa divinité ? […] » (Sûrah 25 – Âyah 43). Le Prophète (que Le Salut et La Paix d’Allâh soient sur lui) a dit : « Par Allâh, la plus détestable des divinités adorées dans ce monde est la passion » (…) » ». (Cf. aussi l’ouvrage “Miftah ul Falâh” de l’imâm Ahmad Ibn Atâ’Llâh As-Sakandârî).



La majorité des savants sunnites le voient comme étant le « mujadîd » (revivifcateur/rénovateur des sciences religieuses) de son temps.
Le juriste shafiite, muhhadith, théologien asharite, exégète, philologue, calligraphe, historien, grammairien et lectionnaire du Qur’ân, l’imâm Salâh ud-Dîn As-Safâdî (1296-763 H/1363), qui fut l’élève du Shaykh ul Islam Taqî ud-Dîn As-Subkî ainsi que de Ad-Dhahabî (grand compagnon de Taqî ud-Dîn As-Subkî et élève de Ibn Taymiyya) dira dans son “al-Wâfi bi l-Wafayât” (qui est un dictionnaire biographique de nombreux savants notables) : « Muhammad Ibn Muhammad Ibn Muhammad Ibn Ahmad, la Preuve de l’Islam, l’Ornement de la Foi, Abû Hâmid at-Tûsî (Al-Ghazâlî), le juriste
Shaficî, était sans rival au cours de ses dernières années »
. Ad-Dhahâbî, qui était aussi le professeur de l’imâm As-Safadî a dit dans son “Siyâr a’lam an-Nubalâ” qu’Al-Ghazâlî était le revivificateur de son siècle, ainsi que, dans le même ouvrage (19/346) : « Le shaykh, l’imâm, L’océan, l’argument de l’Islam, la merveille de l’époque, Zayn ad Dîn Abû Hâmid Muhammad ibn Muhammad ibn Muhammad ibn Ahmad at Tûsî, As Shafi’î, al Ghazâlî, l’auteur de nombreux ouvrages, et d’une intelligence hors du commun. (…) Qu’Allâh fasse miséricorde à l’imam Abû Hâmid. Où est son semblable dans ses sciences et ses mérites ? Mais nous n’appelons pas à son infaillibilité de l’erreur et de la faute et il n’y a pas point d’imitation [taqlîd] dans le dogme ».
Certains auteurs andalous, touchés par le sectarisme, ont voulu interdire la diffusion de ses ouvrages dans l’Andalousie musulmane, mais beaucoup de savants andalous respectaient l’œuvre de Ghazâlî, et Abû Bakr Ibn al Arabî diffusa lui-même son œuvre lors de son retour en Andalousie. Certains détracteurs se repentirent toutefois de leur hostilité, notamment lors de certaines visions spirituelles où ils virent Al-Ghazâlî en compagnie du Prophète et de plusieurs nobles compagnons, prenant la défense d’Al-Ghazâlî et de son œuvre maîtresse.
Il est rapporté par le savant Yafi’i dans son livre “Nashr Al Mahasan”: « Il m’a été rapporté par un vertueux parmi la descendance de Shaykh Abû-l Hasan ibn Hirzihim que lorsque son aïeul eut le livre “Al Ihya ‘Ûlum ud-Dîn” (de l’Imâm Al-Ghazâlî) il le consulta et dit ensuite : « Ceci est une innovation qui va à l’encontre de la Sunnah ».

Or il était écouté dans l’ensemble des villes marocaines, il ordonna que soient rassemblées toutes les copies du “Ihya” et il demanda au Sultan de décréter cela aux gens, aussi envoya-t-il un héraut annoncer dans chaque lieu : « Qu’Allâh maudisse celui qui possède un exemplaire du “Ihya” sans nous le ramener ».

Les gens se mirent tous à rapporter ce qu’ils en possédaient, et les juristes se réunirent et les consultèrent puis décrétèrent par consensus de les brûler le lendemain, le jour du vendredi.

Or au cours de la nuit du vendredi en question, Shaykh Abû-l Hasan ibn Hirzihim se vit en songe en train de franchir la porte de la mosquée où il avait l’habitude de se rendre. Il vit dans le coin de la mosquée une lumière et aperçut alors le Prophète (‘alayhî salât wa salâm) en compagnie d’Abû Bakr (qu’Allâh l’agrée) et de ‘Ûmar (qu’Allâh l’agrée) qui étaient assis et l’Imam Abû Hamid Al Ghazâlî qui se tenait debout tenant entre ses mains le “Ihya”.

Il dit : « Ô Messager d’Allâh, celui-ci m’a pris à partie ».

Puis il s’agenouilla et rampa jusqu’à parvenir auprès du Prophète (‘alayhî salât wa salâm).

Il lui présenta le livre “Ihya” en lui disant :

« Ô Messager d’Allâh, consulte-le et s’il s’agit d’une innovation qui contredit ta Sunnah comme il le prétend dans ce cas je me repends auprès d’Allâh le Très Haut, et si par contre il s’agit de ce que tu approuves alors je profite de ta bénédiction, et applique ta sentence en conséquence à mon détracteur ».

Le Messager d’Allâh (‘alayhî salât wa salâm) le consulta feuille par feuille jusqu’à la fin puis il dit : « Par Allâh, ceci est une œuvre bienfaisante ».

Ensuite il le présenta à Abû Bakr (qu’Allâh l’agrée) qui le consulta puis dit : « Ô Messager d’Allâh, par Celui qui t’a envoyé avec la vérité, ceci est vraiment excellent ».

Ensuite il le présenta à ‘Ûmar (qu’Allâh l’agrée) qui après l’avoir consulté dit la même chose que Abû Bakr.

Le Messager d’Allâh (‘alayhî salât wa salâm) ordonna qu’on ôte les vêtements d’Abû-l Hasan ibn Hirzihim et qu’on lui applique la sentence pénale du menteur invétéré.

On le déshabilla et il fut frappé, puis après avoir reçu cinq coups de fouet, Abû Bakr (qu’Allâh l’agrée) intercéda en sa faveur en disant :

« Ô Messager d’Allâh, il n’a fait cela que par effort d’interprétation en faveur de ta Sunnah et par valeur envers elle ».

Abû Hamid Al Ghazâlî (qu’Allâh l’agrée) lui pardonna alors et c’est là qu’il se réveilla.

Il alla informer ses compagnons de ce qui lui était survenu et il resta presque un mois entier à souffrir réellement de ses coups de fouet.

Lorsqu’il consulta de nouveau le “Ihya” il découvrit toute autre chose que ce qu’il avait vu la première fois et il fut saisi d’une compréhension qui différait de sa toute première compréhension, il constatait désormais une parfaite conformité avec le Livre d’Allâh et de la Sunnah.

Ensuite il vu de nouveau le Messager d’Allâh (‘alayhî salât wa salâm) qui essuya son dos de sa noble main bénie, ce qui permit à son corps et son cœur de guérir après vingt-cinq jours.

Par la suite il eut l’Ouverture spirituelle et obtint une Connaissance Divine (de la part d’Allâh, par Sa Grâce Divine et Bénie) immense … ».

Le savant, historien et juriste Abû Muhammad ‘Abdullâh ibn As’ad al-Yâfi’î (m. 768 H/1367) dans “Mi’râh al-Jinân wa ‘Ibrah al-Yaqzân” a dit à son sujet : « Il était appelé la « Preuve de l’Islam » et était sans aucun doute digne de ce nom, absolument digne de confiance (en ce qui concerne la Foi). Combien d’épitres (a-t-il donnés) énonçant les principes de base de la religion (afin de les rendre accessibles au plus grand nombre), et résumé ce qui était long. Combien d’explications simples nous a-t-il données sur ce qui était difficile à comprendre, avec une brève explication et une solution claire aux problèmes épineux. Il a fait preuve de pondération, faisant preuve de calme et de détermination pour réduire au silence un adversaire, bien que ses paroles ressemblent à un coup d’épée pour réfuter un calomniateur et protéger le grand chemin de la guidance ». De son vivant, le juge et exégète Abû Bakr ibn al Arabî al-Malikî vit qu’Al-Ghazâlî donnait des cours parfois à plus de 400 savants et étudiants avancés dans une seule assemblée, ce qui montre la notoriété dont il jouissait déjà dans sa région.

De son vivant et après sa mort, donc, et ce jusqu’à nos jours, nombre de ses ouvrages furent étudiés par les musulmans de la masse comme par les étudiants et savants dans les sciences islamiques, que ce soit en Asie mineure ou centrale, au Proche-Orient, au Maghreb, en Afrique centrale, en Occident ou ailleurs. Son œuvre peut encore grandement nous bénéficier, surtout par rapport à l’éthique, à l’éducation et à la psychologie, en plus de ses écrits sur la théologie, la spiritualité, la métaphysique, la logique, les fondements et les finalités du droit.


2) Fakhr ud-Dîn Razî (1150-1210) :

Exégète, logicien, spécialiste du hadîth, juriste shafite, théologien asharite, philosophe, aspirant au tasawwûf et physicien, il étudia également la médecine, la poésie, la philologie et la grammaire (il maitrisait aussi bien l’arabe que le persan), l’histoire, la géographie, l’astronomie, la rhétorique, la chimie, la botanique, la zoologie et d’autres sciences. Il correspondra également avec le célèbre Ibn ‘Arabî. Il voulut s’initier totalement au tasawwûf, mais pour différentes raisons, il ne put se résoudre à tout abandonner pour cheminer totalement dans la voie. Bien qu’il fut un mutasawwûf, rien n’indique qu’il atteignit le rang de « maître spirituel » au sens de « saint » (walî). Son exégèse a fait l’objet de nombreux éloges, et il y mentionne généralement les avis issus des différents courants de l’islam avec une équité admirable, renonçant ainsi au sectarisme. Il énonça également la possibilité des multivers, soit bien avant les débats scientifiques contemporains sur la question. Son approche dans l’exégèse qurânique est très appréciée, car elle intègre les données scientifiques, théologiques, philosophiques, historiques, linguistiques et aussi spirituelles par moment, en plus de citer l’avis des différentes tendances musulmanes dans leur exégèse des versets qurâniques.

3) Al-Birûnî (vers 362 H/970 – 442 H/1050) :
Tout en ayant étudié le Qur’ân, la Sunnah, le droit musulman, la théologie, les langues arabe et persane, et la Sîrah, ses principaux ouvrages qui nous soient parvenus traitent surtout d’histoire, des religions (il étudia ainsi l’Islam, l’hindouisme, le zoroastrisme, le judaïsme, le bouddhisme, le christianisme et d’autres courants religieux), d’astronomie, de mathématiques, des sciences naturelles, de logique et de philosophie. Il connaissait également le tasawwûf et entretenait une correspondance avec Ibn Sina sur des sujets divers relatifs à l’Islam, à la philosophie et à la science. Il connaissait le persan, l’arabe, le grec, le syriaque, le sanskrit, l’hindi et plusieurs autres langues et dialectes.
Avant ses 18 ans, il calcula déjà la latitude de Kath, au Khwarezm, utilisant l’altitude maximum du Soleil.
Il avait donc déjà de solides connaissances dans les mathématiques et l’astronomie avant ses 18 ans. Outre ses connaissances dans les sciences islamiques, les mathématiques et l’astronomie, on lui doit également des apports significatifs dans plusieurs autres domaines tels que la géométrie, la cartographie, l’histoire, la géographie, les religions et philosophies comparées, l’indologie, l’ingénierie, l’anthropologie, la géologie et la minéralogie notamment. Il ne s’occupa que très peu des polémiques juridiques et théologiques qui concernaient les savants musulmans entre eux, et préféra se dédier à d’autres sujets, à l’instar de son « collègue » et « frère » Ibn Sina. Il évoquera dans ses travaux en astronomie, la théorie de l’héliocentrisme, de la gravité et de la rotation de la terre également, bien avant les savants occidentaux.

4) Ibn Rushd (1126-1198), appelé en Occident Averroès :

Médecin, astronome, logicien et philosophe de formation, il fut également juge et juriste musulman d’obédience malikite. Tout en ayant étudié et mémorisé le Qur’ân, étudié les ahadiths et le droit musulman, il préféra la philosophie à la théologie, et sans renier pour autant le tasawwûf, son approche de la religion se faisait plutôt par la spéculation philosophique et sa mentalité de juriste. Dès son plus jeune âge, il reçoit des maîtres qui lui fournissent ainsi une formation traditionnelle pour son époque (pour les personnes évoluant dans ce genre de milieu), débutant par l’étude du Qur’ân (mémorisation et méditation), l’étude de la grammaire et de la poésie afin d’apprendre à parler, lire et à écrire en langue arabe, ainsi que les mathématiques, les bases dans le fiqh et même la musique. Ibn Rushd étudiera les sciences du hadîth et le fiqh avec son père.
De façon générale, les savants musulmans préconisent l’étude des sciences religieuses, – avec les bases de la logique et des mathématiques également -, avant de débuter une solide formation scientifique (dans les spécialisations). Ainsi, le célèbre juriste et chirurgien Abû-l-Qâsim Al-Zahrawî (+- 940-1013), appelé Abûlcassis en Occident, – considéré comme le plus grand et prolifique chirurgien du 1er millénaire de notre ère grâce à son “Kitab al-Tasrif” -, préconisait l’étude des lettres (grammaire, poésie) juste après l’éducation religieuse, et après cela, l’étude des branches scientifiques. Ibn Rushd étudiera aussi la botanique, la physique, la zoologie, la médecine (qu’il exercera) et l’astronomie (pratiquant l’observation et écrivant quelques textes à ce sujet). Concernant la médecine, sa rencontre avec Ibn Zuhr (Avenzoar en Occident), le marqua profondément dans ce domaine, puisqu’il le considère comme le plus grand médecin depuis Galien.

Son nom est devenu célèbre aussi bien dans le monde musulman qu’en Occident chrétien (sous le nom d’Averroès), considéré comme un grand philosophe. Mais pour ceux habitués à la profondeur de la métaphysique, ses commentaires et traités philosophico-juridiques se révèleront assez fades et limités, et sa critique de l’œuvre d’Al-Ghazâlî (“Tahafut al-falasifa” – “L’incohérence des philosophes”) est souvent maladroite, erronée et très superficielle, allant même parfois jusqu’à dire des absurdités, comme lorsqu’il reprochait à Ghazâlî d’adopter un double discours, comme si l’asharisme était contradictoire avec le fait d’être aussi un sûfi. Or on peut très bien être commerçant, asharite, hanafite, sûfi et médecin en même temps. Sa critique passe donc à côté de l’essentiel et de l’objet de sa réfutation, bien que certaines réflexions soient pertinentes. Les orientalistes n’en parlent que très peu, mais Ibn Rushd était aussi un célèbre juge musulman à Cordoue et juriste musulman qui suivait l’école malikite. On lui doit un ouvrage qui fait encore référence sur le droit comparé intitulé “Bidâyat ul-mudjtahid wa nihâyat ul-Muqtasid”, rédigé vers 1168. Il écrivit même un abrégé de l’ouvrage d’Al-Ghazâlî sur la jurisprudence, à savoir son “Mustasfâ”, reconnaissant sa valeur et sa pertinence dans le domaine du droit.
C’est aussi en tant que médecin et philosophe qu’il abordera des questions diverses dans ces domaines, alliant réflexions critiques et observations médicales. Danielle Jacquart écrit à ce sujet : « Toute la conception des Kullïyyàt [le Colliget], vise à mettre en accord les énoncés aristotéliciens et les acquis incontestables de la médecine galénique, en matière d’anatomie et de connaissance des phénomènes de la santé et de la maladie. Averroès fut sans doute l’auteur de langue arabe qui poussa le plus loin la critique de Galien et se montra le plus novateur dans sa représentation des mécanismes de la physiologie » (Danielle Jacquart, “Médecine grecque et médecine arabe : le médecin doit-il être philosophe ?”, dans l’ouvrage de Jacques Jouanna et Jean Leclant, “La médecine grecque antique”, Paris, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 2004, pp. 253-265).
Il rencontra aussi en 1179 Ibn ‘Arabî quand ce dernier était encore adolescent (il avait 14 ans), alors qu’Ibn Rushd était déjà âgé d’environ 53 ans(il mourut à l’âge de 72 ans en 1198), et il fut stupéfait et admiratif devant le jeune Ibn ‘Arabî, qui lui a fait comprendre que la spéculation philosophique était inférieure au dévoilement spirituel/initiatique et donc à la connaissance métaphysique. Ibn Arabî relate leur rencontre dans ses “Futuhât al-Makkiyya” (1/153-154) : « Je me rendis un jour, à Cordoue, chez le cadi Abû l-Walîd Ibn Rushd [Averroès] ; ayant entendu parler de l’illumination qu’Allâh m’avait octroyée, il s’était montré surpris et avait émis le souhait de me rencontrer. Mon père, qui était l’un de ses amis, me dépêcha chez lui sous un prétexte quelconque. A cette époque j’étais un jeune garçon sans duvet sur le visage et sans même de moustache. Lorsque je fus introduit, il [Averroès] se leva de sa place, manifesta son affection et sa considération, et m’embrassa. Puis il me dit : « Oui ». A mon tour, je dis : « Oui ». « Sa joie s’accrut en voyant que je l’avais compris. Cependant, lorsque je réalisai ce qui avait motivé sa joie, j’ajoutai : « Non ». Il se contracta, perdit ses couleurs, et fus pris d’un doute : « Qu’avez-vous donc trouvé par le dévoilement et l’inspiration divine ? Est-ce identique à ce que nous donne la réflexion spéculative ? ». Je répondis : « Oui et non ; entre le oui et le non, les esprits prennent leur envol, et les nuques se détachent ! » ».
Ibn Arabi assure avoir rencontré Averroès sous forme de vision ou d’apparition en 1199, un an après la mort du maître. La vision lui conseille par la suite de quitter l’Espagne (Florian Besson, “Ibn Arabî”, sur Les clés du Moyen Orient, 1 avril 2013).
Dans ses “Futuhât”, il raconte ainsi avoir à nouveau rencontré Ibn Rushd lors d’une vision. En 1198 il assistera à ses funérailles, à Cordoue.
Comme al-Ghazâlî, Ibn Tufayl, Ibn Sina et al-Birûnî, son œuvre (surtout en ce qui concerne la philosophie et la politique) influencera durablement l’Occident durant des siècles.

5) Ibn Sina (980-1037), appelé en Occident Avicenne :

Théologien, mystique, exégète, juge hanafite et juriste, il maitrisait également entres autres l’arabe et le persan, et s’était formé à la médecine, à la psychologie, à l’histoire, à la philosophie, à la physique, aux mathématiques, à l’astronomie et à la chimie notamment.
Dès son plus jeune âge, il mémorisera entièrement le Qur’ân à l’âge de 10 ans et étudiera aussi les mathématiques comme il le relate lui-même dans son autobiogaphie (cf. “The Canon of Medicine” d’Ibn Sina, édité chez Encyclopædia Britannica, 2008).
Il étudiera également le fiqh sunnite (hanafite) sous la supervision du Shaykh Ismail Al-Zahid (Jorge J.E. Gracia et Timothy B. Noone, “A Companion to Philosophy in the Middle Ages”, 2003, p. 196).
Certains auteurs pensent qu’il était un shiite duodécimain mais ses écrits montrent qu’il n’adhérait pas aux fondements de ce courant shiite. Il n’existe aucune preuve non plus qu’il aurait été un ismaélien. Il exercera par-contre en tant que juge et juriste hanafite à Jurjân, et correspondra beaucoup avec des savants sunnites comme Al-Birûnî. Et selon le Shaykh Ẓahîr al-dîn al-Bayhaqî (m. 1169), il fut influencé aussi par le courant identifié aux frères de la pureté (ikhwân al-safâ). Ce même al-Bayhaqî rencontra le célèbre scientifique, sûfi et poète ‘Umar Khayyâm, et dit de lui qu’il était un religieux ascète et pieux. (Cf. Dimitri Gutas, “Avicenna and the Aristotelian Tradition: Introduction to Reading Avicenna’s Philosophical Works”, Leiden, éd. Brill 2014, second revised and expanded edition (first edition: 1988), voir aussi Aisha Khan, “Avicenna (Ibn Sina): Muslim physician and philosopher of the eleventh century”. The Rosen Publishing Group, 2006, p. 38), including an inventory of Avicenna’ Authentic Works).
Il était ainsi profondément influencé par le sunnisme ainsi que par la dimension spirituelle (tasawwûf) du sunnisme, tout comme il adopta des approches et positions singulières dans plusieurs domaines également, d’où la difficulté de le rattacher exclusivement qu’à un seul courant.

Il s’écartait cependant parfois de la compréhension littérale (et non pas littéraliste, qui constitue une interprétation du Texte) du Qur’ân pour privilégier la spéculation philosophique sur certains points (comme sur la résurrection des corps ou sur la question de l’éternité ou non du cosmos), mais il ne remettait jamais en cause le Qur’ân, la fonction prophétique du Prophète Muhammad, ni les Attributs Divins. Ses contemporains l’appréciaient beaucoup, et son apport scientifique à la médecine fut énorme à l’Humanité. Il fut toutefois critiqué par quelques savants (comme beaucoup d’autres savants d’ailleurs) sur quelques points doctrinaux. De son vivant, il n’a pas été critiqué pour sa foi ni sur sa pratique, même si on lui a reproché, ses soirées courtisanes (vin, musique et femmes), mais encore faut-il voir si ces reproches furent fondés, et s’il s’agissait d’une habitude ou de quelques faits isolés pour lesquels il se serait repenti. Etant donné son emploi du temps très chargé (profession, études, écriture, …) et sa proximité avec le pouvoir dans l’exercice de sa profession médicale, il semble peu probable que cela fut le cas, mais il se pourrait fort bien, qu’en raison de la jalousie de certains de ses rivaux, ils répandirent ce genre de rumeurs pour le discréditer. On lui attribue jusqu’à 456 ouvrages (selon le chercheur iranien Said Nafissi) dont seulement 160 titres nous seraient publiquement parvenus jusqu’à nos jours (Paul Mazliak, “Avicenne et Averroès. Médecine et Biologie dans la civilisation de l’Islam”, éd. Vuibert/Adapt, 2004). Certains avancent cependant la survivance de 240 titres (cf. O’Connor, J. John, Robertson, F. Edmund, “Avicenna”, MacTutor History of Mathematics archive, University of St Andrews, 1999).
Ses ouvrages englobent la métaphysique et la philosophie, l’exégèse qurânique et la théologie, le droit musulman et l’histoire, la médecine et les mathématiques, la logique et la poésie, la géologie et la psychologie, la mystique islamique, l’astronomie et la botanique, la chimie et l’alchimie, etc.
Son apport en médecine et en philosophie marquera profondément les penseurs occidentaux, jusqu’au 18ème siècle essentiellement concernant la médecine, où son “Canon” fit office d’autorité durant des siècles, et encore jusqu’aujourd’hui quant à son œuvre philosophique.

6) Ibn Tufayl (1110-1185) :

« Maître » et protecteur d’Ibn Rushd, il avait également étudié le Qur’ân et la Sunnah, la théologie et la métaphysique, le tasawwûf et la logique, la philosophie et le droit musulman, ainsi que la médecine, les mathématiques et l’astronomie. Contrairement à Ibn Rushd, son approche incluait aussi la métaphysique et le tasawwûf (il lut d’ailleurs le « Ihyâ’ ulûm ud-Dîn » de Al-Ghazâlî). On lui doit le célèbre ouvrage “Hayy ibn Yaqdhan” (littéralement : « Vivant fils du conscient ») traduit en français sous le titre « le philosophe autodidacte », dont le récit raconte l’histoire d’un jeune enfant s’éveillant tout naturellement à la philosophie et à la spiritualité en quête du Divin et de la compréhension du monde naturel. Comme Ibn Rushd et Al-Ghazâlî, son œuvre influencera de nombreux savants occidentaux pour plusieurs siècles. Pour Samar Attar, dans “The Vital Roots of European Enlightenment: Ibn Tufayl’s Influence on Modern Western Thought” (Lexington Books, 2010), son oeuvre maîtresse deviendra même l’une des plus importantes à préfigurer la révolution scientifique, car ses idées et réflexions se retrouvent à différents degrés dans les travaux de John Locke, Thomas Hobbes, Isaac Newton et Emmanuel Kant.
Dans son ouvrage phare, il essaie de synthétiser les approches de Ibn Sina, de Ghazalî et d’Ibn Bajjâ (connu sous le nom d’Avenpace en Occident) qui était un métaphysicien, mystique, théologien, philosophe, logicien, mathématicien, médecin et astronome mot en 1138. Contrairement à Ibn Rushd qui n’intégrait pas « la philosophie illuminative » (métaphysique et mystique), Ibn Tufayl, à l’instar d’Ibn Sina et d’Ibn Bajjâ, l’intégra. Dans son œuvre, il y cite également Al-Farabî, mais pour le critiquer sur plusieurs points.


7) Ibn ‘Arabî (1665-1240) :

Abû ʿAbd Allâh Muḥammad ibn ʿAlî ibn Muḥammad ibnʿArabî al-Ḥâtimî aṭ-Ṭâʾî. Ayant maitrisé toutes les sciences islamiques et les sciences connexes (le Qur’ân et son exégèse, les sciences du hadîth et la jurisprudence, la langue arabe et la grammaire, la sîrah, les ussûl al fiqh, la rhétorique, la théologie, la poésie, la logique, le tasawwûf, etc.), il s’intéressa également à la cosmologie, aux mathématiques et à la médecine. Les biographes lui attribuent jusqu’à plus de 900 ouvrages. Cependant son héritage intellectuel consiste essentiellement dans l’œuvre métaphysique et spirituelle de grande ampleur qui influencera l’ensemble du monde musulman après sa mort. Comme le notera Ibn Hajar al ‘Asqalânî, de son vivant, tous les savants l’ayant rencontré ont témoigné de sa sainteté et de son orthodoxie islamique. Les polémiques à son sujet n’apparaitront qu’après sa mort. Il laissera ainsi après lui, des ouvrages sur le droit, des commentaires de plusieurs recueils de ahadiths, des traités théologiques et cosmologiques, des écrits sur la spiritualité, l’éthique et la métaphysique. Loin d’être un sûfi laxiste, il accomplissait scrupuleusement tous les rites islamiques et la Sunnah à tous les niveaux. Son nom résonne de l’Orient à l’Occident, à l’instar de son contemporain Rûmî, qu’il rencontrera de son vivant.
L’imam Al Safadî a dit dans son introduction aux “futuhat” d’Ibn Arab : « Du début à la fin, j’ai vu qu’il s’agissait [globalement] de la doctrine d’Abûl Hassân Al Ash’ari sans aucune différence ». Toutefois, dans certains écrits théologiques d’Ibn ‘Arabî, ce qui en ressort serait plutôt la ‘aqida atharite, certes proche de l’asharisme traditionnel. Cependant, les maîtres sûfis dépassaient souvent les clivages des écoles théologiques, car se bornant aux limites du mental, et sans les renier, les dépassaient pour contempler spirituellement les Attributs Divins, confirmant leur transcendance en même temps que leur immanence, comme il le répétera dans ses “Fusûs al-Hikâm” : « Si tu affirmes la Transcendance Divine (tanzîh), tu conditionnes ta conception d’Allâh ;
Et si tu affirmes Son Immanence (tashbîh), tu la délimites.
Mais si tu affirmes simultanément l’un et l’autre point de vue,
Tu seras exempt d’erreur et un modèle de connaissance »
.
Cela fait référence au célèbre verset « Rien (de ce qui est créé) ne Lui ressemble, et Il est Celui Qui Entend, Celui Qui Voit » (Qur’ân 42, 11). Comme l’Essence Divine Incréée ne saurait être réduite aux choses créées dans leur modalité temporelle, la ressemblance n’est guère possible, mais comme Allâh manifeste Ses Attributs et Ses Actes au sein de Sa Création, Il est Immanent aussi sous ce rapport.

En raison de certains manuscrits altérés (circulant après sa mort), de certains livres qui lui furent attribués et dont l’authenticité a été remise en question, et enfin en raison de quelques passages mal compris, il devint l’objet de vives polémiques après sa mort. Certains firent d’abord son takfir avant de se rétracter et de le défendre lorsqu’ils ont compris les subtilités de ses écrits métaphysiques, comme Ad-Dhahâbî, Ibn Hajar al ‘Asqalânî (bien qu’il le critiqua sur certains points), As-Suyûtî, Taqî ud-Dîn As-Subkî et d’autres. D’autres grands savants l’ont également défendu comme As-Safâdî, Zakariyya al-Ansarî, Al-`Izz Ibn `Abd As-Salâm, Abû Muhammad ‘Abdullâh ibn As’ad al-Yâfi’î, Sadr ud-Din Qunawî, Ibn Hajar al Haytâmî, l’imâm Al-Haddâd, As-Sha’rânî, Muhammad Ibn al Abidîn, Shaykh ‘Abd al-Ghanî al-Nabulsî, Murtadâ’ Az-Zabidî, Ahmad Sirhindi (bien qu’auprès des gens hostiles à Ibn ‘Arabî il leur dit que ses ouvrages n’étaient pas indispensables, il enseignait toutefois plusieurs de ses livres à ses disciples avancés) et bien d’autres. D’autres se sont abstenus de tout jugement à son encontre, comme An-Nawawî, car plusieurs de ses maîtres qu’il appréciait beaucoup défendirent Ibn Arabî et le tenaient en haute estime.


Bien qu’ayant maîtrisé les sciences islamiques, son influence s’exercera surtout en ce qui concerne l’ésotérisme et la métaphysique en Islam, allant jusqu’à influencer la plupart des turuq sûfies. Même si certains maîtres interdisaient à leurs disciples peu avancés de lire les ouvrages d’Ibn Arabî, souvent d’autres disciples avancés en avaient l’autorisation dans le cadre de leur cheminement initiatique, une fois qu’ils s’étaient assurés de bien maîtriser les principes de la théologie musulmane, de la jurisprudence, de l’exégèse qurânique, de l’éthique, et qu’ils devenaient familiers avec la terminologie employée par Ibn ‘Arabî. On rapporte à son sujet qu’il prédit l’apparition de l’empire ottoman. De nombreux sultans et fonctionnaires ottomans, adoptant l’école théologique maturidite et le fiqh hanafite, furent aussi d’ardents défenseurs d’Ibn Arabî.

Si Ibn ‘Arabî a mis plutôt l’accent sur la connaissance dans l’expérience du Divin, tout en intégrant aussi l’Amour, Rûmî, lui, privilégiera surtout l’Amour tout en intégrant aussi la connaissance. Mais dans les deux cas, Ibn ‘Arabî et Rûmî étaient des références dans les sciences islamiques, s’appliquaient à accomplir les obligations et rites de l’islam, respectaient les convenances et les valeurs éthiques de l’Islam, et tenaient en haute estime l’ensemble des prophètes.
Mawlana Jalal ad-Dîn ar-Rumî (m. 672 H) était un savant reconnu de l’école Hanafite, tout comme son père, son fils et son petit-fils, tous juristes de haut niveau.

Dans son recueil de savants Hanafi intitulé “Jawahir al-Mudiyya”, Abu’l Wafa’ al-Qurshi (m. 696 H) le présente comme un « savant de l’école [Hanafi], possédant une grande compréhension des questions juridiques, bien informés des différences juridiques et autres types des sciences ».

De même, après avoir mentionné la lignée de Mawlana Rumi remontant à notre Maitre Abû Bakr (ainsi que par notre maître l’imâm ‘Alî), Ibn Qutlubugha (m. 879 H), le grand juriste Hanafi, a déclaré dans son “Taj al-Tarajim” que Rumî « était savant des écoles juridiques, des divergences d’opinion, et des divers types de sciences … et qu’il composa de nombreuses lignes de poésie ».

En raison de sa maîtrise des sciences islamiques, il lui fut confié la responsabilité de l’enseignement après la mort de son père dans la ville de Konya (dans la Turquie moderne). Il poursuivi la tâche d’instruire les étudiants en sciences exotériques jusqu’à sa rencontre avec Shams at-Tabriz.

Encore plus remarquable que tout de ce qui précède se trouvent les notices biographiques sur son fils, Baha ‘al-Din Ahmad, qui a été décrit dans le “Durar al-Kamina” d’Ibn Hajar al ‘Asqalani comme « l’un des imams des Maîtres Hanafi, brillant, ascétique , pieux, juriste, spécialiste de la méthodologie juridique (usûl) et grammairien … » et par al-Qurshi dans son “Jawahir” comme un « Imam … qui a suivi son père dans le délaissement du monde ». La raison pour laquelle ces avis sur son fils sont importants c’est parce qu’il était l’un des porte-étendards de son père, à la fois dans les sciences exotériques, qu’ésotériques. C’est tellement vrai que les fondements de l’ordre Mevlevi sont souvent déclarées comme ayant été posées par Baha ‘al-Din Ahmad et par son père, et d’ailleurs, comme son père, il composa une série de poésie en persan.

Quant à Ibn ‘Arabî, il était un mujtahid capable d’extraire de lui-même les règles juridiques à partir du Qur’ân et de la Sunnah.

8) Taqî ud-Dîn Ahmad Ibn Taymiyya (661 H/1263 – 728 H/1328) :

Issu d’une famille connue pour sa piété et sa science, sa formation incluait l’étude du Qur’ân, du hadîth et de l’exégèse qurânique (sans pour autant atteindre le rang le plus élevé dans la science du hadîth et l’exégèse), de la langue arabe et du droit. Il étudiera également plusieurs religions et écoles philosophiques, ce qui le poussera aussi à s’intéresser à la médecine, aux mathématiques et à l’astronomie, sans pour autant se spécialiser dans ces domaines. Ses contemporains étaient mitigés à son égard, certains le traitant de mécréant, d’autres d’égaré ou d’innovateur, tandis que d’autres le considérait comme le plus grand savant de son temps voire même de toutes les époques. Cependant tous reconnaissaient à son propos son érudition incontestable. Il lisait en effet beaucoup. Néanmoins certains de ses élèves n’ont pas épargné le Shaykh de leurs critiques, comme le fait que son érudition (accumulation d’informations) dépassait son intelligence (faculté de synthèse et clairvoyance dans les analyses), qu’il avait parfois un caractère très dur et hautain face à ses contradicteurs, et qu’il s’éloignait parfois de la voie des salafs pour s’aventurer dans des polémiques où les expressions et opinions employées furent condamnées par des salafs et par les plus grands savants de l’islam avant lui et à son époque. Il n’est donc pas rare de trouver dans les témoignages qui lui sont consacrés par un même savant, des passages très élogieux ainsi que d’autres passages comportant de violentes critiques à son égard, à l’instar de ce que l’on peut trouver chez Ibn Rajâb al-Hanbali (l’élève d’Ibn al-Qayyîm, lui-même élève d’Ibn Taymiyya), Ad-Dhahâbî (élève d’Ibn Taymiyya), As-Suyûtî, Ibn Hajar al Haytâmî (où certaines de ses critiques sévères étaient conditionnées par la véracité de ce qui était rapporté à son sujet parmi les rumeurs qui circulaient à son propos), Ahmad Ibn Atâ’Llâh As-Sakandarî, Taqî et Tâj ud-Dîn As-Subkî, Ibn Hajar al ‘Asqalânî, où tout en faisant son éloge, l’avait critiqué aussi pour sa malhonnêteté dans le fait d’affaiblir des ahadiths authentiques et d’authentifier des ahadiths inventés ou faibles quand ça l’arrangeait afin d’étayer son opinion. Ses ouvrages ne sont ainsi pas exempts de récits faibles ou inventés, que ce soit par rapport aux récits prophétiques ou à ceux attribués à des salafs. Il faut dire aussi que certains savants ont fait des éloges sur des auteurs dont ils n’ont pas lu tous les ouvrages, ou à contrario, de sévères critiques basées essentiellement sur des rumeurs ou des incompréhensions.
Ibn Taymiyya eut de nombreux opposants, certains étant très malhonnêtes et clairement moins érudits que lui (comme Ibn Makhlûf et Ibn ‘Adlân), tandis que d’autres étant plus clairvoyants, érudits et pondérés que lui (comme Taqî ud-Dîn As-Subkî, Ahmad Ibn Atâ’Llâh As-Sakandarî, Ibn Daqîq Al-‘Id, …). An-Nadwî avança plusieurs raisons qui suscitèrent l’opposition des savants à son égard, mais il ignore dans son argumentation également le fait que des oppositions furent causées par les propres contradictions du Shaykh ainsi que par ses propos déviants dans la ‘aqida qui existent dans certains de ses écrits. A différentes occasions, le Shaykh écrivit des ouvrages pour expliquer aux gens la ‘aqida (surtout sur les Noms et Attributs d’Allâh), mais avec des différences notables entre ces écrits en la matière comme dans “Bayân Talbîs al Jahmiyyah” où l’on peut y lire des propos considérés comme hérétiques d’après une lecture attentive du Qur’ân et selon la voie des éminents salafs. Même chose dans son ouvrage “Dar at Ta’rûd ‘Aql wa An Naql” ainsi que dans ses “Majmû al-fatawâ”, où il redéfinit les choses à sa propre sauce, et où les implications logiques de ses propos mènent à l’hérésie, mais où il entendait parfois autre chose, ou alors n’était pas lui-même conscient des implications déviantes que comportaient ses postulats.

Il dit dans “Majmû’ al Fatâwa” (Vol.18, p. 243) : « Beaucoup de personnes ont considéré leur déclaration comme étant parvenu textuellement : que les contingences du monde ont un commencement et que la nature [jins] des contingences a été précédé par le néant puisqu’on ne trouve pas dans le Qur’ân et la Sunnah ce qui exprime le contraire, en plus d’attribuer cette position aux musulmans, aux juifs, et aux chrétiens comme on le retrouve dans beaucoup de livres des gens du Kalâm qui ont innové en Islâm ce que les prédécesseurs ont blâmé, et ont contredit la législation et la raison. (…) «Les contingences dans leur origine n’ont pas cessé d’exister avec Lui, et cette présence des contingences avec Lui n’est nié ni par la législation nie par la raison saine, mais au contraire ceci fait parti de Sa Perfection (…) Un groupe a pensé qu’il n’est pas possible que la nature

[jins]

du mouvement et des contingences et l’action existent si ces choses n’avaient pas existé auparavant selon des circonstances, ou que cela impliquerait que ces contingences aient un agent nécessaire pour toutes ces choses qui n’ait jamais cessé de les annuler; que les contingences seraient apparus sans cause de base, et que l’action se serait produit, et que l’action serait parti de son origine vers les créations sans aucune cause et qu’Il serait devenu Puissant après qu’Il ne l’ait pas été sans aucune cause et que la chose existait après qu’elle n’ait pas existé sans temps et ce qui est similaire de ce qui contredit la raison saine ». Ibn Taymiyya lui-même faisait du kalâm, mais plutôt assez maladroitement, en justifiant des choses qui étaient contraires au Qur’ân et à l’intellect, et qui ne furent nullement affirmées dans le Qur’ân ou la Sunnah authentique.

Ibn Taymiyya avait des opinions singulières concernant les notions logiques, théologiques et philosophiques, n’hésitant pas à concilier des notions et représentations contradictoires qui ne pouvaient être conciliées.
En effet, le mouvement est par définition limité, car c’est un changement d’état vers un autre, donc le mouvement ne peut être que contingent et concerné un objet/être limité et contraint par des modalités. Un déplacement (qui implique une limite et un changement d’état) est relatif et contingent, et ne peut donc pas être éternel ou infini. Or il prétend le contraire sans avancer le moindre argument.
On ne dit pas qu’Allâh est mobile ou immobile, mais Infini et Immuable, puisqu’Il ne dépend de rien et n’est pas contenu par Sa Création, étant donné qu’Il n’est pas un objet physique contraint par des limites ou des modalités. Allâh Est (de toute éternité), contrairement à Sa Création qui est contrainte par des états physiques limités.
Le mouvement est obligatoirement précédé de l’immobilité, une chose ne peut pas être en mouvement si elle n’a pas été auparavant immobile ou inexistante, même chose pour une chose immobile qui ne peut pas être qualifiée comme telle si elle n’a pas déjà été en mouvement auparavant et ce sont des caractéristiques

[a’rad]

qui surviennent dans des corps délimités par une forme, une épaisseur, une longueur et une profondeur. Le mouvement et l’immobilité surviennent dans un espace qui les contient nécessairement.

Il dit dans “Bayân Talbîs al Jahmiyyah” (Vol. 1, p. 359) : «L’existant qui subsiste par lui-même ne peut être qu’un corps, et tout ce qui n’est pas un corps ne peut pas exister. Et il est connu que ceci est plus proche de la nature primordiale et des raisons que la première parole [qu’Il n’est pas un corps]».
Or, tout ce qui existe n’a pas forcément un corps physique, même parmi les créatures et les choses de ce monde (comme les pensées, la conscience, les jinns, les anges, les lois de la physique, les concepts, etc.). Par ailleurs, l’intellect dément clairement toutes similarités physico-corporelles entre le Principe Créateur (Absolu et Infini) et la Création (relative et finie), or les corps (physique/grossier, psychique/subtil ou même spirituel), impliquant des modalités (physiques, psychiques ou spirituelles) ou des formes (physiques, psychiques ou spirituelles) sont des caractéristiques des créatures limitées. Par contre, les corps impliquent des limitations et des parties séparées et assemblées, or Allâh est exempt de cela.
Et Allâh nie une telle chose dans le Qur’ân quand Il rappelle que «Rien de ce qui existe (de créé) ne Lui ressemble», et que l’intellect confirme.

Toujours dans le même ouvrage “Bayân talbîs al-jahmiyyah” (1/ 401) il dit : « Il est connu que ni le Livre, ni la Sunnah ni le consensus n’ont dit que tous les corps sont survenus du néant, et que Allâh n’est pas un corps, et aucun imâm parmi les imâm des musulmans n’a dit cela. Donc le fait que je délaisse cet avis ne me fait pas sortir de la nature originelle [fitra] et de la Sharî‘ah ».
Le Qur’ân n’a jamais affirmé le corps ou les organes pour Allâh, ni même d’autres modalités physiques ou limites physiques (la seule démarcation réside dans le fait qu’Allâh est distinct, par Son Essence, de la Création, ce qui fait justement que, Allâh n’a pas de formes physiques, d’organes corporels ou de limites physiques pouvant L’assimiler à la Création). De plus Allâh réfute toutes ressemblances aux créatures (caractérisées par les corps, les limites et les modalités créées). En outre, les plus éminents des salafs ont nié le corps pour Allâh (dont At-Tahâwî, Abû Hanifa, Ahmad, Mâlik, As-Shafi’î, Jâ’far as-Sâdiq, Zayn ul Abidîn, l’imâm ‘Alî, etc.).

L’imâm Shâfi’îte Yahya ibn Abî al Khayr al ‘Imrânî al Atharî (m. 558 H) a dit dans “Al Intisâr Fî Rad ‘Ala al Mu’tazilah al Qadariyah al Ashrâr” (Vol. 2, p. 635) :

« La voie des Salafs et des savants parmi les compagnons et leurs successeurs et de ceux qui sont venus après parmi les imâms de tous les temps, comme Mâlik, As-Shâfi’î, Ahmad ibn Hanbal est l’exemption d’Allâh de la corporeité [al jismiyah] et de croire en ce qui a été rapporté des versets et des informations prophétiques en gardant le silence sur leur explication et de témoigner de l’incapacité de cerner ce qui est voulu par eux, et la soumission et la foi en cela de manière résumée [mujmal], de la même manière que nous affirmons et croyons en l’Essence sans modalisation [takîf], car le Prophète صلى الله عليه وسلم sait mieux ce qui est permis de croire pour Allâh dans Ses descriptions, de même que les compagnons رضي الله عنهم , et ils ont gardé le silence sur l’explication de ces descriptions et notre interprétation comprend ce que eux comprenaient déjà. Allâh تعالى a dit : “Prenez ce que le Messager vous donne; et ce qu’il vous interdit, abstenez-vous en” (59, 7) et Allâh تعالى a dit : “Et on ne vous a donné que peu de connaissance” (17, 85) et le Prophète [صلى الله عليه وسلم] a dit : « Suivez et n’innovez pas, car ce qui a causé la perdition des gens qui vous ont précédé est ce qu’ils ont innové dans leur religion et ont délaissé la Sunnah de leurs Prophètes, ils ont ainsi égarés et se sont égarés (…) » ».

Le Hâfiz Ad-Dhahabî commenta dans “Aqâwil at-Thiqât” (p.90) et dans “Lawâmiʻ al-anwâr al-bahîya wa-sawâṭiʻ al-asrâr al-atharîya” (1/197) : « Cet imâm a transmis le consensus sur cet avis et la Louange est à Allâh. Il était le Hâfiz dans son époque au Moyen Orient sans divergence, et a réuni dans le hadîth entre l’élévation de la narration et la vérification du contenu. Le Hâfiz Ibn ‘Asâkir l’a mentionné dans les compagnons de Abû al Hassan al Ash’arî. Il décéda au mois de Safar de l’an 430 de l’Hégire, et avait 94 ans. Il y avait entre lui et entre Ibn Mindah

[al Hanbalî]

une dispute pour des questions de doctrine ».
Abû Nu’aym (m.430 H) a dit aussi dans “Târikh Asbahân” (2/271) biographie n°1675 :

« 1675 – Muhammad ibn al Qâssim ibn Ahmad ibn Fâshdhâh, Abû ‘Abd Allah as-Shâfi’î, connu par an Natîf, le théologien sur la doctrine des gens de la Sunnah, affilié à la doctrine de Abû al Hassan al Ash’arî (m.324 H). Il retourna à Asbahân l’année 353 et y décéda au mois de Rabî’ al Awwal de l’an 381. Il entendit énormément en Irak, beaucoup d’ouvrages dans les fondements de la jurisprudence et des jugements, et rapporta d’après Muhammad ibn Sulaymân al Mâlikî, Al Mâdarâ’î et Al Lû’luwî ».

Concernant le kalâm et l’exemption des modalités créées concernant Allâh, nous avons la parole de l’imâm ‘Alî rapportée par Abû Nu’aym dans son “Al Hilyah” par le biais d’une chaîne remontant jusqu’à An Nû’mâm Ibn Sa’d qui a dit : « Alors que j’étais à Kûfah dans la maison de l’amir ‘Alî ibn Abû Tâlib, Nawf Ibn Abdullah se précipita chez nous en disant : “O Amir des croyants, devant la porte il y a quarante juifs. En réponse à quoi, il dit : “Laissez-les entrer”. En se présentant devant lui, ils lui dirent : “Ô ‘Alî, décris-nous ton Dieu, celui qui habite le ciel, comment est-il ? Quand a-t-il existé ? et sur quoi est-Il ? [NDT : des juifs ont une conception physique, donc anthropomorphiste, de Dieu]. C’est alors que ‘Alî prit place et dit : “Ô communauté de juifs, écoutez-moi et n’ayez par la suite aucun doute si vous ne questionnez nul autre que moi. Certes, mon Dieu, Le Suprême, est Eternel ; Il n’est ni issu d’une chose, ni mélangé avec quoi que ce soit, ni incarné ; Il n’a ni forme que l’on peut chercher, n’est ni localisé, ni caché, ni précédé par le néant (Il n’est pas précédé par la non-réalité)”. Ensuite il leur dit : “Et Il parla à Moîse sans l’intermédiaire de membres, ni autre biais…. Celui qui prétend que notre Dieu est limité, certes il a ignoré Le Créateur, L’adoré ».

Il s’agit ici des principes intellectuels, en conformité avec le Qur’ân, qui distingue l’Incréé (Allâh) du créé (l’ensemble de Sa Création). ‘Alî ibn Abû Talîb a dit aussi : « Allâh est de toute éternité et l’endroit n’existe pas de toute éternité, et Il est tel qu’Il est de toute éternité – c’est-à-dire sans endroit -» (récit rapporté par Abû Mansûr Al-Baghdadî dans son ouvrage “Al-Farqû bayna l-Firaq”), et qui va dans le sens aussi du hadith prophétique « Allâh était alors qu’il n’y avait rien d’autre que Lui/avec Lui/avant Lui » relaté sous l’autorité de Burayda et rapporté par al-Hakim dans “al-Mustadrak” (2/341), qui l’a déclaré authentique (sahīh) – en accord avec l’imam Ad-Dhahabi – et de ‘Imran ibn Hussayn par Al-Bukhari et Ibn Hibbân avec deux chaînes solides dans son “Sahih” (14/7 n°6140, 14/11 n°6142), ainsi que Ibn Abi Shayba dans son “Musannaf”.

L’’imâm As-Shafî’i, où Al-Bayhaqî dans son “Manaqib al-Shafi`i” dit à la page 458, après avoir cité l’histoire du débat rationnel d’As-Shafi’î avec un individu : « Ceci démontre l’excellente connaissance de l’Imam as-Shâfî’i sur la question et l’obligation d’exposer les ambiguïtés des négateurs en cas de besoin. Par le mot kalam, il vise la mécréance des négateurs et les hérésies des innovateurs, et Allâh est plus Savant ! ». L’imâm As-Shafi’î a dit auss : « Allâh ta’ala existe de toute éternité alors qu’aucun endroit n’est de toute éternité. Il a créé l’endroit en ayant l’attribut de l’exemption de début, tout comme avant la création des endroits, le changement n’est pas possible selon la raison à Son sujet, ni pour Son Être ni pour Ses attributs » (rapporté par Az-Zabidî dans “It-hafu s-Sadati l-Muttaqin”, Vol.2, p. 36).
L’imâm de la Sunnah, descendant du Prophète et qui fit l’unanimité chez les gens de science (voir les éloges d’As-Suyûtî et de Ad-Dhahâbî par exemple), l’imâm Ahmad Ar-Rifâ’î dans son “Al-Burhân al-Mu-ayyad” (p. 18) a dit : « Notre Imâm As-Shâfi’i lorsqu’il a été interrogé à ce sujet [c’est- à-dire concernant l’istiwâ de Allâh ; comme le verset : «Ar-Rahmânu ‘ala l-arsh istawâ»] a dit : « J’ai cru fermement en cela sans assimilation, j’en ai reconnu la véracité sans attribuer d’image, je me suis fait à l’idée que j’étais incapable d’en atteindre la réalité et je me suis abstenu d’engager une discussion à ce sujet d’une totale abstention ».
C
e qui va dans le sens de l’explication donnée par Al-Bayhaqî dans son “Al-I’tiqad” (p.56) lorsqu’il dit : « Il faut savoir que l’istiwa d’Allâh n’est pas interprété par le fait de se redresser après avoir été courbé, ni par le fait de s’établir dans un endroit, ni de toucher quelque chose de Sa création. On dit au contraire qu’Allâh istawa ‘ala l-‘arsh comme cela est rapporté, sans comment et sans « où » [c’est-à-dire sans endroit] ».

Abû Hanifa dans son “Fiqh al Akbar” : « Allâh est Un, non pas par le nombre, mais par le fait qu’Il n’a point d’associé. {Dis : C’est Lui Allâh l’Unique, Allâh Celui dont toute chose dépend, Il n’engendre pas et n’a pas été engendré, il n’y a rien qui Lui soit égal.}, (s.113/v.1-2-3-4). Rien parmi ses créatures ne Lui ressemble et Il ne ressemble à rien qui ne soit parmi Ses créations. Il a toujours possédé Ses Noms et Ses Attributs relatifs à Son Être et à Ses Actes. (…) Il est un Être pas comme les autres entités. L’être signifie qu’Il est Celui dont la réalité est affirmée, sans qu’Il soit un corps, ni le fond d’une chose limitée par l’espace, ni un accident. Il n’a pas de limite, ni de contraire, ni de semblable, ni de pareil. Il possède « Main », « Face » et une « Essence ». Tout ce que Allâh a mentionné dans le Qur’ân à propos de « Face », de la « Main », de « l’Essence », ce sont pour Lui des Attributs sans « comment ». (…) Le fait d’être proche ou loin de Allah ta’ala, ce n’est pas en termes de distance courte ou longue, mais c’est en termes d’honneur et d’humiliation. Celui qui obéit est celui qui est “proche” de Lui sans comment, et celui qui désobéit est celui qui est “loin” de Lui sans comment » (…) ».

Abû Hanifa dans son “Al-Wasiyyah” (où il aborde des notions logiques, philosophiques et théologiques en conformité avec le Qur’ân et la réalité physique) dit : « Nous reconnaissons

[tout comme il a été rapporté dans le Qur’ân]

qu’Allâh h ta’ala «’ala l-‘arsh (le Trône) istawa » sans qu’Il ait besoin du Trône et sans qu’Il soit (physiquement) établi dessus et Il est Celui Qui préserve le Trône et autre que le Trône sans en avoir besoin car s’Il avait un quelconque besoin, Il ne serait pas tout puissant à faire exister le monde et à lui prédestiner tout ce qui lui arrive, Il serait comme les créatures. Et s’Il avait le besoin de s’asseoir (julûs) et de s’établir (qarar), alors avant de créer le Trône, où donc aurait-Il été ? Allâh est exempt de cela ». 
Et dans son “Al-Fiqh al Absat” il dit : « J’ai dit : Regarde, si quelqu’un dit : Où est Allâh ta’ala ? On lui dit : Allâh ta’ala est de toute éternité, il n’y a pas d’endroit avant qu’Il ne crée les créatures et Allâh ta’ala existe de toute éternité alors qu’il n’y a pas de « où », ni de créatures ni quoi que ce soit, Il est le Créateur de toute chose ». Cette parole fut rapportée de façon authentique, est conforme à la parole de l’imâm ‘Alî (‘alayhî salâm) et de Jâ’far As-Sadîq (‘alayhî salâm) que l’imâm Abû Hanifa connaissait personnellement, et cela est conforme au Qur’ân et à l’intellect. Par-contre, une autre parole (selon une chaine de transmission non-authentique) attribuée faussement à l’imâm Abû Hanifa lui fut attribuée à tort (certains spécialistes disent carrément que la personne avait forgé ce mensonge volontairement).

At-Tahawî dans sa “Aqidatu at Tahâwiyah” : « (…) La vision d’Allâh est une réalité pour les hôtes du paradis, sans limites et sans comment [sans modalité]. Conformément à ce qui est mentionné dans le livre du Seigneur : {Ce jour-là, il y aura des visages resplendissants qui regarderont leur Seigneur.} (S.75 – V.22-23) L’explication de ce verset est comme l’a voulu Allâh et l’a enseigné. Et tout ce qui est parvenu dans cela parmi les Hadîth authentiques du Messager, est comme il l’a dit, et la signification est selon ce qu’Il a voulu. Nous n’abordons pas ce sujet par des interprétations fondées sur des opinions personnelles, ni par des imaginations fondées sur des passions (…). Et Il est exempt de toutes limites, de fins, des côtés, des membres et des instruments pour l’action. Les six directions ne Le contiennent pas contrairement aux autres créations (…) ».

L’imâm Ahmad, où Abû l-Fadl At-Tamimi dit dans “I’tiqadû l-Imamu l-Munabal Abi ‘Abdi l-Lahi Ahmad bni Hanbal” que l’imâm Ahmad parlait des notions logico-physiques concernant les corps et qu’il ne faut pas les appliquer/attribuer au Créateur, en plus du fait que ces notions n’ont jamais été confirmées ou employées pour Allâh dans le Qur’ân : « Les noms sont pris de la Religion (Shari’ah) et de la langue arabe, or les spécialistes de la langue ont mentionné que le mot « corps » (jism) est attribué pour tout ce qui présente une longueur, une largeur, une épaisseur, une composition et une image, et Allâh ta’ala est exempt de tout ceci. Il n’est donc pas permis de Lui attribuer le corps (jism) car Il en est exempt, en plus ce terme n’a pas été cité dans la religion (Sharî’ah) comme nom d’Allâh, ce qui montre que cela est infondé » et ainsi qu’Ibn al-Jawzî dans “Daf’u Shubahi t-Tashbih” dans lequel il dit : « Ahmad (Ibn Hanbal) n’a jamais attribué de direction à Al-Bari (le Créateur : c’est-à-dire Allâh) ».

Dhûn-Nûn al-Misrî et l’imâm Jâ’far As-Sâdiq dirent la même chose globalement, et Al Qushayrî dit dans son “Ar-Risalat ul-Qushayriyyah” : « Une personne interrogea Dhun-Nûn al-Misri, au sujet de la parole d’Allâh ta’âlâ (Ar-Rahmânu ‘ala l-‘arsh istawâ). Il répondit : « Il affirma Son Être et nia toute localisation à son sujet, car Il existe de par son Être tandis que toute autre chose existe par Sa sagesse, et conformément à Sa volonté » et « Ja’far As-Sâdiq a dit : Celui qui prétend que Allâh est dans quelque chose, ou issu de quelque chose, ou au-dessus de [ou sur] quelque chose a commis du chirk (c’est-à-dire : adorer autre que Allâh), cars’Il était au-dessus de [ou sur] quelque chose Il serait porté, s’Il était dans quelque chose, Il serait limité, s’Il était issu de quelque chose, Il serait entré en existence (c’est-à-dire créé) »,ce qui fut rapporté aussi par d’autres savants comme Al-Baqillânî dans son “Al-Insaf” (p.40).

L’Imam Zayn ul-‘Abidin où le grand théologien et savant du hadîth Murtada Az-Zabidi rapporte dans son livre “It-hafu s-Sadati l-Muttaqin” (4/643-644) avec la chaîne de transmission, le célèbre épître “As-Sahifah as-Sajjadiyyah” de l’Imam Zayn ul-‘Abidin (salaf descendant du Prophète par la descendance d’Alî et de Fatima) dans lequel il a dit : « C’est Toi Allâh Qu’aucun endroit ne contient » et « C’est Toi Allâh Qui est exempt des limites et Qui n’est donc pas limité », conformément à la parole prophétique rapportée par Muslim dans son Sahîh « Ô Allâh, Seigneur des cieux, Seigneur de la terre et Seigneur du Trône Eminent, notre Seigneur et le Seigneur de toute chose, Celui Qui fend la graine et le noyau, Celui Qui a fait descendre la Torah, l’Evangile et le Furqân (le Qur’ân). Je recherche Ta protection contre le mal de toute chose. Allâh, Tu es Al-Awwal, rien n’est avant Toi et Tu es Al-Âkhir, rien n’est après Toi. Tu es Ad-Dhâhir (Le Manifesté, l’Apparent, l’Extérieur), rien n’est au-dessus de Toi et Tu es Al-Bâtin (Le Non-Manifesté, l’Intérieur, le Caché), rien n’est en-dessous de Toi. Rembourse nos dettes et enrichis-nous contre la pauvreté ». Ce hadîth fut rapporté par Muslim dans son “Sahîh”, par al-Bukharî dans son “al-Adab al-Mufrad”, par At-Tirmidhî dans son “Jâmi’”, al-Hâkim dans son “Al-Mustadrak”, Ibn Hibbân dans son “Sahîh”, Abû Dawûd dans ses “Sunân”, Ibn Mâjah dans ses “Sunân”, An-Nasâ’î dans ses “Sunân”, Ahmad dans son “Musnad”, Al-Bayhaqî dans son “Al Asmâ’û wa as-Sifât” et d’autres.
Al-Bayhaqî dans son “Al Asmâ’û wa as-Sifât” (2/144) commente d’ailleurs ce hadîth en disant : « Certains de nos compagnons ont tiré un argument, pour renier l’endroit au sujet de Allâh, de la parole du Prophète (‘alayhî salât wa salâm) ».

En effet, ce hadîth nous informe d’une part qu’Allâh est le Seigneur des cieux, de la terre, du Trône et de toutes choses, et qu’Il n’est donc pas semblable aux choses créées, qu’Il les domine tous, et que Sa Souveraineté est absolue, non-conditionnée par les choses créées peu importe leurs modalités (modalités sur terre, dans les cieux ou par rapport au Trône). Il n’a donc pas besoin des endroits pour Son Essence ou pour exercer Sa Puissance ou Sa Volonté, que ce soit la terre, les cieux ou le Trône. Il n’est donc pas comme les êtres physiques qui ont besoin d’un corps, de l’espace ou des directions physiques pour se mouvoir, ressentir des choses ou exister dans le monde créé. Ni Allâh dans le Qur’ân, ni le Prophète dans sa Sunnah authentique n’ont dit que le Trône était un endroit physique servant de support à Allâh. Il s’agit là d’un rajout tardif par certains théologiens dans leurs polémiques. De même, le hadîth rapporté par Muslim qui dirait « Où est Allâh », ce à quoi la servante répondit « au ciel », An-Nawawî dans son Sharh du Sahîh Muslim l’expliqua dans le sens de la Transcendance (par opposition aux idoles physiques fabriquées sur terre), pour indiquer que l’Être Divin n’était pas physiquement sur terre. Le même hadith fut rapporté par Ibn Hibbân dans son Sahîh et par Ahmad ibn Hanbal dans son Musnad notamment, avec la variante « Qui est ton Dieu », ce à quoi elle répondit « Allâh », ce qui est plus conforme au Qur’ân, à l’intellect et aux ahadîths plus solides et plus nombreux qui traitent de la ‘aqida, sans jamais parler d’un endroit pour Allâh.

Par rapport à Al-Bayhaqî, Ibn al-Jawzî dans son “Al-Muntadham” a dit : « Il n’avait pas d’égal à son époque dans la mémorisation et la grande maîtrise

[des sciences]

, il est l’auteur de bons ouvrages, il maîtrisait aussi bien la science du Hadîth, que la jurisprudence (Fiqh) et les fondements (ussûl), et il compte de parmi les plus grands compagnons de [l’Imâm] Al-Hâkim Abî ‘Abdi l-Lâh (m. 405 H) ». Il était sûfi, ascète, théologien asharite, juriste shafiite, exégète, grammairien, historien, spécialiste du hadîth et de la vie du Prophète, des compagnons et des successeurs.

L’historien, juriste, muhhadîth et théologien Ibn al-Athîr a dit de lui dans “Al-Kâmil” : « Il était un savant dans le Hadîth et dans la jurisprudence (Fiqh) et il est l’auteur de nombreux ouvrages qui démontrent ses nombreux mérites ». [Al-Lubâb] et il a dit de lui également : « Il était un Imâm dans le Hadîth et dans la jurisprudence au sein du Madhhab de l’Imâm As-Shâfi’i et il est l’auteur à ce sujet de différents ouvrages ».

Le Hâfiz Salâhû d-Dîn Al-‘Alâ-i a dans “Al-Washyû al-Mu’am” a dit : « Personne n’est venu après Al-Bayhaqi et Ad-Dâraqutni qui les égale ou qui se rapproche de leur niveau [dans la science du Hadîth] ».

Ad-Dhahabi a dit de lui dans son “Siyar A’lâm an-Nubalâ” : « Il est le Hâfiz (spécialiste de la science du Hadîth), l’illustre savant (‘Allâmah), le digne de confiance, le spécialiste de la jurisprudence (Faqîh), Shaykh ul Islâm (…) Si l’Imâm Al-Bayhaqi aurait voulu fonder sa propre école juridique (Madhhab) dans laquelle il réalise son ijtihâd (effort de réflexion) il aurait été capable de cela vu l’abondance de sa science, et sa connaissance des divergences ».

Tâj ud-Dîn As-Subkî a dit à son sujet dans ses “At-Tabaqât al-shafi’iyya” : « L’Imâm Al-Bayhaqi était l’un des Imâms des musulmans, quelqu’un qui appelait à s’accrocher fermement à la religion, un éminent spécialiste de la jurisprudence (Faqîh), un grand Hâfiz (spécialiste du Hadîth), un spécialiste des fondements (ussûli) intelligent, un ascète pieux, un fervent adorateur d’Allâh, il se dressait pour soutenir le Madhhab (c’est-à-dire le Madhhab de l’Imâm As-Shâfi’i) dans les fondements et dans les ramifications, il était une montagne de parmi les montagnes de science ».

Ibn Kathîr dans son “Al-Bidâyah wa n-Nihâyah” dit : « Il n’avait pas de semblable à son époque dans la maîtrise [des sciences], la mémorisation, le Fiqh (la jurisprudence) et l’écriture [d’ouvrages], Il était un spécialiste de la jurisprudence (Faqîh), un spécialiste du Hadîth (Muhaddith), un spécialiste des fondements (ussûli), il a étudié la science auprès de Al-Hâkim ‘Abdûllâh An-Naysâbûri, et il étudia également auprès d’autres que lui de nombreux sujets, il a composé de nombreux ouvrages utiles qui n’ont pas eu de semblable ».

‘Abdû l-Ghaffâr Al-Fârisi a dit de lui dans “Al-Muntakhab” : « L’Imâm, le Hâfiz, Al-Faqîh, Al-Ussûli, le pieux, le vertueux, celui qui n’avait pas d’équivalent à son époque dans la mémorisation, Il a excellé dans la maîtrise

[des sciences]

et la mémorisation ».

Ibn ‘Abdi l-Hâdi a dit dans “Tabaqât ‘oulamâ-i l-Hadîth” : « L’Imâm, le Hâfiz, l’illustre savant, le Shaykh de Khurâsân ».

Ibn Khallikân a dit de lui dans son “Wafayâtû l-A’yân” : « Il était celui qui soutenait le plus la voie de l’Imâm Ash-Shâfi’i ».

Al-Bayhaqî (m. 458 H) était aussi le compagnon de l’imâm Al-Qushayrî (m. 465 H ; sûfi, exégète, théologien asharite, mathématicien, grammairien, juriste, spécialiste des fondements religieux, spécialiste du hadîth et ascète), de l’imâm Abû Mansur al-Baghdadi (m. 429 H ; mathématicien, théologien asharite, juriste, historien, sûfi, spécialiste du hadîth et des fondements de la religion, exégète, grammarien, …) et l’élève du célèbre sûfi, juriste, théologien asharite, exégète et spécialiste du hadîth Abû `Abd Ar-Rahmân As-Sulamî (m. 412 H).


Pour en revenir à Ibn Taymiyya, il dit dans “Dar at Ta’rûd ‘Aql wa An Naql” (10/67) : « Où est mentionné dans le Qur’ân ce qui indique clairement que toute chose en mouvement est contingente et relative ? Et que le mouvement ne se produit qu’à partir d’une contingence et d’une chose relative [mumkin] ? Et que ce qui se produit à partir des contingences ne peuvent pas s’en défaire ? Et qu’une chose qui ne peut se défaire des contingences est elle-même nécessairement contingente ? Où est dans le Qur’ân la preuve qui vient interdire le fait que les contingences n’ont pas de début ? ».
Les preuves ont été mentionnées dans le Qur’ân et par l’intellect, comme cela a déjà été partiellement évoqué précédemment. Il avait étudié la logique et la philosophie, mais avait commis de nombreuses confusions, notamment lorsqu’il essayait de redéfinir et de concilier des concepts et réalités inconciliables car par essence opposée et contradictoire.

Cela contredit cependant ce qu’il dit ailleurs, comme lorsqu’il fut convoqué en l’an 705 de l’hégire par le gouverneur résidant à Damas, sur ordre du roi résidant en Egypte, pour un débat contradictoire (munâzara) au sujet des croyances qu’il professe au sujet d’Allâh. Il relate lui-même les faits dans “Majmû’ al-fatâwâ” (3/160-161-168). Sur le questionnement de l’un de ses opposants, Ibn Taymiyya explique qu’il emploie au sujet d’Allâh les Attributs (Sifât) que Lui-même a employés à Son Sujet ou que le Prophète a employés à Son Sujet, sans tomber dans le tamthîl (le fait de croire que cela semblable à telle « chose créée ») ni le takyîf (« le comment », c’est-à-dire Lui attribuer une modalité physique) : « L’un des grands opposants, relate Ibn Taymiyya, dit alors : “A ce moment-là, il serait autorisé de dire : “هو جسم لا كالأجسام” (« Il est un Corps, pas comme les corps ») ! « Moi et certain des vertueux présents lui dîmes alors : « Ce qui a été dit c’est qu’on qualifie Allâh de ce dont Il s’est qualifié Lui-même, ou de ce dont Son Messager, qu’Il le bénisse et le salue, L’a qualifié. Or dans le Qur’ân et la Sunnah il n’y a pas qu’Allâh est un Corps, de sorte que cette question soit impliquée » ».
Il dit ainsi dans “Majmû’ al-fatâwâ” (6/433-434) de ceux qui appréhendent la formule « Deux Mains d’Allâh » au sens figuré :

« La réalité de leur propos est qu'[ils croient que les termes] par quoi Dieu S’est qualifié, n’en est compris (yu’qalu) [à propos d’Allâh] que ce qui en est compris à propos des quelques créatures que nous voyons, comme les corps des humains. Or ceci est une extrême ignorance. Car parmi les créatures [mêmes] il en est que nous n’avons pas vues, comme les anges, les djinns, et même nos âmes ». Or, il fustige et dénonce des positions qu’il avait lui-même défendu dans d’autres de ses écrits.

Concernant sa critique sur l’asharisme et le kalâm, là aussi, il énonça plusieurs erreurs et commit plusieurs confusions.

Le Hâfiz, l’imam du Hadîth Ibn Hibbân (270-354 H) a écrit dans l’introduction de son livre sur les transmetteurs “At-Thiqât” (1/1) : « La louange est à Allâh, Celui qui n’a pas de limite et qui n’est donc pas limité pour être contenu, Qui est exempt de terme et n’est donc pas décompté pour être anéanti, Qui n’est cerné par aucun des endroits et Qui n’est pas sujet à l’écoulement du temps. On ne peut percevoir l’ampleur de ses bienfaits par les témoignages ou les sens. Il ne peut y avoir d’analogie entre les Attributs de Son Être et ceux des êtres humains. Son degré est trop immense pour que l’atteignent les limites de ceux qui Le décrivent, et Sa description est trop haute pour la perception de ceux qui la prononcent. Les formulations linguistiques sont impuissantes pour la description de Ses Attributs. Il n’a point d’associé dans Son royaume, ni pair ni semblable dans Son empire, ni délégué. J’atteste qu’il n’y a de divinité digne d’être adorée qu’Allâh, qui dénombre chaque chose entièrement, qui fait mouvoir chaque personne pour que périsse celui qui doit périr par une preuve éclatante et vive celui qui doit vivre par une preuve éclatante. J’atteste que Muhammad est Son serviteur, son choisi et Son messager dont Il est satisfait. Il l’a envoyé avec la lumière éclatante et la lueur brillante. Il a transmis d’Allah le Message et a éclairci par les preuves ce à quoi il a appelé. Le fait de suivre sa Sunnah est une obligation pour être guidé et accepter ce avec quoi il est venu montre l’atteinte de la félicité, que la Grâce d’Allâh soit sur lui et sur sa famille pure ».

Dans son “al Ihsân fî Taqrîb Sahîh ibn Hibbân” (3/200-201) lors de l’explication de l’Attribut de la « Descente » il dit : « Les Attributs d’Allâh ne sont pas établis par un « comment » , et on ne fait pas d’analogie vers ceux des créatures. Comme le fait qu’Allâh possède la Parole sans dispositif par les dents, les luettes, la langue ou par lèvre comme les créatures. Allâh est exempt de ce qui est semblable à cela et ce qui y ressemble. Et il n’est pas permis de faire une analogie entre Sa Parole et la nôtre. Car la parole des créatures n’existe pas si ce n’est avec un dispositif pour le faire, et Allah parle comme Il veut sans dispositif. Ainsi Il « Descend » sans dispositif, sans mouvement, et sans déplacement d’un endroit vers un autre. Il en est de même pour la Vue et l’Ouïe, comme il n’est pas permis que l’on dise : Allâh voit et entend par des trous, des globes oculaires et des paupières. Mais Il voit comme Il veut sans dispositif. Et Il entend sans oreilles, sans lobes, ni gêne, ni nerfs à l’intérieur. Mais Il entend comme Il veut sans dispositif. De la même manière Il « Descend » comme Il veut sans que l’on fasse d’analogie entre « Sa Descente » et la descente des créatures, qui elles sont établis par un comment. Allâh est exempt et transcende le fait qu’on le fasse ressembler avec quoi que ce soit de parmi les attributs des créations ».

Le Hâfiz Ibn Hibbân a écrit dans son recueil de hadîth “al Ihsân fî Taqrîb Sahîh ibn Hibbân” (15/46) : « Le Prophète () a dit : « L’islam restera intact et droit pendant 35 ou 36 (années). Si les gens entrent dans la perdition [par le changement de la religion], ils seront sur le chemin de ceux qui se sont perdus [avant]. Si par contre ils restent [sur la religion intacte], leur religion leur restera encore 70 ans ».
Abû Hâtim [ibn Hibbân] a dit : Les gens de l’innovation [bid’ah] ont dénigré nos imams sur la base de ce hadith. Ils ont prétendu que les gens du hadith sont des « Hashawites » et qu’ils rapportaient ce que réfutent la constatation et le bon sens, en l’authentifiant. Et s’ils étaient interrogés sur le fait de décrire cela, ils disaient : « Nous y adhérons et nous ne l’expliquons pas ». Par la grâce d’Allâh et Son Bienfait, nous ne sommes rien de ce qu’on nous accuse. Plutôt, nous disons que le Prophète () n’a jamais parlé à sa communauté avec un langage qu’elle ne comprend pas de lui. Il n’y a rien dans sa Sunnah dont on ne connaît pas le sens. Celui qui prétend que, lorsque les traditions sont authentiques, il est obligatoire de les rapporter, de croire en elles sans pour autant les expliquer et comprendre leur signification, il aura dénigré le message, par Allâh. Sauf s’il s’agit de traditions portant sur les récits parlant des Attributs d’Allâh dans lesquels l’attribution d’une modalité ne s’applique pas. Il sera tout de même obligatoire à chacun d’y adhérer ».

Ibn Hibbân était un théologien, exégète, spécialiste du hadîth, auteur de recueils de ahadiths, spécialiste du droit musulman shafiite, des fondements du droit et de la religion, ainsi qu’historien, médecine, astronome, mathématicien, grammairien, …
Le Hâfiz ad-Dhahabî a écrit dans “Siyar A‘lâm an-Nubalâ’ ” (16/92-94) : « L’imam, le Hâfiz, l’expert dans les récitations, le Shaykh du Khurasan, Abû Hâtim Muhammad ibn Hibbân ibn Ahmad ibn Hibban ibn Mu’adh ibn Ma’bad ibn Shahid ibn Hadiiyah ibn Murrah ibn Sa’d ibn Yazîd Ibn Murrah ibn Yazîd Ibn ‘Abdillah ibn Darim ibn Hanzalah ibn Malik ibn Zayd Manat ibn Tamim at Tamimî ad Dârimî al Bustî, l’auteur des livres connus. (…)

Abû Sa’d al Idrissî (m.405 H) a dit : « Il était le juge de Samarqand pour un temps. Il était parmi les jurisconsultes (fuqahâ’) de la religion, les mémorisateurs des récits (Huffâz al Athar) un savant en médecine, en astronomie et d’autres branches de science. Il a écrit un Musnad as Sahîh, c’est-à-dire : “Kitâb al Anwâ’ wa at Taqâsîm”. Il a aussi écrit “Kitâb at Târîkh”, “Kitâb ad Du’afâ’” et il enseigna la jurisprudence aux gens de Samarqand.

Al Hâkim (m.405 H) a dit : « Ibn Hibban était de ceux qui étaient les plus savants en jurisprudence, en langue arabe, en hadith, en exhortation et parmi les plus intelligents des hommes. Il est arrivé à Naysabur en l’année 304. Ensuite, il a eu la judicature à Nasa. Il est venu par la suite vers nous en l’an 337 et resta à Naysabur en y construisant son couvent. On a lu sur lui l’ensemble de ses ouvrages et il partit de Naysabur pour retourner à son pays, le Sijistan en l’année quarante (340). On voyageait vers lui pour entendre ses livres ».

Abû Bakr al Khatîb al Baghdâdî (m.463 H) a dit : « Ibn Hibban était digne de confiance, noble, vif d’esprit » ».

L’Imâm Ad-Dhahabî a dit dans “Siyar A’lam an-Nubalâ’” (16/96-97) dans la biographie de l’Imâm Ibn Hibbân (270-354 H), sur ceux qui l’avaient critiqué par pure ignorance : « Abû Ismâ‘îl al Ansârî (m.481 H) a dit : « J’ai entendu le prédicateur Yahyâ ibn ‘Ammâr (m.422 H), et je l’ai questionné concernant Ibn Hibbân. Il dit : Nous le fîmes sortir du Sijistân, il avait énormément de savoir, et il n’y avait plus grand que lui dans la religion, il vint à nous et rejeta la limite concernant Allâh, donc nous l’expulsâmes [de la région] ».

Je dis (Ad-Dhahabî) : Votre rejet de sa personne est une innovation également, et s’aventurer dans cela fait partie de ce qu’Allâh n’a pas autorisé. Et aucun texte n’a confirmé ceci, ni ne l’a nié et « Fait partie du bon islâm que l’homme délaisse ce qui ne le concerne pas »*,  et Allâh est exempt d’être limité ou décrit par autre que ce par quoi Il s’est décrit Lui-Même, ou par autre que ce qu’ont enseigné Ses envoyés, dans la signification que Lui a voulu, sans semblable et sans « comment ». {Nul chose n’est comme Lui, et Il est l’Audient, le Voyant} (S.42/V.11) ».
* Hadîth authentique rapporté par Tirmidhî (n°2317) et Ibn Mâjah (n°3976) d’après Abû Hurayra.

Dans son “Mîzân Al-I’tidâl” (3/507) il relate encore une fois l’histoire de l’expulsion d’Ibn Hibbân pour avoir rejeté la limite concernant Allâh et cette fois-ci ajoute : « Je dis (Ad-Dhahabî) : Et l’être limité est une création, Allâh est exempt de cela ».

Le grand Hâfiz Abû Bakr al Khatîb al-Baghdâdi (m.463 H) a dit dans “Al Kalâm ‘alâ as Sifât” (pp. 19-24) : « Quant à la parole sur les Attributs, qui ont été rapporté dans les traditions authentiques, la voie des Salafs est de les affirmer et de les transmettre tels qu’ils sont apparents [textuellement], et de nier le « comment » et l’assimilation à Leur sujet. Un groupe a nié les Attributs, et a démenti ce qu’Allâh a affirmé, et un autre groupe parmi ceux qui ont affirmé les Attributs les ont corrigé mais sont sortis dans cela vers une manière de faire ressembler et en attribuant une modalité, le but est donc de cheminer dans la voie du milieu entre ces deux groupes. La religion d’Allâh est entre l’exagération et le laxisme à son égard. La base dans cela est que la parole sur les Attributs est une branche de la parole sur Son Être, nous prenons exemple sur cela car il est connu que l’affirmation du Seigneur de l’Univers est l’affirmation de l’existence et non l’affirmation d’un « comment », ainsi l’affirmation de Ses Attributs est l’affirmation de Leur existence et non l’affirmation du « comment » et de la limite à Leur sujet. Ainsi nous disons : Allâh a « Main », une Ouïe, et Vue, ce sont des Attributs qu’Allâh a affirmé pour Lui-Même, et on ne dit pas que la signification de « Main » c’est la force, ni que la signification de l’ouïe et la vue est la science. Et nous ne disons pas non plus que ce sont des organes/membres. On ne les assimile pas aux mains, aux ouïes, et aux vues qui sont des organes/membres et des dispositifs pour l’action.  Mais nous disons qu’il nous est obligatoire de les affirmer (…) ».
Et dans son “Al Jâmi‘ li akhlâq ar Rawî wa Âdâb as Sâmi’” (2/147) il dit : « Que le savant du hadîth s’abstienne dans ce qu’il transmet de tout ce que les intelligences des gens du commun [al ‘awâm] ne peuvent supporter, dans la mesure où il ne peut s’assurer que ne surgissent erreurs et pensées illusoires chez ces derniers et qu’ils ne conçoivent une ressemblance entre Allâh et Sa création, et qu’ils ne Lui attribuent ce par quoi il est impossible de Le décrire. Cela, comme les récits relatifs aux Attributs dont le sens apparent impliquerait la ressemblance

[tashbîh]

, l’attribution corporelle [tajsîm], ou l’attribution de membres ou d’organes à l’Éternel, le Préexistant, et cela, même si ces récits étaient authentiques, interprétables et supporteraient divers angles d’étude. Car en vérité pour ceux-ci il incombe qu’ils soient transmis à ceux qui s’y dédient, de peur que ne soient égarés par eux les ignorants de leurs significations, les interprétant alors selon leur sens apparent, les refusant, les repoussant, ou en déclarant menteurs leurs transmetteurs et rapporteurs ».


L’imâm al-Khatîb al-Baghdâdî était un théologien, exégète, historien, juriste, spécialiste du hadîth, grammairien, il était auparavant hanbalite (en fiqh et en ‘aqida mais avec un certain sectarisme), avant de devenir shafiite et asharite. 

L’imâm Ad-Dhahabî dit dans “Siyar A‘lâm an-Nubalâ’” (18/270) : « L’imâm, l’incomparable, l’illustre, le Muftî, le Hâfiz, l’examinateur, le traditionaliste [muhaddith] de son temps, Abû Bakr Ahmad ibn ‘Alî ibn Thâbit ibn Ahmad ibn Mahdî al Baghdâdî, l’auteur des ouvrages, le sceau des mémorisateurs [khâtimah al huffâz] ».

Ibn Hajar dans son “Nuzhah Al-Nathr” fait aussi son éloge et vante ses mérites surtout dans la science du hadith et son influence sur les auteurs venus après lui.

L’imâm Taqî ad Dîn Ibrâhîm ibn Muhammad as Sarîfînî al Hanbalî (m.641 H) a écrit dans “al-Muntakhab min kitāb as-Siyāq li-tárikh an Naysabur” (1/112) : « 236 – Ahmad ibn ‘Alî ibn Thâbit ibn Ahmad ibn Mahdî, Abû Bakr al Khatîb al Baghdâdî, le Hâfiz, l’imâm dans l’art, unique en son temps dans la mémorisation. Il était Ash’arite de doctrine, avait un bon énoncé et argumentation, une expression authentique, une bonne écriture, lecture, compréhension et mémorisation. Il décéda en au mois de Dhu al Hijja de l’année 463 ». Il était donc une référence, aussi bien dans le fiqh hanbalite et le fiqh shafiite, que dans les sciences du hadîth, l’histoire et la théologie.

L’illustre théologien Ash’arite, Al Imâm Abû Bakr Al Bâqillânî (m.403 H) a dit dans son “Al Insâf fîmâ Yajib It Tiqâduh wa Lâ Yajûz Il Jahl” (pp. 39-40) : « Il est un devoir de savoir que le Seigneur (qu’Il soit exalté) est exempt de tout ce qui indique l’entrée en existence ou un quelconque défaut. Ainsi, Il est exempt (qu’Il soit exalté) de la caractérisation par les directions, d’être qualifié par les caractéristiques de ce qui entre en existence, Il n’est pas caractérisé non plus par le changement et le déplacement, ni la position debout, ni la position assise en raison de Sa parole : «Rien n’est tel que Lui» [Surate 42 – Verset 11], et en raison de Sa parole : «Il n’a point d’équivalent  [Surate 112 – Verset 4]. Car les attributs précédemment cités indiquent l’entrée en existence et Allâh (qu’Il soit exalté) est exempt de tout cela ».
Il dit aussi dans le même ouvrage : « Nous ne disons pas que le Trône est un lieu d’établissement ou un endroit pour Allâh car Allâh ta’âlâ existe de toute éternité alors qu’il n’y a pas d’endroit de toute éternité. Lorsque les endroits ont été créés par Lui, Il n’a pas changé par rapport à ce qu’Il est de toute éternité » (p. 40) et « Allâh ta’âlâ n’est pas attribué par les directions, et certes Il n’est pas dans une direction » (p. 177).

Al-Qurtûbî a dit dans “Jâmi` li Ahkâm Al Qur’ân” (7/220) : « L’élévation d’Allâh et le fait qu’Il ait pris de la hauteur sont des expressions de l’exaltation de sa Majesté, de Ses Attributs et de Son Royaume ; c’est-à-dire: il n’y a rien de supérieur à Lui ou qui rivalise avec Lui dans Sa Majesté, ni quiconque partageant avec Lui Son élévation; plutôt, il est Le Plus Haut sans aucune réserve, puisse-t-Il être loué ».

Dans le même ouvrage (1/381) il dit aussi : « Certains ont dit : Nous les lisons, nous y croyons et nous ne les expliquons pas » , et c’est ce qu’ont choisi la plupart des Imâms. Un exemple de cela est ce qui a été rapporté de Mâlik, lorsqu’un homme l’interrogea au sujet du verset {Le Tout Miséricordieux au-dessus du Trône s’est Istawâ’}. Il répondit : « L’istiwâ n’est pas inconnu, le comment est inconcevable, y croire est obligatoire et questionner à ce sujet est une innovation, et je vois que tu es quelqu’un de mauvais ! ». Mâlik a dit : L’Istiwâ est connu, c’est à dire, dans la langue arabe, et la modalité (parmi les sens auquel renvoie le terme) est ignoré, et questionner à propos de cela est une innovation. » Ainsi a parlé Umm Salama. Et cela est suffisant. Et quiconque souhaite plus de détails peut se référer aux chapitres pertinents dans les livres des savants ».
(…).
Et il le fit sortir.

D’autres ont dit : Nous les lisons et nous les expliquons selon ce que contient leur sens apparent dans la langue. Et ceci est la parole des assimilateurs ».
Et «Istiwâ’» dans la langue des arabes peut avoir différentes significations comme l’élévation  et l’établissement.
Al-Jawharî (célèbre savant de la langue arabe) a dit : « se redresser (istawâ’) après avoir été tordu ; il s’est istawâ sur le dos de son animal, c’est à dire l’assise ; il s’est orienté (istawâ) vers les cieux c’est à dire de l’aspiration (la préoccupation, la volonté) ; il s’est établi (istawâ) c’est-à-dire istawlâ (dominer et conquérir) il a dit : «Bishr a dominé (istawâ) l’Iraq sans recourir à l’épée ni verser de sang» ; et un homme s’est établi (istawâ) c’est-à-dire : la période de sa jeunesse est terminée ; et quelque chose s’est redressée lorsqu’elle devient droite, symétrique ou équilibrée » (Al-Qurtûbî le cite dans le même ouvrage).

L’imâm Makkî ibn Abî Tâlib al Malikî al Qayrawanî m.434 H a dit dans “al Hidâyat ilâ Bulûgh an Nihâyat” (1/690) : « Sa Parole : « Puis Il s’est Istawâ vers le ciel » :
At Tabarî [m.310 H] ainsi que d’autres ont choisi d’interpréter l’Istawâ dans le sens d’Élévation. Comme cela est compris dans la langue arabe.
Je dis [Makkî ibn Abî Tâlib] : Et L’Élévation dans ce sens ne veut pas dire qu’Allah s’est Élevé alors qu’Il était en bas vers une hauteur, et ce n’est pas une Élévation par le déplacement d’un endroit à un autre, ni une Élévation par le mouvement, Allah notre Seigneur est exempt de tout cela. Il n’est pas permis de Le décrire par quoi que ce soit de cela car cela implique la contingence [al hudûth] pour Celui qui est décrit par cela »
.
Le Qâdî Abû Bakr ibn al-‘Arabî al-Mâlikî – m.543 H dans son commentaire du Jâmi‘ al-Tirmidhî qui s’intitule “`Ârida al-Ahwadhî” (2/234-237) a écrit : « Ce que nous devons professer est qu’Allâh est (Réel) et que rien n’est avec Lui; qu’Il a créé toute la création, y compris le Trône, sans qu’Il n’ait changé par rapport à elle (la création), ni assujetti à la direction à travers elle, ni obtenu un endroit en elle; qu’Il ne s’incarne pas, qu’Il n’a pas cessé d’être Transcendant, qu’Il ne se transforme pas, et qu’Il ne change pas d’un état à un autre.
Istiwâ’ dans la langue arabe a 15 significations littérales et métaphoriques. Certaines de ces significations conviennent pour Allah et la signification de ce verset [S.24/V.4] est dérivée d’elle. Les autres significations ne sont pas acceptées sous aucune circonstance. Par exemple, s’il est pris dans le sens d’être fixé dans un endroit [tamakkun], d’établissement [istiqrâr], relié [ittisâl], ou être délimité [muhâdhât]; alors aucune d’entre elles ne conviennent pour le Créateur et personne ne devrait chercher à L’assimiler à Sa création.
On peut s’abstenir d’expliquer ces versets, comme Mâlik et d’autres ont dit : L’istawâ’ est connu : c’est-à-dire son sens dans la langue. Et le comment : c’est à dire le comment de ce que veut Allah dans ce qui est permis pour Lui parmi les significations de « Istawâ’ » est inconnue. Ainsi qui peut donc la déterminer ? Et questionner à son propos est une innovation car comme nous l’avons éclairci, investir à ce sujet c’est rechercher des choses ambiguës et donc solliciter la fitna [trouble].
Par conséquent, d’après ce que Mâlik a dit, on peut conclure que l’istawâ’ est connu; que ce qui s’applique pour Allah est indéterminé, et qu’Il transcende ce qui est inconcevable pour Lui ».

Ainsi, les termes « sur », « au-dessus » ou « au-delà de », lorsqu’ils sont appliqués à Allâh, ne signifient pas une position ou une direction d’ordre physique, mais plutôt des qualificatifs renvoyant à Sa Transcendance, c’est-à-dire qu’Il est bien « au-dessus » des modalités et conditions physiques de l’existence créée, et qu’Il transcende toute Sa Création, ne s’y incarnant pas et n’y étant pas localisé ou modalisé comme le sont les créatures.

L’Imâm ad-Dhahabî a écrit dans “Siyar A‘lâm al-Nubalâ’” (17/554-555-558-559) dans la biographie du Hâfiz Abû Dharr al Harawî al Ash’arî (355-434 H)  : « Le Hâfiz, l’imâm, le savant du Tajwîd [de la récitation du Qur’ân], l’illustre, le Shaykh de l’enceinte sacrée, Abû Dharr, ‘Abd ibn Ahmad ibn Muhammad ibn ‘Abd Allah ibn Ghufayr ibn Muhammad, connu dans sa contrée par Ibn as Sammâk, al Ansarî, al Khurasânî, al Harawî, al Mâlikî. Il est l’auteur d’ouvrages, et le rapporteur du Sahîh al Bukhârî selon trois personnes : Al Mustamlî (m.376 H), Al Hamawî (m.381 H), et al Kushmâhanî (m.389 H)[i].

« Abû al Walîd al Bâjî (m.478 H) a dit dans son livre “Ikhtissâr firaq al fuqahâ’” en parlant du Qâdî ibn al Bâqillânî (m.403 H) : « Le shaykh Abû Dharr m’avait informé, qu’il cheminait vers sa voie, je lui ai donc demandé : D’où tiens-tu cela ?

Il dit : Je marchais à Baghdâd avec le Hâfiz ad Dâraqutnî (m.385 H), lorsque nous avons rencontré Abû Bakr ibn Tayyib al Bâqillânî, le Shaykh Abû al Hassan ad Dâraqutnî alla à sa rencontre et embrassa son visage et ses yeux.  Lorsque nous nous furent séparés, je lui dis alors : Qui est celui à qui tu as fait ce que je n’aurais pas cru que tu fasses, toi qui es l’imâm de ton temps ?

Ad-Dâraqutnî répondit : Il est l’imâm des musulmans, Le défenseur de la religion, c’est le Qâdî Abû Bakr Muhammad ibn Tayyib.

Abû Dharr a dit : « Depuis ce moment qui s’est répété avec mon père, toute contrée où je suis entré parmi les régions du Khurasân et les autres, on ne désignait comme faisant partie des gens de la Sunnah que ceux qui étaient sur sa voie et son chemin ».

Je dis (Ad-Dhahabî) : C’est lui qui à Baghdâd, représentait la Sunnah et la voie du hadîth par le débat et l’argumentation, en présence des têtes des Mu‘tazilites, Rafidhites, Qadirites, et toutes sortes d’innovateurs. Ces derniers avaient un état et se sont manifestés avec l’état des Buwayhites. Il réfutait les Karramiyah, défendait les Hanbalites, Il y avait entre lui et les gens du hadîth une entente prospère, même s’ils divergeaient sur de minutieuses questions, c’est pour cela que ad-Daraqutnî l’a traité avec profonde estime.
Il a même écrit un livre nommé “Al Ibânah” où il dit dedans : « S’il est dit : Quelle est la preuve qu’Allâh a « litt : Face » et « litt : Main » ?

Nous répondons : Sa parole {Ce que j’ai créé de « litt : Mes Mains »} (S.38/V.75) et : {Seul subsistera le Wajh « litt : Face » de ton Seigneur} (S.55/V.17). Donc Allâh a affirmé pour Lui-Même qu’Il a « litt : Face » et « litt : Main ».

Et s’il est dit : Dites-vous qu’Allâh est partout ?

Nous répondons : Qu’Allâh nous donne refuge !  Il est plutôt «mustawi» au-dessus de Son Trône comme Il l’a informé dans Son Livre (…) jusqu’à ce qu’il dise : les Attributs de Son Être qui sont perpétuels et Il ne cesse d’être qualifié par : la Vie, la Science, la Puissance, l’Ouïe, la Vue, la Parole, la Volonté, la «litt :  Face», les «litt : Deux Mains», les «litt : Deux Yeux», la Rigueur», la «Satisfaction». Ceci est ce qu’il a cité. Et il a dit quelque chose de semblable dans son livre “At-Tamhîd”, et dans le livre “Adh-Dhâb ‘An al-Ash‘arî” où il a dit : « Nous avons expliqué la religion de la communauté et des gens de la Sunnah, que ces Attributs sont laissés tels qu’ils sont parvenus sans « comment », ni limite, sans donner de nature, ni (de) représentation ».

Je dis (Ad-Dhahabî) : Cette méthodologie est la voie des Salafs, et c’est celle que Abû al Hassan al Ash‘arî (m.324 H) et ses compagnons ont éclairci, et c’est la soumission aux textes du Qur’ân et de la Sunnah, et c’est sur quoi étaient al Bâqillânî (m.403 H), ainsi que ibn Fûrak (m.406 H), et les grands jusqu’à l’époque de Abû al Ma‘âlî al Juwaynî (m.478 H), puis l’époque de Abû Hâmid al Ghazâlî (m.505 H), puis par la suite il s’est produit des divergences et d’autres sortes, nous demandons à Allâh le pardon.

Abû Dharr al Harawî a un livre sur les Attributs du même type que le livre de Abû Bakr al Bayhaqî (m.458 H) avec des « nous a rapporté, nous a informé » [chaînes de transmissions].

Al Hassan ibn Baqî al Mâliqî a dit : Un shaykh m’a rapporté : Il a été dit à Abû Dharr : « Toi Harawî ! D’où est ce que tu t’es conformé à l’école de Mâlik et de Abû al Hassan al Ash‘arî ? »

Il répondit : « Je suis allé à Baghdâd. » Et il a cité l’équivalent de ce que nous avons précédemment dit sur Ibn Tayyib. Puis il conclut : « J’ai donc suivi son école » ».

Nombreux sont ceux qui ont fait l’éloge du Hafiz al-Baqillânî (spécialiste de la ‘aqida, du fiqh malikite, de la langue arabe, de la grammaire, de la logique, de la rhétorique, de la poésie, de la philosophie, du hadîth, du Qur’ân et de l’exégèse qûranique, de la vie des salafs, des fondements du droit et de la religion, – ussûl al fiqh et ussûl ad-Dîn -, et sans doute aussi instruit dans les mathématiques, la médecine et l’astronomie étant donné qu’il débattait aussi avec des non-musulmans sur le Créateur et Sa Création).
Al-Qâdî ‘Iyâd a dit à son sujet dans “Tartîb al-Madârik”: « Il est surnommé le Shaykh de la Sunnah et le porte-parole de la Ummah (Lisânou l-Ummah), il était un spécialiste de la doctrine dans le madhhab qui comporte les preuves décisives, et de parmi les gens du hadîth ». Et il le considérait comme le Mujaddîd du 4ème siècle hégirien.
Dans le même ouvrage, il cite les propos d’autres sommités à son sujet :

« Le Hâfiz Ad-Dâraqutni a dit de lui : « Il est le soutien de la Sunnah et il a maitrisé les Mu’tazilah ». (…). Ibn Jahdam disait de lui : « Il était le Shaykh de son temps, le savant de son époque, celui vers qui l’on revenait lorsqu’il y avait un litige avec autre que lui ». (…) Abû ‘Imrân al-Fâssi a dit à son sujet : «Il est l’épée d’Ahlu s-Sunnah de son époque, l’Imâm des savants spécialistes de la doctrine de parmi les gens de la vérité de son temps». (…) Ibn ‘Ammâr Al-Mayurqi disait de lui : «Il est surnommé le Shaykh de la Sunnah et le porte-parole de la Ummah (Lisân ul-Ummah)» ; il a dit également : «Il était l’une des forteresses des musulmans et les gens de l’innovation (ahlu-l bida’) n’ont jamais connu plus grande joie que celle qu’ils ont ressenti au moment de sa mort».
Salâh ud-Dîn As-Safadi a dit à son sujet dans “Al-Wâfî bi l-Wafayât” : « Il n’avait pas d’égal à son époque ».

Al-Yâfi’i a dit de lui dans “Mir-at ul-Jinân” : « Sayf us-Sunnah (l’épée de la Sunnah), le soutien de la religion, le grand Imâm, le célèbre érudit, le porte-parole des spécialistes de la théologie, celui qui disposait des arguments incontestables, celui qui a maitrisé les innovateurs [dans la doctrine] celui qui a réfuté les mensonges », il a dit également de lui : « Il est un spécialiste des fondements religieux (usûli), un spécialiste de la théologie (mutakallim), un Mâliki, un Ash’ari, le Mujaddid (revivificateur) de la religion du quatrième siècle, selon l’avis authentique (sahîh) ».
L’Imâm As-Suyûtî le considère également comme l’un des trois possible Mujaddid du quatrième siècle hégirien dans sa Qasîdah “Tuhfatu l-Muhtadîn”.


As-Sam’âni a dit dans “Al-Insâb” : « Il était unique en son temps, incomparable dans l’intelligence, la mémorisation, et dans le fait de réfuter (vaincre) ses adversaires ».


Ad-Dhahabi a dit de lui dans son “Siyar A’lâm an-Nubalâ” dans sa biographie : « L’Imâm, l’illustre savant (Al-‘Allâmah), l’incomparable spécialiste de la théologie (moutakallim), le spécialiste des fondements religieux surpassant les autres, le Qâdî (…) Il faisait preuve d’une forte compréhension et d’intelligence (…) il était surnommé « Sayf us-Sunnah » (l’épée de la Sunnah) (…) Ibn Al Bâqillânî est l’auteur de nombreux ouvrages qui témoignent de sa perspicacité et de son intelligence ».

Ibn Taymiyya a dit de lui qu’il était « Le meilleur des théologiens ash’arites et sans égal, aussi bien parmi ses prédécesseurs que ses successeurs » (mentionné dans “Shadharât Udh Dhahab” de l’Imâm Ibn Al ‘Imâd).

Al Qâdî Shams ud-Dîn Ibn Khallikân a dit également sur lui dans son “Wafayât ul A’yân” : « Al Qâdî Abû Bakr Muhammad Ibn At Tayyib Ibn Muhammad Ibn Ja’far Ibn Al Qâsim, surnommé Al Bâqillânî et natif de Bassora, fut un célèbre théologien. Il professait le credo du Shaykh Abu-l-Hasan Al Ash’arî et fut un inébranlable adepte et partisan de ses opinions. C’est ainsi qu’il présida l’école ash’arite. Il résidait à Baghdâd et composa un grand nombre d’ouvrages dans le domaine de la théologie mais aussi sur d’autres sujets. En matière de savoir, il était sans rival. Il obtint une renommée immense grâce à son talent et ses succès dans sa recherche de la vérité, grâce à la facilité dans ses réponses et à la quantité de ahâdîth qu’il recueillit ».

Il était profondément admiré par les hanbalites de Baghdâd bien qu’il eût été la principale autorité ash’arite de son époque. Lorsqu’il mourut, le Shaykh des hanbalites (qui était atharite, donc proche de l’asharisme) et Al Bâqillânî étaient amis depuis plusieurs années. Abû-l-Fadl At Tamimî se rendit pieds-nus à ses funérailles avec d’autres personnes de son école et ordonna à un héraut d’ouvrir le cortège en criant : « Voici le secours de la Sunnah et de l’Islâm ! Voici l’Imâm des Musulmans ! Voici le défenseur de la Sharî’ah ! Voici celui qui rédigea 70 000 feuillets ! ». Il fut d’ailleurs enterré près de la tombe de l’Imâm Ahmad Ibn Hanbal et sa tombe fut un lieu de visite, de recherche de bénédictions (possédant les Bénédictions Divines, en cherchant la Barakâ d’Allâh et sans adorer le défunt) et de demande de pluie.

On trouve des paroles injustes de la part d’Ibn Taymiyya concernant les asharites et l’asharisme aussi bien que des paroles élogieuses. Il dira dans son “Al-Istiqâma” (1/81-83) à propos de l’asharisme :

« Et ce credo :

– sa plus grande partie est conforme aux doctrines des Salaf et des Ahl us-Sunna wa-l-Jamâ’ah,

– cependant il fait un manquement par rapport à cela, et implique :

– un délaissement d’une partie de ce sur quoi ils [les Salaf] étaient,

– ainsi qu’un rajout contredisant ce sur quoi ils étaient ». Or, après vérification, les asharites traditionnels se sont bien conformés à la ‘aqida de nombreux salafs tels que l’imâm ‘Alî, Zayn ul Abidîn, Jâ’far As-Sâdiq, l’imâm Abû Hanifa, l’imâm As-Shafi’î, Ibn Kullâb (bien que certains points subtils fassent l’objet de divergence, il fut considéré comme un imâm de la Sunnah, et al-Bukharî fut globalement kullabite comme dans la ‘aqida comme le rapporte Ibn Hajar al ‘Asqalânî dans son “Fath ul Bâri”), l’imâm Ahmad, At-Tahâwî, al-Harith al-Muhasibî (avant de le connaitre, l’imâm Ahmad le critiqua, mais lorsqu’il l’entendit de lui-même, il se repenti et reconnut sa grande science et sa grande piété, comme le rapportent Ad-Dhahâbî et As-Subkî).
Voici le récit de la première fois que l’Imam Ahmad a entendu al-Muhasîbî parler directement, raconté par le Hafiz al-Khatib al-Baghdadî dans son “Tarîkh Baghdâd” (8/214) : « Ahmad ibn Hanbal n’aimait pas les explications de al-Harith dans la science du kalâm de même que les livres qu’il éditait. Fréquemment, il mettait les gens en garde contre al-Harith. Muhammad ibn Ahmad Yaqub appris de Muhammad ibn Nu`aym al-Dabbi: J’entendis l’Imam Abû Bakr Ahmad ibn Ishaq – al-Sibji – dire: J’entendis Isma`il ibn Ishaq al-Sarraj dire: «Ahmad ibn Hanbal me dit un jour: J’ai appris que ce Harith est souvent chez toi. Qu’en est-il si tu m’invitais et me plaçais quelque part où je pourrais l’entendre sans être vu ? » Je répondis : « Certainement, O Abû `Abd Allâh! » et j’étais content de ce premier pas de sa part. Je partis et je demandai à al-Harith de venir nous visiter cette même nuit comme ses compagnons y seront aussi. « O Isma`il, ils sont nombreux, par conséquent tu ne leur serviras que de l’huile et des dattes, et seulement ce que tu peux ». Je suivis ses instructions et je partis informer Abû `Abd Allah. Il vint après Maghrib, alla s’installer dans une petite chambre là-haut et commençai à réciter ses dévotions usuelles (wird). Al-Harith et ses compagnons arrivèrent, mangèrent, et se levèrent pour prier salat al-`isha, et ils ne prièrent pas après cela. Ensuite, ils s’assirent silencieusement devant al-Harith et ne dit aucun mot jusqu’au milieu de la nuit. L’un d’eux alors posa une question à al-Harith et celui-ci commença à parler. Ses compagnons l’écoutèrent comme s’ils avaient peur d’effrayer un oiseau. Certains pleuraient. D’autres poussaient des petits sanglots au fur et mesure qu’il parlait. Je partis alors dans la chambre pour voir Abû `Abd Allah et le trouvai évanoui à force d’avoir pleuré. Je redescendis. Ils continuèrent ainsi jusqu’au matin où ils se levèrent et s’en allèrent. Je retournai là-haut voir Abu `Abd Allah. Il avait changé. Je lui demandai : « Que penses-tu maintenant de ces gens ? » Il dit : « En ce qui me concerne, je n’ai jamais vu leur pareil, ni entendu sur la Science des Réalités (`ilm al-haqa`iq) des mots comme ceux prononcés par cet homme ».
L’imâm As-Subkî en parle plus longuement dans son “Tabaqat al-shafi’iyya”(2/279), et apporte les éclaircissements à l’incompréhension de Ad-Dhahâbî sur ce passage. Ad-Dhahâbî émit des critiques (sur la raison pour laquelle l’imâm Ahmad ne pria pas avec eux), mais faibles, sans remettre toutefois en question l’authenticité du récit. Il dit dans “Mizan al-I’tidal” (1/430 n°1606) : « La chaîne de transmission de cette histoire est fiable, mais le rapport en lui-même est rejeté, car mon coeur ne l’accepte pas. Je ne pense pas que Ahmad puisse faire chose pareille », en parlant du fait que l’imâm Ahmad aurait dû prier avec eux et non pas s’éloigner d’eux, mais l’explication pourrait être qu’il avait déjà prié avant eux, ou qu’il n’avait pas ses ablutions et qu’il s’était donc éloigné pour les prendre là où il y avait de l’eau ou une pierre.
Concernant Ibn Kullâb, il fut un salaf, connaisseur du Qur’ân, de la Sunnah, de la logique, de la théologie, de la jurisprudence et de la rhétorique et de la langue arabe. Comme bien d’autres salafs (tels que l’imâm Ahmad, As-Shafî’i, Abû Hanifa et d’autres) il ne fit pas toujours l’unanimité, mais les gens de science le citent comme une référence dans de nombreux domaines (à l’instar des autres salafs précédemment mentionnés).
Le Hâfiz Abû al-Qâsim Ibn `Asâkir al-Dimashqî a dit dans “Tabyîn kadhib al-muftarî” (pp. 405-407) : «J’ai lu des écrits de la main de `Alî b.Baqâ al-Warrâq, le muhaddîth égyptien, une lettre que Abû Muhammad `Abdallâh b. Abî Zayd al-Qayrawânî (m.386 H), le grand juriste mâlikite, et il était le représentant (muqaddam) des compagnons de Mâlik au Maghreb à son époque – a écrit à `Alî b. Ahmad b. Ismâ`îl Al-Baghdâdî le mu’tazilite ; répondant à une lettre que ce dernier avait écrit aux mâlikites de Al-Qayrawân. Il (Al-Baghdâdî) énumérait ses conseils qui les firent embrasser la doctrine des gens de l’i`tizâl (mu’tazilisme), et il cita la lettre dans son intégralité, dans une épître qui est connue, et parmi la réponse que Ibn Abî Zayd lui a faite, il y a : « Tu as attribué l’innovation à Ibn Kullâb puis tu n’as cité aucune parole de lui qui puisse le légitimer. On ne connait personne qui attribue l’innovation à Ibn Kullâb, tout ce qui nous est parvenu est que Ibn Kullâb suivait la Sunnah avec fermeté et s’occupait de la réfutation des Jahmites ainsi que d’autres parmi les gens de l‘innovation ! Puis tu as mentionné Al-Ash’arî et lui a attribué la mécréance et tu as dit qu’il était célèbre pour sa mécréance, or cela, nous n’avons entendu personne le qualifiant de mécréant à part toi, et tu n’as pas mentionné ce à cause de quoi il aurait mécru, et comment serait célèbre pour sa mécréance quelqu’un dont aucun savant ne lui a attribué la mécréance ? Ni de son époque ni celle d’après, et tu as dit aussi qu’il est venu à Bagdad sans approcher aucun Malikite ou du clan des Hammâd Ibn Zayd, parce qu’il savait qu’ils le considéraient mécréant, mais tu n’as pas mentionné quelle est cette chose pour laquelle ils l’auraient excommunié ». Puis Ibn Abî Zayd a mentionné le dénigrement du Mu’tazilite envers Al-Ash’âri à propos de la question de la prononciation et ce qui est prononcé [du Qur’ân], ensuite Ibn Abî Zayd a dit comme réponse au Mu’tazilite : «Et lorsque le lecteur récite le livre d’Allâh, s’il était permis de dire que les paroles de ce lecteur sont la Parole d’Allâh de manière réelle, cela serait faux car les paroles du lecteur sont créées et s’anéantissent et disparaissent alors que la Parole d’Allâh est incréée et ne disparaît pas, et c’est un Attribut parmi Ses Attributs, et Son Attribut ne peut être l’attribut d’un autre, et ceci est l’avis de Muhammad Ibn Isma’îl Al-Bukhârî (m.256 H) et Dâwud Al-Asbahânî (m.270 H) et d’autres parmi ceux qui ont parlé de ça, et l’avis de Muhammad Ibn Sahnûn (m.256 H) l’Imam du Maghreb, et l’avis de Sa’îd Ibn Muhammad Ibn Al-Haddâd (m.302 H), et il était l’un des Mutakalimîn (théologiens) parmi les gens de la Sunnah et de ceux qui réfutaient les Jahmites»». Cependant, des ignorants extrémistes firent bien le takfir de l’imâm Al Ash’arî et des asharites, par pure ignorance, et ne se rendant pas compte qu’ils ont de ce fait, fait le takfir de nombreux salafs chez qui puise l’asharisme, et contredisent également les preuves qûraniques, prophétiques, logiques et rationnelles sur lesquelles se basent les asharites. Quelques savants respectables tombèrent aussi dans un jugement injuste à leur égard, mais soit à causes des rumeurs infondées à ce sujet, soit en comprenant de travers les propos de certains asharites ou du credo asharite, soit à cause de certains excès de quelques asharites des générations postérieures.

Ibn Hajar al ‘Asqalânî qui dit dans “Fath ul Bârî” concernant al-Bukharî : « Concernant les questions de théologie, il se référait essentiellement à Al Karâbîsî, Ibn Kullâb et ses semblables ».

Tâj ud-Dîn As Subkî a dit dans “At Tabaqât” : « Ibn Kullâb fait clairement partie des Ahl Us Sunnah […] J’ai vu l’Imam Diyâ Ud Dîn Al Khatîb, le père de l’Imâm Fakhr Ud Dîn Ar Râzî et qui mentionne ‘Abdu Llâh Ibn Sa’îd [Ibn Kullâb] dans le dernier passage de son livre “Ghâyat ul Marâm fî ‘Ilm Il Kalâm” (Le but extrême dans la science du kalâm) en disant : «Parmi les mutakallimîn des Ahl Us Sunnah vivant à la période d’Al Ma’mûn, il y a ‘Abdu Llâh Ibn Sa’îd [Ibn Kullâb] At Tamîmî qui a anéanti le mu’tazilisme dans l’assemblée d’Al Ma’mûn et leur a infligés l’ignominie par ses discours d’une limpidité impressionnante » ».

Ibn Al Qâdî Shuhbah a dit dans “Tabaqât Ush Shâfi’iyyah” : « Il fait partie des plus grands théologiens et des Ahl Us Sunnah. Telle est sa voie ainsi que celle de Al Hârith Al Muhâsibî que Abul Hasan Al Ash’arî a suivi »

Jamâl Ud Dîn Al Asnawî a dit à son sujet dans “Tabaqât us-Shâfi’iyyah” : « Il fait partie des plus grands théologiens et figurait parmi les Ahl Us Sunnah […] Al ‘Ubâdî l’a cité dans la biographie de Abû Bakr As Sayrafî en disant : « Il fait partie de nos compagnons théologiens ».

Le Shaykh Shu’ayb Al Arna’ût annota cette parole dans “Al Milal wa an Nihal” en disant : « Il était l’Imâm des Ahl us Sunnah de son époque, il était son point de ralliement (à la sunnah), et l’Imâm Al Haramayn l’a également décrit dans son livre intitulé “Al Irshâd” comme étant parmi nos compagnons ». [Al Imâm Abul Hasan Al Ash’arî] était alors, après son retour du mu’tazilisme dans la doctrine de ‘Abdu Llah Ibn Kullâb, de Al Qalânisî et Al Muhâsibî, et tous ceux-là sont dans la voie des Salaf et de la Sunnah »

Al Imâm Muhammad As Shahrastânî dans son “Al Milal wa an Nihal” a dit en parlant de l’Imâm Ibn Kullâb et des Imâms Al Qalânisî et Al Muhâsibî : « Ils ont soutenu la doctrine des Salafs grâce à des preuves théologiques et des évidences intellectuelles. Certains parmi eux écrivirent et d’autres enseignèrent ».

Al Qâdî ‘Iyâd Al Mâlikî (m.544 H) a dit dans “Tartîb al Madârik Wa Taqrîb al Masâlik Li Ma’rifat a’lâm Madhab Mâlik” (tome 5, pp 24-25-26) en parlant d’Al Ash’arî : « (…) Quand ses livres se multiplièrent, que sa parole fut bénéfique, et que sa défense de la religion fut apparente aux gens du hadith et de la jurisprudence, les gens de la Sunnah se rattachèrent à ses livres, prirent de lui, étudièrent chez lui, et se sont instruis sur sa méthode. Ses élèves et suiveurs se multiplièrent pour apprendre ses méthodes, il simplifia les argumentations et les preuves de la défense de la religion. Ils se sont appelés par son nom, et ses suiveurs et élèves l’ont succédé. Ils furent reconnus pour cela, mais ils étaient connus avant par « ceux qui affirment » [muthbita]. Les Mu’tazilites les reconnaissaient par ce nom, car ils ont affirmé de la Sunnah et de la législation ce que eux ont nié. Par ce nom, premièrement, les imams de la défense de la Sunnah étaient reconnus des gens du hadith, comme al Muhâssibî, Ibn Kullâb, ‘Abd al ‘Azîz ibn ‘Abd al Malik al Makkî et al Karâbissî jusqu’à ce que vienne Abû al Hassan al Ash’arî, il s’est fait populaire par lui-même, ses élèves et étudiants furent affiliés à sa science par son origine. Donc les gens de la Sunnah de l’orient à l’occident utilisèrent ses arguments comme preuve, et sont allés vers sa méthodologie, plus d’un a fait ses éloges, ainsi que de son école et sa voie ».

Al Imâm ‘Abd ul Qâhir Al Baghdâdî a dit aussi sur l’Imâm Ibn Kullâb dans son “Usûl Ud Dîn” : 
«Parmi les autres savants du Kalâm du temps de Al Ma’mûn se trouve ‘Abdu Llâh Ibn Sa’îd At Tamîmî, qui a anéantie les mu’tazilah dans l’assemblée de Al Ma’mûn et les a choqué par l’éloquence de ses arguments et la mise en lumière de leurs égarements. Le reste de ses propos se trouvent dans ses livres. Il est le frère [du célèbre spécialiste du hadîth] Yahyâ Ibn Sa’îd Al Qattân, qui est l’héritier de la science du hadîth et le spécialiste de la critique des rapporteurs de hadîth.
[Le juriste élève de l’Imâm As-Shâfi’î] ‘Abdu Llâh Ibn Sa’îd Ibn ‘Abd Il ‘Azîz Al Makkî Al Kattânî figure parmi ses disciples. Il détruisit (intellectuellement) également les mu’tazilah dans l’assemblée de Al Ma’mûn.
Parmi les autres savants du Kalâm figure également un autre de ses disciples, Al Husayn Ibn Al Fadl Al Bajalî, le maître du Kalâm, des ‘Usûl et du Tafsîr du Qur’ân. Les savants qui vinrent après lui s’appuyaient sur ses annotations et remarques concernant l’exégèse du Qur’ân. Il est l’un de ceux que ‘Abd ul ‘Azîz Ibn Tâhir amena avec lui dans la région du Khurâsân, ce qui amena les gens à dire : «Il transféra toute la science de l’Irâq vers le Khurâsân».
Al Junayd, le Shaykh des Sûfis et l’Imâm des Muwahhidîn (les monothéistes), figure également parmi les disciples de ‘Abdu Llâh Ibn Sa’îd. Il écrivit une épître dans le style des savants du Kalâm, mais en utilisant des expressions Sûfies »
.
Pour Ibn Taymiyya, Ad-Dhahâbî et Ibn al-Qayyîm par exemple, Al-Junayd est une référence de la Sunnah. Ainsi, Ibn Kullâb était aussi le professeur de plusieurs disciples directs d’As-Shafi’î. Concernant ‘Abd ul Qâhir Al Baghdâdî, voici ce que les savants ont dit de lui, Al Imâm ‘Abd ul Ghâfir Al Fârisî dans “As Siyâq li Târîkh Naysâbûr” : « Il vint à Naysâbûr avec son père et possédait de grandes richesses qu’il dépensa pour l’enseignement et les savants sunnites. Il n’a jamais fait de son savoir une source de profit. Il composa des épîtres dans différents domaines et surpassa ses contemporains dans toutes les branches de science, dont 17 qu’il enseignait publiquement ».

Ad-Dhahabî dans son “Siyar A’lam an Nubalâ'” dit : « Le grandiose, celui qui est sans pareil, le savant encyclopédique…Il avait l’habitude d’enseigner 17 disciplines différentes et sa lumière devint une source de poème ». Ad-Dhahâbî cita également l’avis de Abû ‘Uthmân As Sâbûnî : « Abul Mansûr est compté par consensus comme faisant partie des savants parmi l’élite des savants de la doctrine et des fondements de la religion et est une grande figure de l’Islâm ».

Al Imâm Abul Mansûr Al Baghdâdî écrivit de nombreux ouvrages dont beaucoup traitèrent de la théologie musulmane selon l’école asharite et dont l’un des plus célèbres est “Farq Bayn ul Firâq” dans lequel on peut lire qu’il a dit : « Ceux qui ont complètement maîtrisé et codifié les principes de la doctrine (les Asharites et les Mâturîdites), les mujtahîdîn des 4 écoles de la Sharî’ah et leurs disciples, les savants du hadîth qui se sont tenus à l’écart de la déviation, les savants de la grammaire arabe qui se sont tenus à l’écart de la déviation, les savants du tafsîr [du Qur’ân] qui se sont tenus à l’écart de la déviation, les sûfîs, les gens qui font le jihâd, et les masses du commun des Musulmans» ; et aussi : «Il y a consensus chez les Ahl us Sunnah qu’Allâh, Le Parfait, L’Exalté, n’est pas soumis par le lieu ».

Parmi ses étudiants, citons les brillants Imâms Al Bayhaqî, Al Qushayrî et Al Mawarzî. Quand certains savants généralisent en disant « tous les savants du hadîth, du tafsîr, de la ‘aqida, du fiqh, … » sont du même avis, cela doit être nuancé puisqu’ils n’étaient peut-être pas au courant de l’existence d’autres avis de la part de savants, ou alors ils les excluaient (injustement ou non) de ces titres nobles. Quoi qu’il en soit, cette restriction/réduction et le pseudo-consensus, on peut le trouver chez des savants asharites comme chez leurs opposants les plus fanatiques.

Même Ibn Taymiyya reconnait les mérites et les arguments de Ibn Kullâb face aux jahmites et aux mutazilites (voir “Majmû’ al fatawî”, 5/556 et 12/202), ce qui montre à quel point les anti-asharites contemporains contredisent même Ibn Taymiyya dans leurs insultes et propos mensongers et erronés quand ils parlent des asharites et de Ibn Kullâb comme des mécréants ou de grands égarés.
Ibn Taymiyya dira d’ailleurs dans “Majmû’ al fatawî (12/202-203) : « Il n’y a pas de doute quant au fait que le propos de Ibn Kullâb, de al-Ash’arî, et de qui est semblable à eux parmi ceux qui affirment l’existence des Sifât, n’est pas le propos des Jahmites, ni même celui des Mutazilites. Au contraire, ces (personnages) ont (écrit) des ouvrages réfutant (les avis) des Jahmites et des Mutazilites et exposant l’égarement de qui fait la négation [des Sifât] ; tantôt (ces gens) font la takfîr des Jahmites et des Mutazilites, et tantôt ils font leur tadhlîl. (…) Ibn Kullâb – l’imam des Ash’arites – a davantage contredit Jahm et est plus proche des Salaf que al-Ash’arî lui-même [ne l’est]. Et al-Ash’arî est plus proche des Salaf que al-qâdhî Abû Bakr al-Bâqillânî. Et al-qâdhî Abû Bakr al-Bâqillânî et ses semblables sont plus proches des Salaf que Abu-l-Ma’âlî et ses disciples ; car ces derniers ont fait la négation des Sifât telles que al-Istiwâ’, al-Waj’h et al-Yadayn, puis ont divergé quant à savoir s’ils feraient la ta’wîl ou la tafwîdh, laissant deux avis ou deux voies. (…) ». Mais lorsqu’il dit qu’Al-Ashari était plus éloigné des salafs qu’Ibn Kullâb, et qu’Al-Baqillânî l’était encore plus qu’Al Asharî, cela n’a pas vraiment de sens, puisqu’Al-Baqillânî s’appuyait sur l’avis d’élite des salafs, tout en développant lui-même certains points ne contredisant nullement la position des salafs tout en étant conforme à la langue arabe. Ibn Kathîr et Ad-Dhahâbî, deux élèves d’Ibn Taymiyya diront au contraire, qu’Al Asharî comme Al-Baqillânî, étaient sur la voie des salafs.
Ils n’étaient pas mécréants ni profondément égarés selon lui, bien qu’il se trompe, puisqu’Ibn Kullâb était bien un salâf, connaisseur du Qur’ân, de la Sunnah et de la langue arabe, et qui a réfuté plusieurs groupes et sectes qualifiés de déviants ou d’hérétiques.
Et c’est bien Ibn Taymiyya qui se contredit lui-même (ou alors qui a lui-même évolué) et qui a contredit les salafs sur de nombreux points (à commencer par les imams Ahmad, At-Tabarî, Mâlik, Abû Hanifa, Jâ’far As-Sâdiq, Al-Haîth al-Muhasibî et At-Tahawî).


Ibn Taymiyya et Ibn al-Qayyîm ne furent pas de hautes autorités dans le fiqh ou la ‘aqida hanbalite, bien qu’ils furent des juristes et des théologiens se réclamant du hanbalisme, mais ils ont contredit les grandes références hanbalites sur plusieurs points, à commencer par l’imâm Ahmad lui-même (sur le tawassûl et le tabarrûk, sur les Noms et Attributs d’Allâh, etc.), le Shaykh Abdul Qadîr al-Jilanî, Ibn al-Jawzî, Ibn Qudamâ al-Maqdisî, Ibn Hubayra, Abû l-Fadl At-Tamimi, Ibn Rajâb al-Hanbalî, al-Ansarî al-Harawî, Abû Ya’lâ Muhammad ibn al Hussayn ibn al Farrâ’ al Hanbalî , etc.

La ‘aqida asharite/maturidite puise essentiellement chez des salafs comme ‘Alî ibn Abû Tâlib, Umm Salamâ, Al-Hassân al-Basrî, As-Shafi’î, Ahmad, Abû Hanifa, Zayn ul Abidîn, Jâ’far as-Sâdiq, Sûfyan At-Thawrî, Ibn Jarîr, At-Tabarî, al-Bukharî, At-Tahawî, Ibn Kullâb, al-Harîth al-Muhasibî, etc. Bien que certains salafs aient divergé aussi entre eux sur des points secondaires, ce fut le cas aussi des atharites (hanbalites fidèles à la voie de l’imâm Ahmad), des asharites et des maturidites. Même les hanbalites non-atharites ont divergé entre eux sur plusieurs points.

At-Tabârî dans son Tafsîr (exégèse) intitulé “Al Jâmi’ ul Bayân fî Tafsîr ul Qur’ân” dit :

Vol. 1 : « Allâh est au-dessus de Sa Création par Sa Royauté et par Sa Puissance, et non pas par le déplacement et la disparition » (aller d’un point physique A vers un autre point physique).

Vol. 3, dans le verset du Trône où il est dit « Allâh est Al-‘Alîyy (L’Elevé) », il commente : « Il est élevé sur Sa Création par Sa Puissance » ; et non pas par Son Être, Son Essence ou physiquement, comme l’ont suggéré Ibn Taymiyya et Ibn Al Qayyim dans certains de leurs ouvrages (comme “Ijtimâ’ al-juyûsh al-islâmiyya”, p. 148), contredisant le Qur’ân, la Sunnah, l’intellect et l’élite des salafs us sâlih.

Vol. 5, dans la Sûrah Al-An’am au verset : « Il est Le Dominateur Suprême Se tenant au-dessus de Ses Serviteurs », il dit : « Il est au-dessus d’eux par Sa Puissance, et eux sont en-dessous de Lui ».

Vol. 11, dans la Sûrah As-Shûra il dit : « Allâh est au-dessus de toutes choses, et toutes choses sont en-dessous de Lui parce qu’elles sont dans Son Royaume. Sa Puissance et Sa Volonté sont établies sur toutes choses ».

Abû Jâʿfar Muhammad Ibn Jarîr Ibn Yazîd At-Tabarî (224 H/839-310 H/923) était un savant musulman d’origine persane, maitrisant parfaitement l’arabe. Il était un hafîz du Qur’ân à l’âge de 7 ans et un imâm à l’âge de 8 ans. Il était un juriste musulman (ayant sa propre école et méthodologie, appelée Jarîriyya), historien et chroniqueur, spécialiste du hadîth, exégète du Qur’ân, grammairien, poète, lexicographe, éducateur (à propos de l’éthique notamment), spécialiste de la biographie du Prophète (Sîrah), médecin, logicien, mathématicien et ayant aussi des notions en astronomie.

Il fait partie de la génération des salafs, contemporain de l’imâm Ahmad (il voulut lui rendre visite, mais en chemin, l’imâm Ahmad décéda avant qu’il puisse le rencontrer). Il avait étudié auprès de nombreux savants (hanbalites, hanafites, malikites, shafiites, zahirites et d’autres). La ‘aqida asharite est globalement conforme à l’approche d’At-Tabarî sur la question des Attributs d’Allâh.

Par exemple, le Hafiz Ibn Hajar al ‘Asqalânî qui est asharite et shafiite, dit la même chose dans son “Fath ul Barî Fî Sharh Sahîh Al Bukhârî” lorsqu’il dit : « Le fait que les deux directions du haut et du bas soient impossibles concernant Allâh n’implique pas le fait qu’on ne L’attribut pas par Al ‘Uluww (l’élévation), car Son attribution de Al ‘Uluww est à comprendre dans un sens figuré. Ce qui est impossible est qu’il soit compris dans un sens physique (c’est-à-dire par l’élévation spatiale). C’est pourquoi il a été rapporté des textes concernant Ses attributs Al ‘Ali, Al ‘Alî et Al Muta’âlî, mais il n’a pas été dit quoi que ce soit signifiant le contraire de ceux-ci, même s’Il englobe effectivement toute chose par Sa Science ». En effet, puisque le Qur’ân dit explicitement et catégoriquement : « Et rien (de ce qui est créé) ne Lui ressemble » (42, 11), cela implique que les modalités et caractéristiques physiques, temporelles et psychiques propres aux créatures et à la Création, ne s’appliquent pas à Lui, puisqu’Il est Celui qui créé et manifeste toutes les choses créées.


Ibn Kathîr dans son Tafsîr adoptera également la méthodologie asharite. Il dit dans son “Tafsîr Al Qur’ân al ‘Azîm” (3/427) : « « Le Tout Miséricordieux s’est Istawâ’ au-dessus du Trône » (7/54) : « Les gens ont à ce sujet plusieurs avis, mais ce n’est pas le lieu de les détailler ici. Nous citons ici la voie des pieux prédécesseurs : Mâlik, al-Awzâ‘î, ath-Thawrî, Layth ibn Sa‘d, ash-Shâfi‘î, Ahmad ibn Hanbal, Ishâq ibn Râhawayh et d’autres parmi les imams musulmans du passé ainsi que les contemporains et plus récents, à savoir de les laisser comme ils sont parvenus, sans donner de modalité (physique), ni faire d’assimilation, ni de négation.

Et le sens apparent aux esprits des assimilateurs (mushabbiha) est nié au sujet d’Allâh (تعالى). Car Allâh n’a pas de ressemblance avec quoi que ce soit de Ses créations. Aucune chose n’est comme Lui et Il est Celui qui entend et qui voit ».
Toujours dans son Tafsîr (6/262) il dit : « Et Sa Parole « Tout doit disparaître sauf Son Wajh « litt : Visage » » : nous informe qu’Il est l’Éternel, Celui qui reste, le Tout Vivant, Celui qui subsiste par Lui-Même. Celui qui fait mourir les créatures et qui Lui ne meurt pas. Comme sa Parole (تعالى) : « Tout ce qui est sur elle doit disparaître. Et Il ne restera que le Wajh « litt : Visage » » de ton Seigneur plein de Majesté et de Noblesse » (55/26-27) : Et le Wajh « litt : Visage » est une expression pour désigner l’Essence même. Comme Sa Parole que nous avons ici : « Tout doit disparaître excepté Son Wajh « litt : Visage » » c’est à dire : Excepté Lui ».

Il dira également dans ses “Tabaqât as Shâfi’iyah” (1/439-440 dans la biographie du grand juriste Shafi’ite Abû Ishâq al Firuzabâdî ash Shirâzî :

« Abû al Qâssim ibn ‘Asâkir [m.571 H] rappela ceci dans les générations des compagnons d’al Ash’arî et dans un autre de ses livres “Tabyin Kadhib al Muftari ‘ala al imâm al Ash’arî” et dit :

« J’ai lu de la plume de personnes fiables : quelle est la position des nobles juristes concernant les gens se mettant d’accord pour maudire les Ash’arites et les excommunier ? Que doivent-ils faire pour s’en repentir ? Informez-nous ».

Un large groupe d’entre eux a répondu :

« Cette voie Ash’arite est celle de la défense de la Sunnah et de la fermeté dans la réfutation des innovateurs parmi les Qadarites, les Rafidha et les autres. Celui qui les insulte a insulté les gens de la Sunnah et celui qui s’occupe des affaires des musulmans se doit de les sanctionner, afin de les corriger par cela tous sans exception. C’est ce qu’a écrit Ibrahim ibn ‘Alî al Firuzabâdî. [Abû Ishâq ash Shirâzî] ».
Je dis (Ibn Kathîr) : Concernant la voie du shaykh Abû al Hassan ‘Alî ibn Ismâ’il al Ash’arî dans les Attributs après avoir quitté le Mu’tazilisme, et même après qu’il se rendit à Baghdâd et y trouva les gens du hadith tels que Zakariya as Sajî [m.307 H] et d’autres, c’est la plus véridique des voies et des doctrines, affirmant les Attributs Rationnels [‘aqliyah] et Textuels

[khabariyah]

et ne rejetant rien parmi ceux-là et sans modalisation. Ceci est la voie des imams du Salaf parmi les gens de la Sunnah et du consensus, qu’Allah nous inclut dans leur groupe et dans le suivi de leur voie car Il est Celui qui entend les invocations, Bienveillant et Généreux. Et c’est sur cette méthodologie qu’étaient les imams parmi les compagnons d’al Ash’arî tels que Abû ‘Abd Allah ibn Mujâhid [ m.368 H ] et le Qadî Abû Bakr al Baqillanî [m.402 H] ainsi que leurs semblables [رحمهم الله] ».

Ibn Kathîr a dit dans ses “Tabaqât as-Shâfi’iyah” (1/449) :

« L’affirmation de tout ceci sans attribuer donner de modalité à quoi que ce soit et sans faire d’assimilation, comme le firent les Salafs et ce fut sa voie dans “al Ibânah” qu’il a composé en dernier. Le Qadî al Baqillanî (m.402 H) l’a expliqué et le Hâfiz Abû al Qâssim ibn ‘Asâkir (m.571 H) l’a transmise et c’est ce qu’ont suivi al Baqillanî et l’Imam al Haramayn (m.478 H) et la dernière position de beaucoup d’imams les ayant suivis et Allâh sait mieux ».

Ibn Kathîr nous a donc informé que la voie doctrinale des Salafs fut la dernière position de l’imâm al Haramayn à la fin de sa vie, et quelle fut sa dernière position ? Toujours dans le même ouvrage, Ibn Kathîr a rapporté lui-même (1/449) : « L’imam al Haramayn – m.478 H [رحمه الله] a dit dans le livre “ar Rissâla an Nizhâmiyya” :

« Les savants ont pris des chemins différents concernant les textes apparents qui ont été rapportés dans le Qur’ân et la Sunnah, les gens de la vérité se sont abstenus de la croyance au sens premier, certains ont envisagé de les interpréter, ils s’y sont engagés dans le Qu’rân, et sur ce qui est authentifié parmi les Sunans. Les imams du Salaf sont allés vers le délaissement de l’interprétation, et la transmission des textes apparents comme ils sont parvenus, en laissant leurs significations [tafwîd al ma’na] au Seigneur [تبارك و تعالى] ».

De même, Ibn Rajâb al-Hanbalî a rapporté dans son “al-dhayl ‘alâ tabaqât al-hanâbila” (2/156) et son “Tafsîr Ibn Rajab” (2/508) que le savant hanbalite Ibn Hubayra al Hanbalî (m.560 H) a dit concernant les Attributs d’Allâh parvenus textuellement

[khabariyah]

: « On ne saurait pour les expliquer recourir au sens propre (apparent, physique), ni au sens métaphorique, parce que les interpréter au sens propre est de l’assimilation

[tashbîh]

et les interpréter de manière métaphorique est une innovation [bid’a] ».

L’imâm Ibn Kathîr dira au sujet de Ibn Hubayra dans “Al Bidayât wa Nihâyât” (16/416) :

« Yahya ibn Muhammad ibn Hubayra Abû al Muzaffâr le Vizîr, il se forma dans la jurisprudence dans l’école de l’imâm Ahmad et composa des livres très bénéfiques parmi ceux- là : “al Ifsâh” en plusieurs volumes, il y expliqua dedans le hadîth et parlait sur la méthodologie des savants, et il était sur la voie des Salafs dans la doctrine ».


Contrairement a ce qu’affirmait Ibn Taymiyya, la voie des salafs, selon Ad-Dhahâbî, Ibn Kathîr et Ibn Rajâb al-Hanbalî, s’appuyant sur des savants hanbalites antérieurs à Ibn Taymiyya, était de laisser les textes apparents, de les accepter, mais de refuser le sens apparent qui impliquerait une ressemblance avec la Création (corps, limites et directions physiques, imperfections, …) ou une modalité physique/créée, car les comprendre selon ce sens apparent relève d’une interprétation biaisée et déviante des Textes, et la négation des Attributs/Textes à ce sujet constitue également une déviance condamnée par la voie des éminents salafs.

Aussi, Ibn Taymiyya avait tendance à affirmer que les positions qu’il défendait faisaient consensus parmi les savants, ou que tous les savants du hadîth considéraient tel récit comme rejeté ou inventé, ou n’étant pas présents dans les principaux recueils de hadiths sunnites, alors que c’était bien le contraire, car on les trouvait par exemple dans les recueils de l’imâm Ahmad, Muslim, Abû Dawûd, Ibn Mâjah, etc. Et d’autre part, même certains de ses élèves spécialisés dans la science du hadîth comme Ad-Dhahâbî et Ibn Kathîr avaient authentifié des ahadiths qu’il rejetait uniquement car ils contredisaient ses opinions personnelles.

Par exemple Ibn Taymiyya dans “Al Minhâj as-Sunnah” (7/139) affirme que plusieurs ahadiths concernant l’imâm ‘Alî sont inventés selon le consensus des savants du hadîth, comme par exemple ce hadith prophétique : « C’est moi l’avertisseur et ‘Alî est le guide » (référence au verset du Qur’ân « Tu n’es qu’un avertisseur et à chaque peuple un guide » 13, 7 ; et ‘Alî fut bien le guide spirituel par excellence de la communauté musulmane), où Ibn Taymiyya dit ensuite : « Ceci est un mensonge selon le consensus des savants du Ḥadîth et il est Wâjib (obligatoire) de le déclarer faux et de le rejeter ».
Or le hadith n’est non seulement pas inventé, mais il est même authentique. Il est rapporté par Ibn Abî Ḥâtim (2225) selon ‘Alî, Ibn ‘Abbâs, Abû Ja’far al Bâqir, par Aṭ Ṭabarî selon Ibn ‘Abbâs et par Al Ḥâkim qui l’authentifia dans “Al Mustadrak” selon ‘Alî. Il fut également rapporté par ‘Abdullah Ibn Aḥmad Ibn Ḥanbal dans “Zawâ`id” (355) et fut authentifié par Al Haythamî dans “Al Majma'” (7/87) avec la formule suivante : « le guide est un homme de Quraysh ».
Dans “Al Minhâj” (7/228), par rapport au verset : « Ceux qui, de nuit et de jour, en secret et ouvertement, dépensent leurs biens » (Qur’ân 2, 274), alors que de nombreux exégètes disent qu’Alî était concerné par ce verset, Ibn Taymiyya a dit : « Ceci est un mensonge infondé, mais de fausses explications (Tafsîr) et des (explications) similaires sont prononcées par beaucoup d’ignorants ».
Or il contredit l’avis d’éminents exégètes tels que Ibn Abî Ḥâtim, Aṭ Ṭabarî, ‘Abd ar Razzâq (le Shaykh d’Al Bukhârî), Al Baghawî, Ibn ‘Asâkir, Abû Nu’aym, et d’autres.

Pour le verset « Vous n’avez d’autres alliés qu’Allâh, Son messager et les croyants qui accomplissent la Ṣalât, s’acquittent de la Zakât et s’inclinent (devant Allâh)… » (Qur’ân 5, 55), cela inclut bien ‘Alî (selon le hadith relatif au contexte de la révélation de ce verset). Mais toujours dans “Al Minhâj” (2/30), Ibn Taymiyya dit : « Certains menteurs invétérés ont inventé un Ḥadîth stipulant que ce verset serait descendu au sujet de ‘Alî lorsqu’il donna sa bague dans la Ṣalât et ceci est un mensonge selon le Ijmâ’ (consensus) des savants » et il rajoute (7/17) : « La grande majorité de la Ummah n’a jamais entendu parler de ce Ḥadîth ».
Chez les exégètes sunnites classiques, ce verset a été révélé pour deux causes dont la deuxième est  ‘Alî  (la première étant ‘Ubâdah). Ce Ḥadîth est l’un des plus célèbres chez les Muḥaddithûn (les gens du Ḥadîth) : Al Ḥâkim l’a rapporté dans “Ma’rifât ‘ulûm al Ḥadîth” – “Bâb Al Mufradât” – de ce qu’a rapporté Ar Râziyûn des gens de Kûfah. En outre, les Muḥaddithûn n’ont jamais cessé de le donner en exemple dans “Al Afrad” comme par exemple Ibn aṣ Ṣalâḥ et d’autres. Cela est rapporté aussi par Al Baghawî dans son Tafsîr selon Juwaybir, selon Aḍ Ḍaḥḥâk. Cela est également rapporté par Aṭ Ṭabarî dans son Tafsîr selon Suddî, Abû Ja’far, par As-Shawkânî qui l’attribue à eux également dans “Fatḥ al Qadîr” et à As Suyûṭî dans “Durr al Manthûr”, par Ibn Abî Ḥâkim et Mujahid. Cela est encore rapporté par Ibn Abî Ḥâtim dans son Tafsîr (1162), par Abû Shaykh et par Aṭ Ṭabarânî dans “Al Mu’jam”, par ‘Abd Ibn Ḥamîd et Ibn ‘Asâkir dans ses Chroniques, par Ibn Mirdawayh dans son Tafsîr, ainsi que par ‘Abd ar Razzâq dans son Tafsîr. Al Wâḥidî dans son ouvrage “Al asbâb” sur les circonstances de la Révélation (Qur’ân 55, 8) rapporte le récit où ‘Alî avait donné sa bague à un mendiant pendant qu’il se trouvait dans la phase d’inclinaison (Rukû’) de sa Ṣalât. Bien qu’Al-Wahidî rapporte souvent des récits faibles ou inventés par rapport à la vie du Prophète, ce récit en particulier n’est pas rejeté.

Concernant le verset : « Afin d’en faire pour vous un rappel qu’une oreille consciente comprendra (dont elle saisira le sens) » (Qur’ân 69,12), ce verset désignait ‘Alî comme cas particulier, faisant de lui l’archétype de tous les musulmans possédant aussi cette qualité. Ibn Taymiyya dit dans “Al Minhâj” (7/522) : « Ceci est une parole inventée selon le consensus des savants et il est évident qu’Allâh n’a pas voulu dire qu’une seule oreille consciente (sous-entendu ‘Alî) saisira ce rappel, parmi toutes les oreilles… ».
Ce hadith est pourtant rapporté par de nombreuses chaînes de transmission. Sa transmission est célèbre et personne ne rapporte que ce Ḥadîth est mensonger. L’ont rapporté Abû Nu’aym dans “Al Ḥilyah” (1/65) selon ‘Alî, par Al Âjurî dans “As-Sharî’ah” (n°1586) selon Jâbir, par Abû Al Ḥasan dans Al “Mashîkhah” (n°34), par Aṭ Ṭabarî dans son Tafsîr, par Al Wâḥidî dans “Al asbâb” selon Buraydah et aussi par Ibn Abî Ḥâtim dans son Tafsîr.

Quant au hadîth : « Qu’Allâh soit l’allié de celui qui a pris ‘Alî pour allié et l’ennemi de celui qui a pris ‘Alî pour ennemi », Ibn Taymiyya a dit dans “Al Minhâj” (7/55) : « Ceci est un mensonge selon le consensus des savants du Ḥadîth … ».
Abû Ḥafṣ Ibn Shâhîn (né en 297 H) a dit : « Ce Ḥadîth a été rapporté par environ cent Ṣaḥâba, dont les 10 promis au Paradis ». Ceci se trouve dans l’explication de “Madhâhib Ahl as Sunnah” (p.103).
Le Shaykh Al Qurâ` Ibn Al Jazarî a dit dans “Manâqib ‘Alî” (p. 12), en réfutant Ibn Taymiyya : « Ce Ḥadîth est Mutawâtir (notoire) et il est rapporté par un nombre incalculable (de transmetteurs). Et il n’y aura aucune considération pour celui qui le rendra faible ».

Ad-Dhahabî a dit dans “Tadhkirah al Ḥuffâẓ” (p. 713), en commentant le livre de Aṭ Ṭabarî qui recueille toutes les voies de ce Ḥadîth : « J’ai vu un volume qui rassemble les chaînes de transmission de ce Ḥadîth appartenant à Ibn Jarîr (aṭ Ṭabarî), j’ai été extrêmement surpris par lui et par la quantité de ses chaînes de transmission ! ».
Or, rejeter des récits transmis par voie abondante (mutawatir) en ayant conscience de cela, revient à démentir le Prophète et les compagnons ayant rapporté cela.

Ibn Taymiyya a également menti au sujet de ce hadîth : « Celui qui maîtrise le plus le jugement est ‘Alî » lorsqu’il prétendit dans “Al Minhâj” (7/513) que : « Aucune personne n’a rapporté ce Ḥadîth, ni dans les Sunan connus ni dans les Masânid de référence ni avec une chaîne de transmission authentique ou faible. Mais ceci est plutôt rapporté par les adeptes du mensonge ».

Pourtant on le trouve dans de nombreux recueils de ahadiths selon une chaine authentique ou bonne. Voir les Masânid comme le Musnad d’Abû Ya’lâ (10/141), dans les Sunan d’Ibn Mâjah (1/107), dans les Sunan de l’Imâm At-Tirmidhî (commentaire – 6/131), il est rapporté par l’Imâm Al Bukhârî (n°4481) selon ‘Umar qui a dit : « Le plus savant d’entre nous est ‘Alî », par Al Ḥâkim qui l’a authentifié (3/135), par Al Bazzâr dans son Musnad selon Ibn Mas’ûd qui a dit : « Nous discutions ensemble sur le fait que celui qui était le plus apte au jugement parmi les gens de Médine était ‘Alî ».
As Sakhâwî dit dans “Al Maqâṣid Al Ḥasanah” : « Il a été rapporté par ‘Abd ar Razzâq, selon Ma’mar, selon Qatâdah qui l’a élevé au rang de Ḥadîth Mursal : « Le plus compatissant de ma Ummah pour ma Ummah est Abû Bakr. Et le plus apte d’entre eux au jugement est ‘Alî ». Ce Ḥadîth est Mawṣûl (lié jusqu’au Prophète) chez nous dans “Al Fawâ`id” d’Abû Bakr Ibn al ‘Abbâs Ibn Najîḥ, selon Abû Sa’îd Al Khudrî et selon Anas comme précédemment. On trouve également ce Ḥadîth chez Al Baghawî dans “Sharḥ as Sunnah wal Maṣâbîḥ” ».                                                       

Et des mensonges et erreurs de la sorte, il y en a beaucoup.
Attention cependant à certaines interprétations erronées, où quand Allâh parle au pluriel ou de façon indéfinie, donc sans restreindre la portée d’un verset à un seul individu ou un seul groupe (dans le temps ou dans l’espace), bien que lesdits versets peuvent viser des cas particuliers ou généraux à un moment donné, la formulation et la portée desdits versets sont d’ordre universel, passant donc du «particulier» en guise d’exemple concret, à l’universel afin que ceux qui aspirent à la piété suivent leurs exemples.

On voit donc qu’Ibn Taymiyya prétend que sa position se base sur le consensus (al ‘ijmâ) alors qu’il contredit la majorité des savants du hadith, des juristes et des exégètes sur bien des points. Et inventer un ijmâ (que ce soit pour une école de fiqh ou de ‘aqida, un courant ou l’ensemble des savants musulmans) est une chose très grave.


Les savants rapportent également un débat qui l’opposa avec le Shaykh Ahmad Ibn Atâ’Llâh As-Sakandarî, et où en introduction, Ibn Taymiyya le décrivit comme ceci : « Je te connais comme un homme d’une piété scrupuleuse, de savoir abondant, d’intégrité et de véracité dans le parler. Je témoigne que je n’ai vu personne pareille à toi en Egypte et en Syrie, qui aime plus Allâh, ni qui est plus auto-effaçant en Lui ni qui est plus obéissant à exécuter ce qu’Il a commandé et à éviter ce qu’Il a interdit ». Ils ont ensuite débattu du tawassûl, de l’istighatha et de Ibn ‘Arabî, et Ahmad Ibn Atâ’Llâh as-Sakandarî opposa des arguments percutants à Ibn Taymiyya qu’il n’a pas su réfuter.
Ce qui est frappant, quand on se met à lire les nombreux écrits d’Ibn Taymiyya, c’est que l’on finit par tomber sur absolument tout et son contraire par rapport aux Noms et Attributs d’Allâh (anthropomorphisme et son opposé ou en tout cas sa relativisation), sur les shiites (similitudes/tolérance et différences/intolérance), les ahl ul bayt (défense et rabaissement), les compagnons (grande défense des compagnons d’un côté, mais aussi critique de ‘Alî, ‘Umar, ‘Uthmân et d’autres), sur l’asharisme et les asharites (mépris/sortis des ahl ul sunnah, et de l’autre, défense et éloge envers l’asharisme et les asharites), sur le Jihâd armé (refus de tuer l’ensemble des non-combattants, mais dans d’autres écrits, on peut y lire le contraire), sur le tasawwûf (sévère critique et sophismes sur le tasawwûf et les sûfis d’une part, mais d’autre part, une défense du tasawwûf et des sûfis comme faisant partie de l’orthodoxie islamique la plus élevée qui soit), appel à la fraternité et à la justice d’un côté, mais appel au sectarisme et à l’injustice de l’autre, etc. Il ne s’agit donc pas d’une simple évolution intellectuelle, car on finit par s’y perdre et certains écrits ne peuvent pas être situés chronologiquement avec exactitude. Concernant Ibn Arabî, il dit qu’il appréciait beaucoup plusieurs de ses ouvrages dont les « Futuhat al Makkiyya » mais que les Fûsus l’ont fait changer d’avis, alors que ce qu’il y dit dans les deux ne contredit en rien le Tawhîd et l’orthodoxie islamique, en dépit de certaines expressions pouvant être ambigües. Ibn Taymiyya dit en effet dans sa lettre au shaykh Manbijî “Majmu`a al-rasa’il wal-masa’il” : « J’étais d’abord de ceux qui ont bonne opinion d’Ibn Arabî et le respectent en raison des choses profitables que j’avais lues dans ses livres, par exemple ce qu’il dit en beaucoup de passages des “Futûhât”, du “Kunh”, du “[Amr] almuhkam al-marbut”, de la “Durrat al-Fâkhira”, des “Mawâqi’al-nujûm”, etc. Je n’avais pas encore perçu son véritable but et je n’avais pas lu les Fusûs et d’autres écrits semblables […]. Quand la chose est devenue claire, j’ai su quel était mon devoir ».

Or, il fait aussi l’éloge de grands sûfis qui sont dans la même catégorie d’Ibn Arabî, à savoir al-Junayd, al-Jilânî, Abû Yazîd al-Bistâmî, al-Ansarî al-Harawî, etc. (“Majmû al-Fatawâ'”,10/516-517 et 11/14) qui souscrivaient tous à la doctrine communément appelée « al wahdat al wujûd » mais dans un sens récusant catégoriquement le panthéisme aussi bien que l’incarnationnisme.
Certains auteurs ont ainsi parlé du Shaykh Ibn Taymiyya « d’auteur atteint de schizophrénie », et il n’est pas rare de nos jours de voir des tendances antagonistes se réclamer de lui : des sûfis comme des anti-sûfis, des jihadistes comme des salafistes quiétistes, des khawarij comme des non-khawarij, des réformistes comme des traditionalistes, etc.
Lui-même dans ses écrits, a été influencé parfois par la spéculation philosophique dans ses prises de position théologique, et il se révèle parfois très textualiste, mais d’autre fois, il s’éloigne du Texte révélé pour privilégier certaines positions juridiques ou « philosophiques » tardives. Paradoxalement, il accréditera et défendra aussi des doctrines sûfies comme celles du « fanâ’ », de l’inspiration divine (ilhâm), des prodiges (karamât), de la firasa, de la sainteté, de la hiérarchie des saints (awtâd, abdâl, …), etc. Certains de ses élèves diront qu’Ibn Taymiyya lui-même avait été gratifié de certains prodiges (peut-être par surenchère pour défendre leur Shaykh face à d’autres disciples qui vantaient les mérites de leur maître) mais à notre connaissance Ad-Dhahâbî n’en avait pas fait état.
Ses écrits sur la logique et certains débats philosophiques et juridiques sont d’une grande pertinence et d’une admirable argumentation, tandis que d’autres sont totalement superficiels et erronés, cumulant les sophismes et les erreurs en tous genres.
Certaines de ses critiques étaient infondées en raison du fait qu’il n’avait accès parfois qu’à des sources de seconde main, comportant des altérations, comme le signale par exemple Yahya Michot (cf. “Lettre à Abû l-Fidâ'”, traduit et présenté par Jean (Yahya) R. Michot, publications de l’Institut orientaliste de Louvain).
Il fera l’éloge d’Al-Ghazâlî et de son Ihya tout en le critiquant de façon infondée, de même qu’il dira d’Al-Ghazâlî qu’il a renoncé au tasawwûf à la fin de sa vie car il est mort avec le Sahîh al-Bukharî sur lui, ce qui n’a strictement aucun rapport, puisqu’il connaissait déjà le Sahîh al-Bukharî lorsqu’il atteignit la sainteté, et que beaucoup de commentateurs du Sahîh al-Bukharî étaient affiliés au tasawwûf comme Ibn Rajâb al-Hanbalî, Ibn Hajar al ‘Asqalânî, etc.

Concernant l’oeuvre d’Al-Ghazâlî, il dit dans ses “Majmu’ al-Fatâwa” (10/312) : « Ceci étant, il y a dans la “Revivification des sciences religieuses” [Ihyâ ‘ulûm al-Dîn], comme propos des savants sûfîs qui, concernant les oeuvres des cœurs, s’y connaissent [‘ârif] et sont sur la voie droite, des choses qui sont en accord avec le Livre (Qur’ân) et Tradition [Sunnah du Messager d’Allâh]. On y trouve également, concernant les actes d’adoration et les usages, des choses en accord avec le Livre [Kitâb] et la Tradition [Sunnah]. Ces choses sont plus nombreuses que celles qui sont à rejeter et c’est pourquoi les gens divergent d’avis [ijtihâd] à propos de ce livre et controversent à son sujet ».
L’Imâm Al-`Irâqi, une sommité en matière de science du Hadith, s’occupa d’analyser et de référencer les narrations rapportées par l’Imâm Al-Ghazâli. Pour ce qui est du domaine du targhîb (faire aimer le bien) et du tarhîb (dissuasion par le rappel du châtiment) les savants

ont toléré les hadiths faibles, sous des contitions, que l’Imâm Al-Ghazâlî a respectées. Pour les férues de statistiques, la part des paroles apocryphes constituent près de 3.5% des narrations totales, mais al-Murtadâ az-Zabidî, l’un des plus grands spécialistes du hadîth de son temps, diminua encore ce nombre puisqu’il trouva des fondements et des sources à une partie des 3,5% de récits jugés infondés par Al-‘Irâqî. Il est certain que l’Imâm n’en a déduit aucune loi de jurisprudence, ni jugement légal, ni quelque point relatif au Credo. Il serait insensé de peser l’Ihyâ’ par les critères d’évaluation des recueils de hadîths, à moins de vouloir reprocher cela à l’ensemble des savants, y compris al-Bukharî et Muslim, dont leur Sahîh comportent aussi des récits jugés non-fiables. Bien sûr que cet ouvrage aurait été encore meilleur s’il n’avait pas contenu ces paroles apocryphes, mais la Perfection appartient à Allâh. Et Al-Ghazâlî n’était pas un prophète doté de l’infaillibilité doctrinale en matière de religion. Toutefois, ce défaut a été endigué depuis des siècles, par la version d’Al-Ihyâ annotée par l’imâm Al-`Irâqi qui nous dispense de toute cette polémique.

Le Hâfidh Al-Murtadâ Az-Zabîdi (1145 H/1732 – 1205 H/1790), grand exégète du Qur’ân, une autorité dans la langue arabe, la spiritualité, la science du hadîth, l’histoire et la jurisprudence, et l’un des grands commentateurs de l’Ihyâ’ dit dans son “It’ĥâf as-Sâdah al-Muttaqîn” : « Je ne lui connais point de pareil en ce qui concerne les livres composés par les juristes ».

Et en comparaison, nous trouvons plus de récits faibles ou inventés dans les ouvrages de Ibn Al-Jawzî et de Ibn Taymiyya que dans ceux d’Al-Ghazâlî.

Les savants les plus clairvoyants ont dit qu’il ne fallait pas suivre Ibn Taymiyya dans ses égarements sur des questions philosophiques, théologiques et juridiques, mais que certains de ses écrits restent profitables (même si pas indispensables). Et en raison des nombreuses contradictions et ambiguïtés qui existent autour de sa vie et sur son œuvre, les savants clairvoyants se sont abstenus de faire son takfir et ont invoqué le Pardon Divin sur lui.
Ceux qui l’ont connu comme As-Safâdî, Ibn Kathîr et Ad-Dhahâbî firent aussi l’éloge de l’un de ses détracteurs.
Il s’agit du Shaykh Shihâb ud-Dîn Ahmad Ibn Yahyâ Al-Kilâbi connu sous le nom de Ibn Jahbal (670 H – 733 H) qui répliqua à Ibn Taymiyya sur l’attribution d’une direction physique à Allâh, comme cela est mentionné dans sa “Risalâ fî nafyî al-jihah” et dans l’ouvrage “At-Tawfîq ar-Rabbânî fî raddi ‘alâ Ibni Taymiyyah al-Harrâni”.

Ad-Dhahabi a dit à son sujet dans “Siyâr a’lâm an-Nubalâ’” : « L’illustre savant (Al-‘Allâmah), le modèle des musulmans » et il a dit également de lui dans son “Târîkh ul islâm” : « L’illustre savant (Al-‘Allâmah), le Mufti des musulmans ».

Quant à Ibn Kathîr, il a dit à son sujet dans “Al-Bidâya wa an-Nihâya” : « Le Shaykh, l’honorable Imâm, le Mûfti des musulmans ».
Et As-Safadi dit de lui dans son “Al-Wâfî bi l-Wafayât” : « L’Imâm, le Mûfti, (…) ».

De l’autre côté, As-Safadî dit de Ibn Taymiyya, dans son “al-Wâfi bi l-Wafayât” :
« Le Shaykh Taqî Ad-Dîn Ibn Taymiyya est l’un des trois géants que j’ai côtoyés et qui n’avaient pas leurs pareils à leur époque, ni même dans le siècle écoulé. Ces trois géants sont le Shaykh Taqî Ad-Dîn Ibn Taymiyya, le Shaykh Taqî ud-Dîn Ibn Daqîq Al-‘Id et notre Shaykh, l’érudit Taqî Ad-Dîn As-Subkî. J’ai composé ces vers pour leur rendre hommage.

Thalâthatun laysa lahum râbi`u *** Fa-lâ takun min dhâka fî shakki
Wa kulluhum muntasibun littuqâ *** Yaqsuru `anhum wasfu man yahkî
Fa-in tasha’ qulta ibna taymiyatin *** Wabna daqîq al-`îdi was-subkî

Ils sont trois en tout et pour tout. Tu peux en être parfaitement sûr.
Tous sont des
taqî aux normes de la piété et nul ne pourra les décrire à leur juste valeur.
Si tu veux, tu peux aussi bien parler d’Ibn Taymiyya, que d’Ibn Daqîq Al-`Îd que d’As-Subkî
 ».

Ibn Al-`Imâd dit dans “Shadharat Ad-Dhahab fi Akhbari man Dhahab” à propos de As-Subkî : « L’Imâm Taqî ud-Dîn Abû Al-Hasan `Ali Ibn `Abd Al-Kâfî Ibn `Ali Ibn Tammâm Ibn Yûsuf Ibn Mûsâ Ibn Tammâm Ibn Hâmid Ibn Yahyâ Ibn `Umar Ibn `Uthman Ibn `Ali Ibn Miswar Ibn Sawwâr Ibn As-Subkî, le shafi`ite, l’exégète, le Hâfidh (Mémorisateur), le versé dans les fondements de la religion, le spécialiste de la langue, le grammairien, le maître-récitateur

[i.e. qâri’]

, expert de la rhétorique, des débats et controverses, l’excellent, shaykh al-islam, l’emblème des mûjtahids ». Il étudia en effet la logique et les mathématiques, la rhétorique et la théologie, le Qur’ân et son exégèse, le tajwîd, le droit (shafiite), les fondements du droit, l’histoire, les sciences du hadîth et la sîrah, la poésie et la littérature, la langue arabe et la grammaire, le tasawwûf et quelques autres sciences. Et bien qu’il fut très dur à l’encontre d’Ibn Taymiyya, il fera preuve d’une plus grande indulgence à son égard vers la fin de sa vie selon ce qui est rapporté de lui, et ce, bien que ses critiques demeurent inchangées quant aux erreurs du Shaykh Ibn Taymiyya.


Ibn Hajar al ‘Asqalânî dans son “Durâr ul Kâminah” dira de Ibn Taymiyya : « Ce sur quoi il a vu juste, et qui constitue l’essentiel de son œuvre, est profitable à tous et doit nous conduire à lui demander la miséricorde de Dieu. Et ce sur quoi il s’est trompé ne doit pas être imité, mais on doit l’en excuser ».

Lorsqu’il fut accusé et emprisonné, plusieurs débats eurent lieu pour qu’il s’explique sur sa ‘aqida, et comme on peut le constater, il prétendait se conformer totalement à tous les salâfs salîh, alors que premièrement, il contredisait l’élite des salafs, et que deuxièmement, tous les salâfs salîh au sens large (parmi ceux qui connaissaient le Qur’ân, la Sunnah, la vie des compagnons, la langue arabe, etc.) n’étaient pas tous d’accord entre eux sur les sujets subtils. Il dit en effet pour sa défense, dans son “Majmû al-Fatawâ” (3/228-229) que : « Je n’ai pas rédigé un Credo Hanbalite ! J’ai rédigé le Credo de tous les Salaf Sâlih », or il s’agit là d’une affirmation erronée comme nous l’avons vu.
Ibn Battûta, le célèbre voyageur de l’âge médiéval, fut au cours de ses 3 décennies de voyage tant juge malikite aux Maldives, que mujahid dans le sous-continent indien. Il étudia également la théologie, le droit musulman (principalement malikite) et fut également un diplomate envoyé en Chine. Décrit comme un menteur par certains concernant certains détails de ses voyages, il affirmera aussi avoir assisté à un prêche d’ibn Taymiyya dans sa mosquée à Damas, qualifiant d’ailleurs ce dernier d’homme au cerveau « dérangé », et l’avoir vu et entendu proférer une hérésie doctrinale identifiée à de l’anthropomorphisme (en comparant le Créateur aux créatures dans Ses Attributs). Certains ont voulu disqualifier la parole de Ibn Battûta en prétextant une impossibilité concernant la date évoquée (mais s’il peut en effet y avoir une erreur au niveau de la date, l’événement en question n’en est pas faux pour autant), or, celle-ci fut confirmée et rapportée par d’autres témoins, dont un ancien élève de Ibn Taymiyya. Cela confirme donc ce que certains auteurs ont dit à propos de Ibn Taymiyya, à savoir qu’il était sans doute schizophrénique[ii].
En effet, il dit tout et son contraire, en lui se réunissent de nombreuses qualités comme de nombreux défauts, des actes de bravoure et de perfides mensonges. Aux yeux de la Loi islamique, s’il était réellement schizophrène, alors il est excusé lors de ses propos délirants, mais il ne doit pas être suivi dans ses propos erronés ou hérétiques.

Ibn Hajar al-`Asqalânî (m. 852 H) mentionne dans son “al-Durar al-Kâmina” (1/153-155) les paroles de l’élève d’Ibn Taymiyya (m. 728 H) : Sulaymân Najm al-Dîn al-Tufî al-Hanbalî (m. 716 H) concernant ce dernier : « En une seule heure, il (Ibn Taymiyya) avait l’habitude d’extraire du Livre, de la Sunnah, de la langue arabe, des problèmes, des choses que personne n’aurait pu extraire même en plusieurs séances, comme si ces sciences étaient sous ses yeux et qu’il choisissait parmi elles à son bon vouloir.
Puis vint un moment où ses compagnons exagérèrent en éloges à son sujet, qui conduisit à son auto-satisfaction jusqu’à le rendre vaniteux envers ses semblables.
Il devint convaincu qu’il était un érudit capable d’effort d’interprétation [mujtahid]. Et depuis cela, il commença à réfuter chaque érudit, petit ou grand, ancien ou contemporain, jusqu’à ce qu’il remonte jusqu’à `Umar (b. al-Khattab, le compagnon) en lui reprochant certaines choses.
Cela atteignit les oreilles du Shaykh Ibrâhîm al-Raqî qui le réprimanda. Ibn Taymiyya alla le rencontrer, s’excusa, et demanda pardon. Il critiqua également `Alî 
(b. Abî Tâlib, le compagnon) et dit : (…) «Il s’est trompé dans 17 sujets dans lesquels il aurait contredit le texte même du livre […]».
Dû à sa défense fanatique de l’école Hanbalite, il attaqua les Ash`arites jusqu’à insulter al-Ghazâlî (m.505 H) à tel point que certaines personnes s’opposèrent à lui et faillirent le tuer […]
Et ils ont constaté qu’il avait laissé échapper certains mots de sa bouche [qu’il avait dérapé] concernant la croyance dans ses sermons et ses réponses juridiques (fatâwâ), et ils ont mentionné qu’il avait cité le hadith de la « descente » d’Allâh, puis est descendu des marches de son minbar et a déclaré: «[Allâh descend] Tout comme ma descente», et on lui a ainsi attribué l’anthropomorphisme (tajsîm). Ils ont également cité sa réfutation de celui qui utilise le Prophète (
) comme intermédiaire [tawassul] ou recherche son aide [istighâtha] […]
Les gens se divisèrent en partis à cause de lui. Certains l’ont considéré comme un anthropomorphiste à cause de ce qu’il mentionna dans “al-`Aqidah al-Hamawiyya” et “al-`Aqidah al-Wasitiyya” ainsi que dans d’autres de ses ouvrages, qui indiquent que «al-Yad» [litt: La Main] , « al-Qadam» [litt: Le Pied], «al-Saq» [litt: partie entre le tibia et le mollet] et «al-Wajh» [litt: Le Visage] sont des Attributs compris dans leur sens apparent et qu’Il est établi sur le Trône par Son Être. On lui rétorqua que si tel était le cas, Il serait obligatoirement cerné par l’espace et sujet à la divisibilité.
Il répondit (Ibn Taymiyya) : « Je ne concède pas que d’être cerné par l’espace et la divisibilité soient des propriétés nécessaires aux corps», après quoi il fut prouvé à son encontre qu’il pensait que l’Être d’Allâh était sujet au confinement spatial.
D’autres l’ont considéré comme un hérétique du à ses propos comme quoi l’aide du Prophète (
) ne devait pas être recherchée et le fait que cela revenait à diminuer la grandeur du Prophète () et à empêcher l’établissement celle-ci […]
D’autres l’ont considéré comme un hypocrite en raison de ce qu’il a dit sur `Alî b. Abî Talib : […]
A savoir qu’il avait été abandonné partout où il allait, qu’il tenta à plusieurs reprises d’obtenir le califat sans jamais l’avoir, qu’il combattit par soif de pouvoir plutôt que pour la religion, et il a dit « Il aimait l’autorité, tandis que `Uthmân aimait l’argent ». Il disait qu’Abû Bakr a déclaré sa conversion à l’Islam quand il était d’un âge avancé, totalement conscient de ses propos, tandis que `Alî l’a déclaré étant enfant, et que les propos d’un enfant en Islam ne sont pas considérés comme valable basé sur sa propre parole […]. En somme, il prononça d’horribles choses comme celles-ci, et il fut dit à son encontre qu’il était un hypocrite, compte tenu des paroles du Prophète (
) [qu’il dit à `Alî] «Seul un hypocrite peut te haïr ». ».

Il avait donc une approche théologique assez ambigüe et hésitante comme cela peut être lu dans plusieurs de ses écrits et débats.

L’imâm Salâh ud-Dîn As-Safâdî dit dans son “Sharhu Lâmiyyat ul ‘Ajam li At Tughrâ’î” : « Le Shaykh, l’Imâm et érudit Taqî Ud Dîn Ahmad Ibn Taymiyya (qu’Allâh lui fasse miséricorde) était grandement érudit mais il avait une intelligence défectueuse ce qui fut la cause de son péril et le fit tomber dans de gros travers ».

L’élève de Ibn Taymiyya, Yussûf Ibn `Abd al-Hâdî al Hanbali (qui était l’un de ses disciples les plus chevronnés et partisans du Shaykh, avec Ibn Al-Qayyim, mais Ibn Hajar al ‘Asqalânî l’a réfuté sur ses positions erronées dans la théologie, le hadith et le fiqh, notamment lorsque ‘Abd al-Hâdî tenta de réfuter As-Subkî, mais avec des arguments invalides et en rejetant des ahadiths authentiques) dit dans “al-`Uqûd al-Durriyya” (p. 117) : « Il donnait/utilisait des expressions étranges que les premiers et derniers savants n’osaient jamais utilisé alors qu’il s’y livrait hâtivement/hardiment ». L’ancien élève d’Ibn Taymiyya, Abû Hayyan Al-Andalûsi a remis en cause Ibn Taymiyya alors qu’auparavant il ne faisait que son éloge, et qu’il n’arrivait pas à concevoir qu’on puisse ne pas aimer Ibn Taymiyya. Mais après lui avoir rendu visite, Al-Andalûsi est reparti déçu en ayant constaté l’arrogance de Ibn Taymiyya sur certains points. Mais surtout il s’est mis à le “maudire” après avoir vu dans le livre “Kitabû l-‘Arsh” de Ibn Taymiyya sa parole selon laquelle Allâh serait assis sur le Kursî et qu’Il aurait laissé une place pour y faire asseoir Son Prophète. Abû Hayyan Al-Andalûsi a dit : « J’ai vu cela dans son livre, son propre livre et je connais son écriture », cité dans son tafsîr intitulé “An-Nahrû l-Madd mina l-Bahr”. Al-Hafiz Ibn Hajar al ‘Asqalânî, tout en reconnaissant l’érudition et les qualités de Ibn Taymiyya (dans certains de ses ouvrages), l’a aussi corrigé dans son “Qawl al-Musaddad ʻan al-musnad al-Imām Ahmad”, sur des questions relatives à la ‘aqida, au hadith et au fiqh : « Ibn Taymiyya, à cause de la mauvaise opinion bien connue qu’il avait de ‘Ali, ne s’est pas limité à considérer ce hadith comme forgé comme l’a fait Ibn Jawzi, il a prit l’initiative d’en rajouter en prétendant que les experts du hadith (muhaddithun) le considéraient comme “forgé”. Ibn Taymiyya a tellement rejeté de hadiths simplement parce qu’ils étaient inconciliables avec ses opinions qu’il est difficile d’en établir la liste complète ». Il affaiblissait des ahadiths authentiques ou bons uniquement car cela contredisait ses opinions, puis apportait une nouvelle interprétation. Or ses arguments rationnels sont réfutables et pas toujours convaincants, et cela n’enlève rien à l’authenticité de la chaine, même s’il usait parfois de faux arguments pour les rejeter (comme “telle personne est faible ou inconnue”, alors que les ouvrages traitant des biographies des narrateurs démontrent le fait qu’ils étaient à la fois connus et dignes de confiance).
L’imâm Ibn Rajab Al-Hanbalî a dit dans “Dhayl Tabaqat al hanabilah” (vol. 4, p. 505) sur Ibn Taymiyya : « Cependant il (‘Imad ad din al Wasiti) et un groupe des plus proches compagnons d’Ibn Taymiyya ont désapprouvé les déclarations du Shaykh sur certains des plus grands Imams, et des plus exceptionnels, ou comme sur ceux qui se sont détournés du monde éphémère pour être seuls avec leur Seigneur (les sûfis). Et le Shaykh, – qu’Allâh lui fasse Miséricorde -, n’avait pour intention que le bien et la défense de la vérité Insha’Allâh ta’ala. Et divers cercles des gens du Hadith, dont les imams, Huffadh (mémorisateurs de plus de 100000 hadiths) et fuqaha (juristes) aimaient le Shaykh et le tenaient en haute estime. Mais ils n’ont pas aimé pour lui d’aller sur les questions en profondeur avec les théologiens et les philosophes comme c’était la méthodologie des Imams de Ahl al Hadith comme As-Shafi’i, Ahmad, Ishaq, Abû ‘Ubaid et d’autres comme eux. En outre de nombreux savants, jurisconsultes, Muhaddithin et Salihîn (pieux) n’aimaient pas qu’il aille de sa propre opinion avec certaines de ses prises de positions uniques que les Salafs désapprouvaient sur ceux qui les prenaient. Jusqu’à que l’un des juges justes de nos compagnons l’a empêché de faire ces fatawas ».

L’Imam Taqi al-Din al-Hisni al-Shafi’i (m.829 H) mentionne quelques points concernant l’imam ibn Rajab al-Hanbali (d.795AH) et certaines de ses opinions négatives concernant ibn Taymiyya : « Al-Shaykh Zayn al-Din ibn Rajab al-Hanbali était parmi ceux qui croyaient fermement au kufr d’ibn Taymiyya (incrédulité), et avaient (écrit) des réfutations contre lui. Il dirait au sommet de sa voix lors de rassemblements : “Al-Subki est excusé – ce qui signifie en ce qui concerne son takfir” ». (Al-Hisni, “Daf ‘Shubah, man Shabbaha wa Tamarrad”, ed. Dar al-Mustafa, p. 535).
Néanmoins, s’il est vrai qu’Ibn Rajab a réfuté Ibn Taymiyya sur plusieurs points, nous doutons fortement qu’il ait pu faire son takfir. As-Suyûtî, bien qu’ayant fait l’éloge de Ibn Taymiyya (peut-être avant d’avoir lu plusieurs de ses ouvrages), l’a également critiqué dans son “Kam’ al-Mu’arid” : « Ibn Taymiyya était arrogant. Il était très vaniteux. C’était son habitude de se représenter comme supérieur à tout le monde, de mépriser (ou offenser) celui à qui il parlait et de se moquer des grands musulmans ».
Al-Sakhawi dans “I’lan bi al-Tawbikh” (p. 163) dit : « Il y a aussi ces savants de l’apprentissage approfondi, de l’austérité et de l’ascétisme que les gens ont évités et dont ils ont pris soin de ne pas s’y référer [ndt : « utiliser comme référence ou comme argument »], en raison de leur (mauvaise) langue et de leur manque de tact, ce qui les a amenés à parler et à critiquer excessivement. De tels hommes étaient ibn Hazm et ibn Taymiyya ». C’est-à-dire qu’ils étaient des hommes qui passaient certes leur temps à étudier et à lire, mais ils étaient parfois excessifs dans leurs critiques des grands imams, et parfois en utilisant un langage grossier. Ad-Dhahabî dans son “al-‘Ibar”, après avoir fait l’éloge du Shaykh Ibn Taymiyya (pour ses qualités) précise et constate quand même que : « Il avait quelques opinions étranges sur lesquelles il a été réfuté (attaqué intellectuellement) ». (Ad-Dhahabî, “al-`Ibar”, 4/84).
Dans “Bayân Zaghl al-`Ilm” (p.23-24) de l’imâm Ad-Dhahabî, il dit d’Ibn Taymiyya : « S’il s’avère que tu excelles dans les Principes (al-Usûl) et ce qui les suit – la logique, l’éthique, la philosophie, les paroles des anciens et les conandrums – tout en te protégeant avec le Livre et la Sunnah ainsi que la doctrine des Salafs -, ainsi alliant raison [ou intelligence] et transmission, même avec tout ceci, je ne pense pas que tu atteindras le niveau d’ Ibn Taymiyya. Non, par Allâh ! Tu ne l’approcheras même pas. Pourtant j’ai vu ce qui lui est arrivé – toute l’opposition à laquelle il a dû faire face, l’abandon, des déclarations justifiées et injustifiées d’hérésie, d’apostasie, et d’erreur ! Avant qu’il pénètre cette science [i.e. la doctrine Islamique/théologie ; al ‘aqida], il brillait de lumière et illuminait les autres, portant la marque des Salafs sur son visage. Puis il devint éteint, sans lumière, obscur et sombre aux yeux de la plupart des gens, un maléfique imposteur [dajjâl en arabe] et un mécréant aux yeux de ses ennemis tandis qu’un grand nombre des gens sages et de l’élite le considérait comme un savant innovateur mais éminent et brillant (mubtadi` fâd.il muhaqqiq bâri`), et que le commun de ses amis sans éducation le considéraient comme le champion de l’Islam, le défenseur de la Religion et le revivificateur de la Sunnah ». (Cité aussi par al-Sakhâwî dans “al-I`lân”, p. 78).
Selon Ad-Dhahâbî, à cause de son empressement, de son caractère polémiste, et d’avoir plongé dans certaines sciences sans prudence ni clairvoyance, il est tombé dans des innovations blâmables, s’est attiré de nombreux ennemis parmi les sectaires et les sages et a perdu du temps et son « éclat ». Trop de polémique tue en effet le « cœur ». Ad-Dhahabî était jeune quand il fréquentait essentiellement Ibn Taymiyya et fit de nombreux éloges sur lui. Mais quand il étudia auprès de grands shuyukhs (dont ceux qu’ils considéraient comme des « shaykh ul islam » et des « mujadidin »/revivificateurs de leur génération), il revint sur certaines positions, et vit certaines déviances doctrinales et erreurs juridiques chez Ibn Taymiyya. Il relate donc que les opposants à Ibn Taymiyya étaient de deux sortes : les gens peu avertis et passionnels, qui disaient des choses parfois infondées à son encontre ; et enfin les musulmans parmi les sages et l’élite des savants (shaykh ul islam), qui lui reprochaient à juste titre des innovations blâmables et des déviances, tout en le considérant comme un savant possédant également des qualités certaines et une érudition incontestable.
Et enfin, il dit que certains de ses proches mal-éduqués (spirituellement et intellectuellement) le considéraient, – à tort selon Ad-Dhahâbî -, comme la plus grande référence de l’islam.
Ad-Dhahâbî dit encore dans son “Dhayl Tarikh Al Islam” (pp. 328-329 de l’édition arabe) : « Et sans aucun doute, aucune considération ne devrait être accordée à l’éloge de ses compagnons les plus proches ou de ceux qui sont extrêmes dans leur admiration pour lui. Leur amour pour lui les amènera à couvrir ses erreurs, même s’il peut même les compter pour ses bonnes actions. (…) Celui qui l’a (Ibn Taymiyya) côtoyé et qui le connaît, pourrait dire que je ne lui accorde pas tout l’intérêt qu’il mérite. Tandis que celui qui l’a rejeté et qui le contredit, dirait que je lui accorde trop d’intérêts. J’ai été malmené par les deux parties, d’un côté ses partisans, et de l’autre ses opposants. Moi je ne crois pas à son infaillibilité. Bien plus je le contredis dans certaines questions relatives aux fondements de la religion et aux corollaires (branches). Malgré ses vastes connaissances, son courage exemplaire, son immense respect des choses sacrées de la religion, il n’en reste pas moins qu’un humain parmi les humains. Cela suscite chez ses adversaires l’animosité, la colère et le heurt. Cela engendre également l’hostilité chez certains. S’il n’en était pas ainsi, il aurait fait l’objet d’un consensus. Leurs plus grands maîtres sont pleins d’humilité face à son savoir. Ils reconnaissent que c’est un océan de de savoir, un trésor sans pareil. Pourtant, il lui est fait des reproches sur ses mœurs et actes. Ainsi, chacun de nous prend ce qu’il doit prendre et laisse ce qu’il doit laisser »

Au début, Ibn Taymiyya était son maître principal, et il le suivit presque en tous points, mais lorsqu’il rencontra d’autres grands savants,  à la fois plus humble et plus connaisseur que lui, comme Abû al-Fath Ibn Daqîq al-`Îd et Ahmad ibn Ishaq ibn Muhammad al-Misrî (m. 701 H) duquel il a pris le pacte initiatique de la tariqa sûfie Suhrawardi (“Siyar A`lam al-Nubalâ'”, 17/118–119 et 16/300–302) : « Notre Shaykh, l’ascète, le Muhaddith Diya’ al-Din `Isa ibn Yahya al-Ansari m’a vêtu de la cape (manteau) sûfi (al khirqa) au Caire en disant : ‘Shaykh Shihab al Dîn al Suhrawardî me l’a remise à la Mecque, il l’a tenait de son oncle Abû al Najib’ ».

Après la mort d’Ibn Taymiyya, certaines polémiques étaient restées encore vivaces, et un nom célèbre, le Shaykh ul Islam Ibn Hajar Al-Haytamî (théologien asharite, juriste shafiite, exégète, historien, mathématicien, logicien, grand spécialiste du hadîth et de la Sîrah, muftî, linguiste, ascète et cheminant sur la voie du tasawwûf), qui émit en son temps une fatwa contre l’Imâm Ibn Taymiyya dans laquelle il le décrivit, dans ses “Fatâwâ ul Hadîthiyyah” : comme un « être qu’Allâh a avili, égaré, assourdi et humilié ». Il dit : « Et prenez garde à ce que Ibn Taymiyyah, son étudiant Ibn Qayyim Al Jawziyyah et d’autres ont écrit ; il (Ibn Taymiyya) est un homme qui a pris sa passion pour Seigneur, chose pour laquelle Allâh l’a égaré en dépit de son éducation, Il a scellé son ouïe et son cœur et a mit un voile sur sa vue ; qui peut bien le guider après qu’Allâh l’ait égaré ? Pourquoi l’aurait-Il [guidé] alors que ces hérétiques sont passés outre les limites établies par la Sharî’ah et les ont piétinées ? Et pourtant, ils s’imaginent être les seuls guidés, qu’ils sont guidés par leur Seigneur Tout-Puissant, alors qu’en vérité ils ne le sont pas. Plutôt, ils sont sur le mauvais chemin, la plus horrible des voies, une source d’égarement et des traits de caractères les plus abominables. Ils sont affligés par de multiples vices et ont ainsi encouru une grande perte. Qu’Allâh humilie ceux qui les suivent et nettoie la face de la terre de leurs semblables ! ».
Toutefois, il suspectait que toutes les opinions controversées attribuées à Ibn Taymiyya ne lui étaient pas toutes imputables, termine sa fatwa, en déclarant : « S’il a réellement professé ces thèses hérétiques, alors Allâh le traitera selon Sa Justice. Sinon, qu’Allâh nous pardonne ainsi qu’à lui ».
Sa sévérité dans sa condamnation provient probablement d’une accumulation d’accusations fondées et de rumeurs infondées concernant ses opinions et positions controversées.


Quant à l’opposant vertueux et savant d’Ibn Taymiyya, le Shaykh ul Islam Taqî ud-Dîn As-Subkî (683 H/1284 – 756 H/1355),
al-Hâfidh As-Suyûtî dit de lui dans l’annexe de “Tadhkirat Al-Huffadh” : « Il se versa dans la composition des ouvrages, délivra des fatwas et écrivit plus de 150 ouvrages. Ces écrits témoignent de la remarquable abondance de son savoir dans le Hadith, ainsi que d’autres branches du savoir, et sa grande maîtrise des diverses sciences. Les vertueux de son temps étudièrent auprès de lui. Il fut très rigoureux et pointilleux dans ses analyses, expert en matière de débats, brillant dans les sciences. Il a en matière de jurisprudence, ainsi que d’autres branches, des déductions subtiles et fines, et une formulation des règles auxquelles nul ne l’avait précédé. Il fut équitable dans ses analyses, manifestant droiture et dignité ».

Et le compagnon de As-Subkî, Ad-Dhahâbî (qui fut aussi le maître du fils de As-Subkî, Tâj ud-Dîn As-Subkî) :
« Bonheur à la mosquée des Omeyyades lorsque s’y éleva le juge, l’océan, At-Taqî

De tous les Shaykhs de l’époque, il est le meilleur Hâfidh ; le meilleur prédicateur et juge c’est `Alî (As-Subkî) ».

Ainsi, on peut trouver sous la même plume, des éloges grandioses sur des personnalités qui se sont vivement opposées, et cela n’était pas rare, puisque d’une part, parmi ceux qui s’opposent sur un certain nombre de questions, ils possèdent des qualités et un savoir qui forcent le respect en dépit des divergences, et cela doit être reconnu des deux côtés. Cela montre aussi que leur science et leur courage n’exclut pas l’existence de réelles divergences ou même d’une certaine animosité (ce qui doit être délaissé selon l’islam), mais qu’il est possible d’apprécier des auteurs qui s’opposent dans leurs domaines respectifs, et de ne pas les suivre là où l’on estime qu’ils ont dévié ou fauté. Chez les arabes et les persans notamment, il est aussi notoire que par humilité et modestie, les gens accentuent les mérites et valeurs de certaines personnes par des qualificatifs très élogieux.

Ad-Dhahabî dira dans son “Siyar A`lâm An-Nubalâ’” que le grand rénovateur de son temps ne fut pas son maître Ibn Taymiyya mais un autre de ses maîtres : « Pour ma part, je dis que le rénovateur du quatrième siècle est Abû Hâmid Al-Isfarâyînî, celui du cinquième siècle est Abû Hâmid Al-Ghazâlî, celui du sixième siècle est le Hâfidh `Abd Al-Ghanî, tandis que le rénovateur du septième est notre maître Abû Al-Fath Ibn Daqîq Al-`Îd ».

Il dira de lui dans “Tadhkirat al Huffâz” (4/181) : « 1168 – Ibn Daqîq al ‘Îd, l’imâm, le juriste, le Mujtahid, le traditionaliste, le Hâfiz, l’illustre, Shaykh al Islâm Taqî ad Dîn Abû al Fath Muhammad ibn ‘Alî ibn Wahb ibn Mutî’ al Qushayrî al Manzutî as Sa’îdî al Mâlikî ash Shâfi’î ».
Son disciple Tâj ad Dîn ‘Abd al Wahhâb as Subkî (m.771 H) a dit dans “Tabaqât ash Shâfi’iyah” (9/208) : « 1326 – L’imâm, Shaykh al Islâm, le Hâfiz, l’ascète, le dévot, le gnostique (sûfi, connaissant), le Mujtahid absolu [mutlaq], celui qui a la connaissance complète des sciences de la Loi légiférée, et qui a réuni entre la science et la religiosité, le cheminant, le plus complet des savants tardifs

[muta’akhirin]

, un océan de science. Nous n’avons pas connu un seul parmi nos professeurs diverger dans le fait que Ibn Daqîq al ‘Îd est le savant envoyé à la tête du septième siècle indiqué dans le hadîth prophétique ».
Le Hâfiz As Suyûtî (m.911 H) a dit dans “Tabaqât al Huffâz” (1/516) : « 1134 – Ibn Daqîq al ‘Îd, l’imâm, le juriste, le Mujtahid, le traditionaliste, le Hâfiz, l’illustre, Shaykh al Islâm Taqî ad Dîn Abû al Fath Muhammad ibn ‘Alî ibn Wahb ibn Mutî’ al Qushayrî al Manzutî ».

Et à propos du maître de Ibn Daqîq al-‘Id, le Shaykh al islam Al-`Izz Ibn `Abd As-Salâm qu’il surnomma le « Sultan des savants », lui-même asharite, Ad-Dhahâbî dit de lui dans son “Siyar a`lam al-nubala’” (n°969) : « Le Shaykh, l’imâm, l’érudit, l’ascète, le connaisseur/connaissant par Allâh (sûfi réalisé), le muhaddîth, le Shaykh ul islam, le grand maître parmi les sûfis ». An-Nawawî l’a cité dans son “Tahdhîb al Asma’ wa al Lughât” (3/22) en disant : « Le Shaykh, l’imâm, sur lequel il y a unanimité de son degré d’imâm, de sa brillance, sa compétence et qu’il est un appui dans les diverses sciences, Abû Muhammad ‘Abd al ‘Azîz ibn ‘Abd as Salâm, qu’Allâh lui fasse miséricorde et l’agrée, a dit […] ».
Le Qâdî Tâj ad Dîn ‘Abd al Wahhâb as Subkî (m.771 H) a écrit dans “Tabaqât as-Shâfi’iyah al Kubrâ” (8/209) : « 1183- ‘Abd al Azîz ibn ‘Abd as Salâm ibn Abî al Qâssim ibn Hassan ibn Muhammad ibn Muhadhb as Sulamî, le Shaykh al Islâm et des musulmans, un des imâm de haute personnalité, le roi des savants, l’imâm de son temps de manière incontestable, celui qui s’est levé pour ordonner le bien et interdire le blâmable en son temps, l’initié aux réalités de la Loi légiférée [Shari’ah], le connaisseur de ses finalités [maqâsid]. Il n’a pas vu quelqu’un comme lui, et personne parmi ceux qui l’ont vu n’ont vu semblable à lui dans la science, la dévotion, tenir debout dans la vérité, la bravoure, la force intérieure, Il naquit en l’an 577 ou 578 H ».

On peut dire qu’Ad-Dhahâbî était un pont entre les partisans du Shaykh et ses détracteurs. Faisant son éloge excessif à ses débuts, il prit toutefois ses distances par la suite lorsqu’il vit les erreurs, polémiques et innovations blâmables dans lesquelles avait plongé Ibn Taymiyya, bien qu’il continua de prendre sa défense en même temps qu’il le critiqua.
On peut lui reconnaitre toutefois une grande audace intellectuelle, où il n’avait pas peur de réexaminer certaines questions que certains savants pensaient définitivement clôturer. La pertinence de son audace sur certaines questions est toutefois un autre débat (certaines positions du Shaykh étant solides, tandis que d’autres le sont nettement moins).

Contrairement aux ouvrages d’Al-Ghazâlî, d’An-Nawawî, d’Al-Qushayrî, d’Ad-Dhahâbî ou de Ibn Hajar al ‘Asqalânî, les ouvrages d’Ibn Taymiyya et d’Ibn Al Qayyim ne furent presque jamais intégrés dans les programmes d’études islamiques dans le monde musulman, jusqu’à l’apparition du wahhabisme dans la péninsule arabique, sauf peut-être dans le Najd, où des savants hanbalites étudiaient aussi parfois des ouvrages d’Ibn Taymiyya et d’Ibn al-Qayyîm. Le propre frère de Mohammed ibn Abdel Wahhâb, Sulaymân, réfutera le fondateur du mouvement à partir du Qur’ân et de la Sunnah, mais aussi à partir des écrits d’Ibn Taymiyya. Plusieurs hanbalites taymiyyiens furent parmi les opposants de Mohammed ibn Abdel Wahhâb, ce qui est souvent méconnu.

Le Shaykh Nûh Keller As-Shâfi’î a dit à ce sujet (sur le site Masud.co.uk) : « Des écrits ont été signés par Abû Hayyân An Nahwî (m.745 H), Taqî ud Dîn As Subkî (m.756 H), Badr ud Dîn Ibn Jam’ah (m.733 H), Al Âmir As Sananî (m.1182 H), l’auteur de “Subul us Salâm”, Taqî ud-Dîn Al Hisnî, l’auteur de “Kifâyat ul Akhyâr” (m.829 H), et Ibn Hajar Al Haytamî (m.974 H) en réfutation de sa croyance, et elle est restée non acceptée par les Musulmans pendant encore 400 ans jusqu’à l’apparition du mouvement wahhâbite au 18ème siècle, lequel suivait Ibn Taymiyya sur certains points de croyance et l’a déclaré son « Shaykh de l’Islâm ». Mais ce ne sera pas avant l’arrivée de l’imprimerie dans le monde Arabe que les livres d’Ibn Taymiyya (et les dogmes de ce groupe) ont vraiment vu la lumière du jour, quand un riche marchand de Jaddah commissionna l’impression de son « Minhaj us Sunnah » et d’autres de ses ouvrages sur la croyance, en Egypte à la fin du siècle dernier, ressuscité cette fois sous le nom de salafisme ou « retour à l’Islâm des débuts ». Ils ont de là été exportés aux quatre coins du monde islâmique, propulsés par le financement généreux d’un ou deux pays Musulmans modernes, dont les efforts ont rempli les Mosquées de livres, de pamphlets, et de jeunes gens qui répandent ces idées et même les attribuent (grâce aux chaînes de transmission douteuses d’Ibn Taymiyya) aux Imâms des premiers temps de l’Islâm ». Le Shaykh ‘Abd ul Hakîm Mûrad a dit également (sur le site Masud.co.uk) : « Dans tous les cas, bien que ces auteurs [Ibn Taymiyya et Ibn Al Qayyim] furent récemment ressuscités et rendus proéminents, leur influence sur la tradition scientifique orthodoxe fut négligeable, comme le suggère le nombre réduit de manuscrits de leurs ouvrages préservés dans les grandes bibliothèques du monde islamique. Beaucoup des ouvrages d’Ibn Taymiyya n’existent qu’en tant que manuscrits uniques ; et même les autres, lorsqu’on les compare aux ouvrages des grands savants tels que As Suyûtî et An-Nawawî, ils semblent n’avoir été recopiés que très rarement. Voir la liste d’anciens manuscrits de ses ouvrages donnée par C. Brockelmann, Geschichte der Arabischen Litteratur (2nd. Ed. Leiden, 1943-9), II, 126-7, Supplément, II, 119-126 ».

Nous rappellerons aussi le dernier témoignage de l’imâm Ad-Dhahâbî sur la dernière position (à sa connaissance) vis-à-vis des adeptes des autres courants islamiques, dans son “Siyar A‘lâm an-Nubalâ’” (15/85-89) : « Le grand Savant, l’imâm des théologiens, Abû al-Hassan ‘Alî ibn Ismâ‘îl ibn Abî Bishr Ishâq ibn Salim ibn Ismâ‘îl ibn ‘Abd Allah ibn Mûssa fils de l’émir de Bassora Bilal ibn Abî Burda fils du compagnon du Prophète (ﷺ) Abî Mûssa ‘Abd Allah ibn Qays ibn Hadhar al-Ash‘arî al-Yamânî al-Basrî. (…) J’ai vu chez Al Ash‘arî une parole qui m’a étonné, et elle est confirmée, al Bayhaqî [m.458 H] l’a rapporté en disant : J’ai entendu Abû Hâzim al ‘Abdawî [m.417 H] dire : J’ai entendu Zâhir ibn Ahmad as Sarakhsî [m.389 H] dire : Lorsque les derniers instants de Abû al Hassan al Ash’arî ont approché dans ma maison à Baghdâd, il m’a appelé, je suis venu, puis il a dit : «Atteste de ma part que je ne rends personne mécréant parmi les gens de la Qiblah, car tous appellent à une Divinité Unique, et nos divergences ne sont que dans les expressions ».Je dis [Ad-Dhahabî] : Sur cela je pratique ma religion. Notre Shaykh Ibn Taymiyyah

[m.728 H]

était ainsi lors de ses derniers jours, il disait : « Je ne déclare personne de la communauté mécréant, et le Prophète (ﷺ) a dit : « Personne ne garde son ablution sauf un croyant, quiconque prie avec son ablution est musulman » ».

Le Messager d’Allâh (ﷺ)a dit : « Le musulman qui prie notre prière, se tourne vers notre Qibla et mange de notre sacrifice rituel, est le musulman dont la vie est sous la garantie d’Allâh , ne trahissez pas Allâh dans ses protégés ! » (Hadîth rapporté par Anâs Ibn Malîk – Sahih Bukharî), mais cela, à condition qu’aucun rejet volontaire d’un pilier de l’islam, d’un verset du Qur’ân en soi (au-delà des divergences d’interprétations dudit verset), d’un fondement de l’islam, d’une dimension de l’islam (politique, spirituelle, sociale, économique, juridique, etc.) ni d’aucun autre acte annulatif de l’islam (comme s’allier politico-économico-millitairement à des mécréants contre des musulmans car ceux-ci aspirent à plaire à Dieu et à la justice), ne soit visible, car sinon, il a renié l’islam, et s’il persiste à refuser ce qui doit être nécessairement connu et appliqué en islam, comme la reconnaissance de la Souveraineté Divine sur toute chose, la suprématie de Sa Loi, le désaveu de l’idolâtrie sous toutes ses formes, le profond respect qui est dû à tous les Messagers de Dieu, etc., malgré les preuves qui lui auront été exposées, alors il aura apostasié, et son statut légal deviendra alors celui du mécréant (s’il est pacifique, des avis juridiques disent qu’il faudra le reconsidérer comme un dhimmi s’il vit en terres d’islam, mais s’il se montre rebelle et menaçant, alors il deviendra un ennemi qu’il faudra combattre par les moyens légaux).

D’après Al-Miqdâd Ibn Al-‘Aswad (qu’Allâh l’agrée), j’ai dit à l’Envoyé d’Allâh (ﷺ) : « Figurez-vous que je me suis heurté à un idolâtre qui en m’ayant livré combat, m’amputerait la main avec son sabre, puis se réfugierait derrière un arbre où il prononcerait la profession de foi. Aurais-je droit à le tuer ou non (pour se venger) après qu’il eut prononcé la profession de foi?”. L’Envoyé d’Allâh (‘alayhî salât wa salâm) me répondit par la
négative (c’est-à-dire : qu’agir de la sorte pour se venger est interdit).
– “Mais, ai-je repris, il m’a coupé la main, et ce n’est qu’après cela qu’il a déclaré sa conversion à l’Islam. Pourrais-je donc le tuer?”.
– “Ne le tue pas, répéta l’Envoyé d’Allâh, car si tu le tues, il sera dans l’état où tu étais avant de l’exécuter (musulman), et toi tu te trouveras dans celui où il était avant de se convertir (mécréant) »
. (Hadîth rapporté par Muslim, n°139).

Ussâma Ibn Zayd (qu’Allâh agrée le père et le fils) a dit : « L’Envoyé d’Allâh (ﷺ) nous envoya à la tête d’un escadron contre les Al-Huraqât de la tribu de Juhayna. Nous les surprîmes au matin et les mîmes en déroute. J’attrapai un des ennemis qui s’écria aussitôt : “Il n’y a d’autre divinité qu’Allâh !”. Quand même, je le tuai ; mais je ne puis pour autant rester la conscience en paix. A notre retour (à Médine), je racontai cet événement au Prophète (ﷺ) qui me dit :
“A-t-il dit qu’il n’y avait d’autre divinité qu’Allâh et tu l’as tué quand même ?!”.
– “Il ne l’a dit que pour éviter la mort!”, me justifiai-je.
– “As-tu sondé son coeur pour vérifier s’il était sincère ou non dans cette attestation?”.
Le Prophète ne cessa de répéter cette réprimande au point que je souhaitai que je n’aurais embrassé l’Islam que ce jour-ci (pour qu’une telle faute sévère ne lui soit pas inscrite dans son passif de musulman) »
. (Hadîth rapporté par Muslim dans son Sahîh, n°140).


Quoi que l’on puisse donc penser d’Ibn Taymiyya, il demeure une figure atypique, à la fois détestée par certains et adulée par d’autres. Ceux qui pensent qu’il était la plus grande sommité du monde musulman se trompent lourdement (et seuls ceux qui ne connaissent pas le patrimoine islamique peuvent penser cela), tout comme ceux qui pensent qu’il était égaré sur tous les plans, se sont eux-mêmes laissés aveuglés par leurs passions. Il y a du bon à prendre et du mauvais à délaisser. Il ne s’est pas marié et a beaucoup écrit, et a dépensé son temps pour la religion tout en participant aussi à certaines batailles pour défendre le monde musulman. Cela nous oblige à lui chercher aussi des excuses quand cela est possible, à ne pas l’imiter dans ses erreurs, à nous montrer indulgent à son égard, et à invoquer le Pardon et la Miséricorde d’Allâh sur lui !

Et enfin, nous conclurons en rappelant qu’il ne faut d’ailleurs pas confondre réfutation et tentative de réfutation. Car dans le monde musulman, les débats d’idées existaient à chaque époque, ce qui montre bien l’existence constante d’une dynamique intellectuelle dans le monde musulman depuis les premiers siècles. Ainsi, il était courant que des savants débattent avec d’autres savants, soit de façon directe, soit de façon interposée ou différée (dans le temps) après la mort de certains savants. Cependant, l’existence d’une réponse prétendant à la réfutation n’est pas synonyme de réfutation accomplie, puisque certaines tentatives échouent à convaincre ou se révèlent parfois même malhonnêtes sur plusieurs points importants. Quand cela est possible, il faut se référer aux écrits originaux des auteurs en question, afin de s’assurer que leurs pensées et arguments n’ont pas été déformés ou occultés, comme cela est malheureusement répandu dans toutes les contrées, et surtout à notre époque (y compris chez les auteurs non-musulmans).

Wa Allâhu a’lam, et qu’Allâh fasse miséricorde à tous nos savants sincères qui ont aspiré à la piété et à la vérité en dépit de leurs faiblesses, de leurs péchés et de leurs erreurs.


Dawûd Salmân, juin 2019.


[i] Abû Ishâq Ibrâhîm ibn Ahmad ibn Ibrâhîm ibn Ahmad ibn Dâwud al Balkhî al Mustamlî (m.376 H), Abû Muhammad ‘Abd Allah ibn Ahmad ibn Hamawiyyah as Sarakhsî al Hamawî (m.381 H), et Abû al Haytham Muhammad ibn Makkî ibn Muhammad ibn Makkî ibn Zarrâ’ ibn Hârûn al Marwazî al Kushmîhanî (m.389 H), les trois ont rapporté le Sahîh selon Muhammad ibn Yussûf al Farabrî (m.320 H) l’élève direct de l’imam al Bukhârî, qu’Allâh leur fasse miséricorde.

[ii] Voir “Did Ibn Taymiyya Have a Screw Loose?” de Donald P. Little, Studia Islamica, n°41, 1975, pp. 93-111 : http://www.jstor.org/stable/1595400?seq=1#page_scan_tab_contents).













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