La chute du désordre du monde moderne laisserait-elle présager le retour à l’ordre traditionnel ?

Est-ce que le désordre trouve sa raison d’être en lui-même ? Voici une question philosophique qui s’apparente à toute réflexion sur la postmodernité. Nul n’ignore les désastres moraux qui ont essaimé le 20e siècle et se poursuivent jusqu’à ce jour : bombe atomique, guerres mondiales, nature souillée par l’agriculture industrielle, crises économiques, flux migratoires importants, technologie incontrôlée, bouleversement dans les mœurs (mariage homosexuel institutionnalisé, théorie du genre, mère porteuse, …), etc.

Nul n’ignore non plus (consciemment ou non, ou à demi-mot sans pouvoir situer l’origine du problème) la désillusion du fameux « progrès » indéfini tant vanté par l’Occident moderne. Et pour le scientiste qui a pris conscience des limites épistémologiques de la raison, de l’empirisme, de l’induction, de la déduction, et de l’incapacité de l’activité scientifique à atteindre la complétude de la connaissance, ce scientiste, disions-nous, n’a plus que le scepticisme devant lui pour contempler sa désillusion.

C’est cet éloignement de la métaphysique, de la tradition primordiale, en somme de la spiritualité, comme le disaient René Guénon et Julius Evola, qui a conduit le monde moderne à sa perte. Mais n’y a-t-il pas un ordre au-dessus de tout ce désordre moral qui traduit l’ambiance de nos sociétés postmodernes ? Le simple fait que l’homme naît, vit et meurt, prouve qu’un ordre principiel, établi par Dieu, régit le monde dans lequel nous vivons. Et si le sceptique fonde son attitude sur le doute philosophique, qu’il sache que douter de cette capacité de douter est impossible, il en est sûr. Il est donc un fait que la certitude, et dans une perspective religieuse, la foi dirions-nous, est le fondement épistémologique de la connaissance. Et pour le cas de l’Islam, qui nous concerne directement, cela est d’autant plus vrai.

La perspective islamique traduit parfois une eschatologie attentiste. Nous pouvons dire, qu’en quelque sorte, cette foi en une eschatologie de l’attente d’un rétablissement d’un ordre en ce bas-monde, ainsi que dans l’Au-delà,  caractérise cette conscience que tout désordre se résorbera dans un ordre final. Plus généralement, dans l’Islam tout court, cette idée d’un ordre Divin (amru Llah), source de ce monde, et finalité de tout être, est exprimée constamment dans le Qur’ân. Peut-être que le vocable « attentisme » est inexact, dans la mesure où un musulman actualise constamment sa soumission (islâm) à l’ordre Divin, à Sa Loi, par les adorations (‘ibadat). Ces dernières ne se limitant pas aux actes cultuels, mais aux actes humains (mu’amalat) qui obéissent à une théorie de l’intention, une praxéologie, et à une théorie des finalités.

De même, la praxéologie est liée à l’axiologie (la théorie des valeurs), et c’est à l’imâm al-Shâtibî d’avoir établi solidement la principiologie, la théorie des finalités de la Loi (maqasid al-shariah). Toujours dans la continuité de l’imam al-Shâtibî, c’est au philosophe Taha Abdarrahman que nous devons le prolongement de ces maqasid al-shariah, qui selon lui, vise la bonté des actions humaines.

Pour le soufi marocain, l’union entre la morale (akhlaq), et la Loi (shariah), lui fait conclure la proposition suivante : « Pas d’éthique (akhlaq) sans religion (bighayri Dîn), et pas de religion sans éthique (bighayri akhlaq) ». Le musulman tourne tout son être entier dans la participation à cet ordre total par ses actions, sa conscience morale et sa soumission volontaire, sincère et humble à cet ordre Divin.  

Ainsi, la moralité se trouve en harmonie avec la finalité même de la Création. Tel est le sens de la shariah, vocable qui peut signifier le chemin, la voie, et en somme la loi divine permettant de « cheminer » vers cette finalité ultime, al-Haqq.

La réponse à notre question initiale est que tout désordre n’est que relatif par rapport à un ordre divin, à un Principe, une Réalité ultime, Absolu, qui est Allâh, dont rien n’est semblable à Lui (laysa kamithlihi chay’un) comme l’énonce clairement le Qur’ân, et qui se trouve au-delà de toute dualité et de toute contingence : La ilaha illa Allâh. Ainsi, la perspective islamique se donne pour objectif non-négociable la quête de la vérité, l’impératif moral d’ordonner le bien et de combattre les forces maléfiques, ténébreuses, par l’action individuelle (jihâd al-nafs), par l’action collective et politique, mais aussi par un combat intellectuel. Ce jihâd intellectuel, est assurément un débat d’idée nécessaire, pour pallier aux demi-savoirs des islamologues 2.0, qui se complaisent dans les titres et les diplômes, mais ne sont que les instruments des lobbys et idéologies anti-religieuses et anti-musulmanes. Les propagateurs du désordre, sont bien ces élites dont le niveau intellectuel s’est affaissé depuis des années. Les résistances, qui ont nécessairement besoin d’une orientation spirituelle, ainsi que d’une rigueur scientifique, sont compréhensibles, et légitimes, car sentant le danger du désordre conceptuel se mêler au débat d’idée véritable. Cette résistance est semblable à une réaction du corps humain luttant contre la maladie, ou de la nature face à l’artificiel. Car en fin de compte, la quête de la vérité est une obligation morale pour le musulman, sous l’impératif coranique d’un verset de la Sûrate al-baqarah « Ne mêlez pas la vérité au faux ».



Auteur : Naqib Hurr
Relecture : Dawûd Salmân


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